Bank Al Maghrib siffle la fin de la récréation

Mis en pratique depuis de longues années pour booster un secteur qui avait de la peine à voir ses ventes décoller, le crédit automobile à taux zéro vit désormais ses dernières heures. Le coup de grâce lui a été porté par Bank Al Maghrib, torero en chef et initiatrice de cette mise à mort, qui a usé des “contorsions“ de la loi pour mettre un terme à cette arme “fatale“ des sociétés de financement. Une arme fatale qui aurait fini par se retourner contre les sociétés de crédit elles-mêmes, les plongeant dans une situation financière peu amène.

Comment faire plier sans heurter ? Cette question pourrait être le titre du scenario servi par Bank Al Maghrib aux sociétés de financement et à l’AIVAM ces derniers jours quant à la cessation prochaine des crédits automobiles à taux zéro (0%). Et à cette question, la banque des banques semble avoir trouvé la réponse parfaite : en utilisant un proxy. Car, à en croire un confrère en ligne, Bank Al Maghrib n’aurait même pas eu à adresser cette interdiction aux sociétés de financement. Mais elle aurait plutôt préféré émettre un rappel à l’ordre à l’endroit des concessionnaires pour le respect de certaines dispositions de la loi 31-08 portant sur la protection du consommateur. «Qu’est-ce cela ?» serait-on tenté de dire ! Et pourtant ces dispositions, plutôt clés, jouent un rôle capital dans la formulation de l’offre à 0% qui a cours depuis plusieurs années sur le marché marocain de l’automobile.

Rappel des faits : la banque centrale a saisi par écrit, en décembre dernier, les concessionnaires automobiles sur certaines de leurs pratiques en résumant ses griefs en deux points. Primo, Bank Al Maghrib a interdit aux concessionnaires de communiquer sur les offres de financement dans leurs publicités sans spécifier l’organisme de financement qui les accorde. Secundo, la banque centrale a exigé une conformité légale des formules à taux 0 à travers le respect par les opérateurs des dispositions des articles 100, 101 et 102 de la loi 31-08 (voir encadré pour détail des articles).

Contrainte indirecte

Si le premier grief, tout en exposant directement le concessionnaire et son partenaire d’affaires aux yeux du consommateur, pouvait tout de même être absorbé, le second est bien plus problématique. Le respect des articles de la loi oblige les concessionnaires qui proposent le crédit 0% non seulement à indiquer le montant de l’escompte accordé lorsque l’acquéreur décide de payer comptant, mais leur interdit en outre de récupérer les revenus abandonnés du taux d’intérêt par autre moyen. Entendre par-là, des frais de dossiers exorbitants ou toutes autres charges subséquentes à l’opération de vente du bien. Ce qui revient à dire que le prix d’achat global du bien ne devrait pas dépasser le montant affiché du bien. Seul hic, le système a toujours fonctionné ainsi, en récupérant par une main ce qu’il a prétendument et gracieusement offert de l’autre. Le respect de ces articles viendrait donc arracher des mains des sociétés de financement les seuls atouts qu’elles avaient gardé pour réaliser leurs chiffres sur ces offres. Pire, en gardant la même structure tout en répondant aux exigences réglementaires, les sociétés de crédit financeraient les acquéreurs de véhicules. Il n’en fallait pas plus pour que ces dernières se décident à crever l’abcès et à sortir d’une situation dans laquelle elles estiment se trouver dos au mur.

Celles-ci ont donc informé leurs partenaires concessionnaires de l’arrêt prochain de ce produit. Raison : problème de rentabilité. D’ailleurs, cet argument ne serait pas nouveau, dit-on. La banque aurait plusieurs fois émis des alertes à ce sujet à l’adresse des sociétés de financement sur ce produit, sans jamais aller jusqu’à être catégorique comme actuellement. D’où la question : pourquoi la maison-mère des banques a-t-elle attendu aussi longtemps pour taper du poing sur la table et mettre un terme au crédit à 0% ? Alors qu’elle était bien au courant de la dégradation de la rentabilité des sociétés de crédit depuis des années ? La banque centrale aurait sommé ces sociétés de remédier à la situation, sans jamais y parvenir. Quel est alors aujourd’hui le niveau de dégradation de la situation financière de ces sociétés pour que Bank Al Maghrib se décide à agir enfin ? S’il n’existe pas de chiffre sur les crédits à 0%, Aziz Cherkaoui, président de la section Crédit à la Consommation, à l’Immobilier et la Gestion des Moyens de paiement de l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF), que rapporte Médias24, l’estime à 30% du financement en location avec option d’achat, soit 1,5 milliard de dirhams. Sur le trou qu’il aurait creusé par contre, rien.

La pression des sociétés de crédit : l’autre lecture du non au 0%

En attendant d’avoir le fin mot de l’histoire, la soudaineté de cette décision peut quand même prêter à interprétation. Car si Bank Al Maghrib a saisi les concessionnaires depuis décembre dernier, pourquoi les réactions des professionnels ne se font entendre que maintenant, cette fin de mois de mars ? La banque centrale aurait-elle assorti son rappel à l’ordre d’une échéance, fixée à la fin du premier trimestre pour abandonner définitivement ce produit ? Tout semble l’indiquer. Ceci dit, cette histoire peut avoir une autre lecture. D’abord, une décision indépendante de Bank Al Maghrib, au vu de la situation des sociétés de financement comme le clame-t-on d’ailleurs. C’est la plus simple, la plus facile à accepter et celle qui passe sans faire de vague.

