Au cœur de la démocratie, l’espace public

Y a-t-il une vie politique après le (dé)blocage ? Nous  aurons ainsi vécu, avec la séquence «blocage»,  six  mois chargés au risque de l’overdose politique. Les grandes manœuvres ont donc triomphé.

Et il ne s’agit pas d’être grand sorcier pour relever que la politique politicienne est déjà aux commandes. Ce n’est pas de bon augure pour la suite des événements. Tout ce qui passe actuellement pour « du débat » est en fait biaisé et nourrit plutôt le scepticisme. On dirait, pour user d’une métaphore sportive, que la vie politique ressemble de plus en plus à un match de football sans la fameuse liste des 17 règles qui régissent le jeu. Vous imaginez le décor : l’un cherche à marquer du pied, l’autre carrément porte la balle des deux mains et veut inscrire un point tandis que d’autres ne se soucient guère de l’hors-jeu et sont en embuscade pour tromper et les joueurs adverses et les spectateurs. Bref un spectacle surréaliste.

En matière de politique, un régime démocratique se réfère à un texte majeur qui dicte les lois du jeu et fixe les limites des enjeux, c’est ce qu’on appelle la Constitution. Cependant, il ne faut pas  comprendre l’existence d’une constitution comme une potion magique. Ce n’est pas la Constitution qui fait la démocratie. Contrairement à une opinion largement répandue, elle vient tout simplement la conforter, la confirmer, lui assurer un arbitrage, un référentiel. La démocratie, ce n’est pas la loi qui édicte tous les comportements comme c’est la tendance actuellement : il faut une loi pour réprimer la fraude électorale, il faut une loi pour la démocratisation des partis, il en faut une autre pour stopper la transhumance parlementaire…trop de loi tue la loi et la vide de son sens. La dérive juridiquo-judiciaire vide la démocratie de son essence. Non, ce qui est fondamental à la démocratie, c’est la notion de l’espace public. C’est l’alpha et l’oméga du fonctionnement démocratique. En un mot comme en mille, on pourrait le définir dans la prédisposition des acteurs, dans leur maturité, dans leur disposition à vivre l’échange et le débat.

Mais il faut bien passer par le volet théorique pour rappeler qu’en Occident, c’est E. Kant qui en est probablement l’auteur. Et c’est surtout le philosophe allemand Habermas  qui l’a repris et popularisé dans l’analyse politique depuis les années 1970. Habermas présente l’espace public comme la sphère intermédiaire qui s’est constituée historiquement, au moment des Lumières, entre la société civile et l’Etat. Le spécialiste de la communication politique, Dominique Wolton, note d’abord que l’espace public est devenu beaucoup plus large qu’autrefois, avec un nombre beaucoup plus grand de sujets débattus, un nombre beaucoup plus grand d’acteurs intervenants publiquement, une omniprésence de l’information, des sondages, du marketing et de la communication. Pour lui, « il s’agit d’un espace symbolique où s’opposent et se répondent les discours, la plupart contradictoires, tenus par les différents acteurs… c’est donc avant tout,  un espace symbolique, qui requiert du temps pour se former, un vocabulaire et des valeurs communes, une reconnaissance mutuelle des légitimités ; une vision suffisamment proche des choses pour discuter, s’opposer, délibérer ». Tout un programme qui indique que nous sommes encore tout à fait au début du chemin. C’est un autre blocage dont personne ne parle, et c’est lui en fait qui nourrit tous les autres.

Bref, il reste encore beaucoup d’efforts à fournir sur la voie de la démocratie.

Mohammed Bakrim

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