Le traitement de l’infertilité par le recours aux techniques de l’Assistance médicale à la procréation (AMP) est encore loin d’être démocratisé au Maroc, en raison de son coût inaccessible et de l’absence d’un cadre juridique approprié incitatif, en dépit du fait que le pays compte quelque 800.000 couples qui en ont besoin, a-t-on indiqué lors d’un colloque, organisé samedi à Rabat sur le sujet, à l’initiative de l’Ordre national des médecins (ONM) et de la Société marocaine des sciences médicales (SMSM).
C’est une maladie chronique qui ne figure pas dans le panier des maladies dont les frais de traitement sont remboursés par les Assurances de maladie au Maroc et autres organismes (CNOPS, CNSS, etc), a fait savoir le docteur Abdelwahab El Bachouchi devant une assistance composée de spécialistes mais également de magistrats, juristes, Oulémas et autres.
Cette situation s’explique surtout par le fait que le Maroc ne compte qu’un seul centre du ministère de la Santé à Rabat spécialisé en la matière contre 18 centres privés concentrés pour la plupart à Casablanca et Rabat.
D’autres intervenants, dont la présidente de l’Association marocaine des aspirants à la maternité et à la paternité « MAPA » Aziza Ghulam, très active dans le domaine du plaidoyer, de la mobilisation, de la sensibilisation et de l’éducation des couples atteints d’infertilité, a dénoncé le non remboursement ou remboursement limité des frais de fécondation in vitro et ce, au moment où l’accès aux soins est un droit garanti à tous par la loi suprême du pays.
Selon elle, tous les organismes de prévoyance sociale refusent de prendre en charge les frais de traitement de l’infertilité, dont les dossiers sont systématiquement rejetés. Il est également nécessaire de procéder à une répartition plus équitable des centres spécialisés en la matière et de former en nombre suffisant les spécialistes dont le pays a besoin, a-t-elle dit.
A l’ouverture de la rencontre, le professeur Hussein Maâouni, président de l’ONM, a souligné l’importance de ce colloque dont l’organisation intervient dans le cadre du débat national en cours pour enrichir et alimenter le projet de loi N° 47-14 concernant l’assistance médicale à la procréation, dont l’examen et l’adoption ont été ajournés par la Chambre des députés pour permettre aux députés d’avoir suffisamment d’éléments pour le finaliser.
Il est vrai que l’on dispose depuis 1999 du « LIVRE BLANC » pour faciliter la tâche des praticiens, mais il est vrai aussi que cela est devenu insuffisant étant donné les progrès scientifiques réalisés au niveau international sur le sujet, a-t-il déclaré. C’est pourquoi, il est nécessaire de débattre de toutes les propositions nécessaires qu’il faudra présenter sous forme de recommandations des professionnels de la santé pour aider à l’adoption par le parlement d’un cadre juridique plus complet, a-t-il expliqué.
Selon le secrétaire général du ministère de la Justice et des Libertés, Lahkim Bennani, le Maroc est encore à la traine dans le domaine. Une loi – comme le présent projet – est nécessaire pour prévenir d’éventuelles pratiques malsaines et mettre à niveau le secteur dans le pays, a-t-il dit.
Pour le professeur Said El Moutawakil, président de la SMSM, le développement d’un tel secteur et son organisation juridique font l’objet aujourd’hui d’un débat sain qui ne peut que dissiper les craintes d’aucuns qui émettent des réserves sur la portée d’une telle discipline scientifique. Pour ce faire, il faut doter le secteur d’une bioéthique sensée apporter des solutions aux problèmes et interrogations soulevés par les Ouléma et autres au sujet des nouveautés en matière de recherche biologique, médicale ou génétique et certaines de ses applications, a-t-il ajouté. Et ce, dans le but de concilier le respect dû à la personne humaine avec le progrès scientifique, dont la procréation médicalement assistée et d’autres, a-t-il rappelé.
D’autres exposés abondant dans le même ordre d’idées ont été présentés successivement par les participants représentant le monde médical, mais également juridique et religieux, dans lesquels ils ont formulé diverses propositions pour enrichir le débat sur le projet de loi sur la procréation médicalement assistée.
Les participants ont en outre suivi deux exposés sur les expériences française et tunisienne en la matière.
Dans leurs interventions, nombreux sont les participants qui ont mis le doigt sur les insuffisances et défaillances d’ordre technique et juridique du projet de loi 47-14, appelant notamment à confier la tâche de constatation des infractions dans le texte non pas à des éléments de la police judiciaire, comme prévu pour le moment dans le texte, mais à des inspecteurs du ministère de la Santé. Les participants ont également recommandé la révision à la baisse des peines d’emprisonnement prévues et à préciser davantage les responsabilités des différents intervenants dans les actes réalisés. Ils ont également recommandé d’interdire aux organismes de prévoyance sociale de créer leurs propres centres dans le but de préserver l’autonomie de la discipline et de la protéger contre la commercialisation.
La journée a été sanctionnée par une série de recommandations devant aider les parlementaires à mieux saisir le projet de texte qu’ils devront adopter.
M’Barek Tafsi