«C’était plus fort que nous de continuer dans le fiasco total»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Le rideau est tombé, mardi dernier à Agadir, sur la 12e édition du Festival «Issni N’Ourgh» international du film amazigh (FINIFA). Le grand prix de cette édition a été décerné par le jury présidé par Fadma Ait Mous au long métrage «L’islam de mon enfance» de la réalisatrice Nadia Zouaoui. Dans cet entretien, le président de l’association  »Issni N’Ourgh »  braque les lumières sur l’état  de santé du cinéma amazigh dans la région du Souss-Massa et les raisons de l’ajournement de la 11e  édition du FINIFA, ainsi que d’autres questions relatives notamment à la protection juridique des droits de propriété intellectuelle et des droits voisins dans l’audiovisuel.

Al Bayane: En 2017, vous avez pris la décision de reporter le festival après une profonde réflexion. Où en sommes-nous de la ligne éditoriale du FINIFA en 2019? Le festival a-t-il retrouvé son identité dans  la diversité et le multiculturalisme?

Rachid Bouksim: Une profonde analyse circonstancielle  du paysage culturel et artistique au niveau national et régional a été derrière l’ajournement de la 11e  édition du FINIFA. C’était  plus fort que nous de continuer dans l’amalgame et le fiasco total. C’était aussi l’état des lieux qui nous a incités à faire un arrêt sur les différents aspects et éléments du problème des inputs et outputs de la réalité culturelle. Le report visait à alimenter notre vision future qui interpelle et remet en question la valeur ajoutée d’un  festival dédié au cinéma amazigh dans un milieu artistique et culturel ne servant en aucun cas notre vision.

Se retrouver après une année de pause consacrée à la réflexion et à la redéfinition de notre identité, nous le devons d’abord au public Issnioui en premier, mais également aux chers partenaires qui n’ont jamais cessé de nous soutenir avec conviction absolue.

Une rencontre autour de «la protection juridique des droits de propriété intellectuelle et des droits voisins dans l’audiovisuel» a eu lieu en marge des activités du FINIFA. Tout d’abord, quel regard portez-vous sur la situation des artistes amazighs, en particulier et marocains en général en matière de droits voisins et moraux dans le domaine du  cinéma et de l’audiovisuel ? Avez-vous des recommandations dans ce sens?

Je ne révèle pas de secret si je confirme que la raison d’être du FINIFA était de contribuer avec ses propres moyens à la garantie immédiate d’une vie digne aux artistes, de renforcer l’organisation professionnelle, en particulier l’égalité des chances –entre sensibilité amazighe et arabe et autre- en matière d’accès au marché du travail, et à promouvoir le cadre juridique régissant la pratique artistique.

La souffrance des artistes marocains n’est plus un tabou. Il ne faut plus dissimuler la forêt de problèmes dont souffrent le cinéma et l’art au Maroc généralement parlant avec un arbre artificiel. Et comme vous le savez, le Maroc a réussi à réaliser des avancées en matière de plaidoyer en faveur de l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos artistes, et ce, grâce aux efforts déployés par le corps artistique lui-même, et ceux des syndicats et le ministère de la Culture et de la communication, qui ont permis d’asseoir une importante plateforme juridique, renforcée par l’adoption de plusieurs lois régissant le secteur artistique, en particulier les lois relatives à l’artiste et aux professions artistiques, et aux droits d’auteur et droits voisins.

Nous avons lutté et espéré que la loi relative à l’artiste et aux professions artistiques apporterait des avantages visant à promouvoir la situation des artistes, consacrerait la diversité culturelle nationale et garantirait les droits financiers et moraux des artistes. Notons que la Constitution de 2011 a accordé une importance capitale à la culture en général et à l’art en particulier, en l’érigeant en pilier fondamental pour la promotion du développement durable.

Depuis sa création, le FINIFA a œuvré pour que la ville d’Agadir soit  la capitale de la culture amazighe. Qu’en est-il de ce grand projet?

Nous devions aller dans une direction qui recoupait les objectifs principaux de l’orientation stratégique du pays en ce qui concerne la question de notre identité.

 À la lumière des importantes réalisations accomplies aujourd’hui grâce aux luttes de nombreux acteurs et associations et organisations, et à l’investissement dans la constitution du dossier amazigh, que nous considérons comme positif et sans ambiguïté, il était nécessaire d’adopter un slogan résumant la profondeur de cet état des lieux, et c’était la naissance de : «Agadir, capitale de la culture amazighe».

Au lieu d’avancer  à chaque fois des mécontentements à cause des rancunes exprimées  ici et là, et qui vont contre le sens de l’adoption de l’amazighité du Maroc, en l’occurrence la proclamation  de nos villes capitales de la culture Arabe sur des terres amazighes, nous avons choisi de contribuer à la libération effective des mentalités, de ses mythes et à l’établissement d’un socle fort qui pourra soutenir l’édifice amazigh.

C’est un constat. Le film amazigh a été quasiment absent de la sélection du festival national du film de Tanger. Comment expliquez-vous cette absence?

C’est malheureux que le festival national du film de Tanger se soit passé sans aucun film amazigh. La direction du festival aurait dû prendre le film «Monsters» pour garantir la présence de la sensibilité amazighe au festival qui a une vocation internationale, reflétant par cet état l’image du Maroc dans sa pluralité.

Pensez-vous que les réalisateurs amazighs devraient s’ouvrir  sur d’autres perspectives et sensibilités pour que leur cinéma puisse embrasser d’autres lumières universelles?

Il est temps, pour nos réalisateurs, scénaristes, acteurs –comédiens et techniciens, issus de la région de Souss Massa,  d’opter pour la rénovation et la création pure et parfaite, vu beaucoup de signes qui nous enseignent que le domaine cinématographique va bon train dans la région Souss Massa.

Je rappelle qu’un projet d’accord de partenariat et de coopération entre le Ministère de la Culture et de la Communication, d’une part et le conseil de la région de Sous Massa visant à promouvoir la production de cinéma régional et amazigh en particulier, a été signé récemment, et que je considère comme une opportunité à saisir, mais avec conscience et persévérance aussi.

On a besoin de produire avec une vision allant vers l’universalisme, et l’acculturation, tout en puisant notre matière de la fertilité de notre identité et de notre civilisation, sous l’égide de l’amazighité que nous prônons toutes et tous.

J’appelle  donc à capitaliser sur les acquis accumulés et promouvoir la qualité et la pratique artistique émanant notamment de la région Souss Massa, qui peut faire face à plusieurs contraintes liées au manque d’aide et d’infrastructures culturelles et aux difficultés relatives à la commercialisation de la production artistique nationale.

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