Par : Saad Bouzrou (MAP)
On flaire souvent chez les jeux de lettres des parfums particuliers. Mais pourtant, les uns n’y voient qu’une lessive des méninges, tandis que d’autres en sont épris et les mettent sur un piédestal, mais d’aucuns ne sauraient dire qu’ils sont bien portants, a fortiori qu’ils sont de nos jours atteints d’une forte déliquescence due à la «mort douce» du papier.
Les adeptes au Maroc du «c’était mieux avant», en particulier dans le domaine des arts et des lettres, se rappelleront vraisemblablement d’«Apostrophes», sans doute le meilleur rendez-vous littéraire de son temps de la télévision française et qui avait consacré en 1981 une émission aux jeux de lettres en invitant une palette d’intellectuels bien trempés dans ce domaine.
À l’époque, Bernard Pivot, animateur mythique de l’émission, accueillit l’un des plus célèbres verbicrucistes en France, Max Favalelli, devant qui les invités eurent les yeux de Chimène quand il évoqua les origines des mots croisés; ancêtres des mots fléchés; et les déconvenues qui ont entravé leur naissance, grâce à Arthur Wynne, à qui il eut fallu attendre jusqu’en 1913 pour que la première grille soit publiée dans la rubrique «Fun» de «New York Times».
Cette petite plongée dans le passé ne leur fera pas boire seulement du «petit lait» en se remémorant les années de gloire littéraire, tant et si bien que ce genre de sports cérébraux, qui comprennent aussi et entres autres le Scrabble, a aujourd’hui subi, dans bien de contrées, beaucoup de déboires.
L’«expropriation» de leurs territoires par les empires technologiques est telle que les cafés, véritables tanières des cruciverbistes les plus confirmés, sont devenus, pour la plupart, jonchés de personnes coites et bouches cousues devant leurs téléphones ou bouche bée face à un match de foot.
Néanmoins, savoir pourquoi certaines gens s’intéressent toujours, avec autant de vigueur et d’énergie à remplir une, deux ou trois grilles de suite de mots fléchés ou croisés ou encore faire une partie de Scrabble au milieu de la désaffection quasi-totale de la société, vaut un bon détour.
L’un de ces «addicts» aux jeux de lettres est un professeur de littérature anglaise à la retraite qui s’appelle Mohamed. Approché par la MAP, ce moustachu de 63 ans est connu dans les cafés d’Avenue Allal Ben Abdellah de Rabat pour être un vieux routier des grilles.
Il raconte, le visage glabre, qu’il a goûté au plaisir des jeux de lettres depuis ses années à la faculté. «Mes études littéraires m’avaient encouragé à m’intéresser à ce genre d’activités culturelles pour enrichir davantage mon vocabulaire et mon savoir au niveau linguistique et phonétique».
Interrogé sur le secret de l’intérêt toujours vivace qu’il éprouve pour ce genre d’activités cognitives, il répond sans faire dans la dentelle que «remplir une grille de mots fléchés ou autres me donne un plaisir et une satisfaction énormes. C’est un passe temps intéressant qui m’aide non pas à tuer le temps mais, au contraire, à le remplir».
Un grand bémol cependant. Ce genre de «sport» requiert selon lui «un bagage culturel assez important pour le pratiquer régulièrement», mais cela vaut la peine, étant donné qu’«il rajeunit les neurones du cerveau et permet de prévenir l’Alzheimer d’après des recherches scientifiques publiées récemment».
Tout le monde en connaît de près ou de loin de ces grands amateurs des jeux de lettres en français ou en arabe. Encore faut-il connaître qu’ils changent de timbre pour une raison ou une autre et se font de plus en plus rares parce qu’ils meurent et la vie n’en produit plus comme avant.
L’on peut répéter que le principal grief de l’évolution technologique et de la circulation nec plus ultra des informations gît dans l’incapacité des gens à maintenir un juste équilibre entre les percées scientifiques du présent, avec ce qu’elles ont charrié d’avantageux pour le développement technique, et le passé, qu’est une véritable mine de bonnes pratiques essentielles pour la bonne marche physique et intellectuelle, grâce notamment aux jeux de lettres. Mais l’on y peut rien sans le concours et la volonté de tous.