Chajar ad-Dhur, l’esclave devenue reine d’Egypte

S’il y’a une femme qui a révolutionné l’exercice du pouvoir dans le monde musulman c’est bel et bien Chajar ad-Adhur. A l’origine esclave, elle accède plus tard au pouvoir. Elle règne sur l’Egypte, en tant que sultane et régente, pendant 80 jours, de mai à juillet 1250. Bien que l’histoire se déroule à l’époque médiévale, Chajar ad-Adhur, ou la «forêt de perles» sera la première et peut-être l’unique dirigeante musulmane à frapper des monnaies en son nom. Les sermons du vendredi, dans les mosquées égyptiennes, seront prononcés en son nom, durant son règne.

Faisant partie des « Mameluks » ou la tribu des esclaves turcs affranchis, rien ne prédestinait Chajar ad-Adhur à régner un jour en Egypte et surtout pas, en tant que sultane. Mais tout bascule quand Al-Salih Ayyoub, fils du sultan d’Egypte de l’époque, Al-Kâmil, est envoyé en exil à la forteresse de Kayfa, pour une négociation avec les croisés qui montent contre l’Egypte. Alors qu’il y est, on lui offre une esclave, dont il est épris de la beauté et fasciné par l’intelligence. Il l’appelle «forêt de perles» ou Chajar ad-Dur. Ils ont un fils, Khalil, qui meurt en bas âge. A la mort de son père en 1238, Al-Salih Ayyoub est contraint de rentrer au Caire pour monter sur le trône. Il abandonne ses anciennes épouses dans le lieu de son exil et ne prend avec lui que Chajar ad-Dur. Il l’élève au rang de première épouse. Ce qui lui permet de parvenir en peu de temps au faîte du pouvoir.

En 1244, Louis IX, alors roi de France, lance une 7e croisade. Les troupes quittent la France en 1248 et arrivent en Egypte en 1249. En ce moment, Al-Salih Ayyoub, roi d’Egypte, n’est pas dans le pays. Il est à Damas en Syrie. Face à l’incursion des croisés, Chajar-ad-Dhur décide d’organiser la défense égyptienne en tant que régente pour faire face aux croisés. La même année, Al-Salih Ayyoub revient de Damas, tombe malade et meurt quelque temps après, alors que la guerre se poursuit. Chajar ad-Dur s’accorde avec le chef des Mameluks, Fakr-ed-Dîn et le chef des eunuques royaux, Gamal ed-Dîn et prend la courageuse décision de dissimuler le décès du roi, son mari, pour ne pas affoler les troupes, en disant qu’il est malade. Entre temps, elle reste au pouvoir et organise le retour de l’héritier du trône, Turan Shah qui est en Syrie, pour prendre le commandement des forces de défense égyptienne. Celui-ci n’arrivera en Egypte qu’en 1250. Au moment où la nouvelle du décès du roi commence à se répandre, Chajar ad-Dhur a eu le temps de s’organiser et de prendre le contrôle des affaires du pays.

Malheureusement, comme l’héritier au trône a grandi hors du pays, notamment en Mésopotamie, il n’est pas connu du peuple, ce qui l’empêche d’asseoir sa légitimité. Il est jugé inapte, surtout que la ville de Damiette est prise d’assaut par les troupes françaises.

Louis IX parvient à tuer le chef des Mameluks, qui est la milice des esclaves affranchis, Fakr-ed-Dîn. Mais en février 1250, les forces françaises sont mises en échec à Mansurah. Louis IX est fait prisonnier. C’est la liesse parmi les Mameluks, mais aussi une victoire et un triomphe pour Chajar-ad-Dhur. Après cette victoire, les Mameluks s’en prennent personnellement à l’héritier au trône, Turan Shah, qu’ils assassinent. Ils l’accusent de favoriser ses troupes au détriment des Mameluks, qui sont des troupes d’esclaves affranchis.

Les troupes Mameluks portent alors Chajar-ad-Dhur sur le trône. Elle est proclamée «reine des musulmans». En tant qu’habile négociatrice, elle considérée comme celle qui est parvenue à sauver l’Egypte du désastre. Elle obtient la confiance des Mameluks et devient officiellement la «sultane» d’Egypte. A ce titre,  elle frappe des monnaies à son nom. Le sermon du vendredi au sein des mosquées égyptiennes, est lu en son. Elle reprend la ville de Damiette assiégée par les croisés français  et exige une énorme rançon pour libérer Louis IX.

Si Chajar ad-Dhur règne sur l’Egypte, le pays est en réalité sous l’autorité du Calife abbasside de Bagdad. Le calife informé que Chajar ad-Dhur, une femme, est à la tête du trône, n’est pas d’accord. Il refuse qu’une femme exerce le titre de sultan. Il envoie d’ailleurs une lettre aux émirs mameluks pour les avertir que s’ils ne sont pas capables de trouver un homme à la hauteur de sultan, il se ferait le devoir de leur en envoyer un. Chajar ad-Dhur exerce le pouvoir en tant que sultane pendant plus de deux mois, du 4 mai à juillet 1250. Finalement, pour satisfaire le calife abbasside, le mameluk Aybak est désigné comme sultan à la tête de l’Egypte. Mais les Ayyoubides, qui étaient jusqu’alors les tenants du pouvoir, ne voient pas cette décision d’un bon œil. Chajar ad-Dhur tient coûte que coûte à exercer le pouvoir. Elle séduit le nouveau sultan mameluk, Aybak, le pousse à divorcer de sa première épouse et se marie avec lui. Pendant les 7 années qui suivent, bien qu’Aybak soit sultan, c’est Chajar ad-Dhur qui exerce en réalité le pouvoir.

Sur les faits, Aybak est constamment absent d’Egypte puisqu’il doit faire face à l’opposition des ayyoubides de Syrie. Chajar ad-Dhur se fait appeler sultane, signe les décrets, frappe la monnaie à son nom. Cette situation déplait très fortement à son mari Aybak, qui décide de l’assassiner et de prendre une princesse iraquienne pour seconde épouse. Eprise d’une forte jalousie, Chajar ad-Dhur manigance l’assassinat de son mari. En avril 1257, elle le fait assassiner à la sortie du bain. Elle ne parvient pas à dissimuler le crime. Lors d’une émeute de trois jours, elle est finalement tuée à son tour par les esclaves du harem. Alî, le fils d’Aybak, de sa première épouse dont il avait divorcé, monte finalement sur le trône.  La dépouille de Chajar ad-Dhur est enterré dans un mausolée qu’elle avait fait ériger en 1250 de son vivant près des sépultures des saintes femmes au Caire.

Danielle Engoloe

Related posts

Top