Pourtant, la célérité avec laquelle l’Association Professionnelle des Sociétés de Financement a revendiqué avoir saisi officiellement l’Association des Importateurs de Véhicules Automobiles Montés (AIVAM) pour l’informer de l’arrêt futur du financement à 0% donne à réfléchir. Il faut noter d’ailleurs que cet enchaînement des événements a été démenti dans les colonnes de Médias24 par une de leurs sources. L’autre alternative donc à une révélation messianique qui aurait poussé à cette interdiction par Bank Al Maghrib serait qu’elle a été précipitée par les sociétés de financement elles-mêmes. Voyant leurs marges “dépérir“, et ne voulant pas confronter leurs chers partenaires concessionnaires qui seraient bien courroucés de sortir d’une pratique qui leur assure des ventes, les sociétés de financement auraient activé la piste BAM. Plausible ? Car, qui irait douter de Bank Al Maghrib lorsque la puissante institution appuie son rappel à l’ordre sur un texte de loi ? Et surtout, pourquoi tape-t-elle sur les doigts des concessionnaires, qui ne sont en principe pas dans son champ direct d’intervention, au lieu de sévir contre les sociétés de financement qui relèvent directement de son pré carré ? Belle carte à jouer n’est-ce pas ?! Se cacher derrière BAM pour dire aux concessionnaires qu’on n’en peut plus de voir ses marges perdre quelques petits points par-ci, quelques petits points par-là.

Sortir les banques de l’équation

Du reste, et si ce dernier scénario est réaliste, une telle interdiction va-t-elle réellement arranger les affaires des sociétés de financement ? Car si c’est le cas, le consommateur sera en dernier ressort celui qui est pénalisé. Dans un pays où l’on estime que le taux d’équipement en véhicule est des plus bas de la région, n’offrir aucune alternative à l’arrêt du crédit auto à 0% ne pourra pas faire avancer cette cause. Mais il faut se rappeler que les sociétés de financement ont été contraintes de jouer à ce jeu lorsque les banques se sont mises à distribuer du crédit consommation et automobile, constituant de fait un concurrent sérieux et “déloyal“ pour les sociétés de financement. À la recherche de marges à un moment où le crédit à l’entreprise avait marqué du pas, celles-ci avaient investi le segment, jouissant largement et à grands renforts des dépôts de leurs clients, d’un coût réduit de l’argent et d’un réseau de distribution plus étoffé. Un matelas de dirhams et des atouts dont ne disposent pas les sociétés de financement non adossées à une banque. En réponse et pour faire face à cette concurrence violente, ces dernières se sont engagées dans cette voie du 0%, aujourd’hui devenue un coupe-gorge.

Pour donc remédier à cette situation et offrir une alternative aux sociétés de crédit, Bank Al Maghrib devrait contraindre les banques à quitter le crédit à la consommation, du moins le segment automobile. En dégageant ainsi la voie, les sociétés de crédit pourront proposer une alternative viable au crédit à 0% qui leur permette de générer une rentabilité correcte sans pour autant trucider le consommateur. Car, les ventes d’automobiles sont, depuis quelques années, sur un trend haussier, avec un nouveau record enregistré en 2018. Et nul ne peut ignorer que le crédit à 0% y a contribué pour beaucoup. Enrayer cette dynamique ne saurait profiter à personne…

Soumayya Douieb

Les articles de loi de la “discorde“

La loi 31-08, consacrée à la protection du consommateur et promulguée le 18 février 2011, dispose :
Article 100 : On entend par crédit gratuit, dans la présente section, tout crédit remboursable sans paiement d’intérêts.
Article 101 : Toute publicité effectuée dans le lieu de vente comportant la mention « crédit gratuit » ou proposant un avantage équivalent doit indiquer le montant de l’escompte consenti en cas de paiement comptant. Toute publicité comportant la mention « crédit gratuit » doit porter séparément sur tout produit, bien ou service.
Article 102 : Lorsqu’une opération de financement comporte une prise en charge totale ou partielle des frais de crédit, le fournisseur ne peut demander à l’emprunteur ou locataire une somme d’argent supérieure au prix moyen effectivement pratiqué pour l’achat au comptant d’un article ou d’une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité ou de l’offre. Le fournisseur doit, en outre, proposer un prix pour paiement comptant inférieur à la somme proposée pour l’achat à crédit gratuit ou la location.

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Récit d’un coup promotionnel devenu goulot d’étranglement

À en croire Aziz Cherkaoui, le crédit automobile à 0% devait être initialement un produit spot, destiné à accompagner les campagnes promotionnelles des concessionnaires. Une opération limitée donc dans le temps, même si elle pouvait ou devait être répétée. Le mal est entré par la grande porte lorsque la concurrence, entre sociétés de financement (certainement) mais surtout avec les banques qui se sont découvert une passion pour le crédit auto, a transformé des offres éphémères en pratique concurrentielle pérenne et systématique. « Ce qui n’est pas tenable sur le long terme », expliquait-il à un confrère. Pourquoi ? Le crédit n’étant pas réellement gratuit, et le client ne payant que le coût du bien en plus des frais de dossiers, les concessionnaires et les sociétés de financement se répartissent le coût de l’argent. Et à force de puiser dans leurs marges, celles-ci auraient fini par rogner leur rentabilité. On suppose que les autres produits, vendus à taux normal “compensaient“ un peu ces pertes de marge, jusqu’à ce que la concurrence n’exerce également une pression à la baisse sur ces taux. Mince!

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