C’est un nouveau paysage politique qui s’instaure devant nous. Les élections présidentielles françaises, après les Américaines, viennent de bousculer les schémas politiciens classiques.
Dimanche a été «intronisé» à l’Elysée un homme politique qui a été porté au pouvoir par un mouvement crée dans la foulée. Mélenchon a réalisé un score historique en dehors des partis de la gauche. Si on ajoute à cela que le «parti» venu en troisième position est celui des abstentionnistes et du vote blanc…on obtient un condensé de ce qui se passe un peu partout dans le monde.
Comment analyser cette nouvelle donne ? Il faut reconnaître que les grilles d’analyse classiques s’avèrent inadéquates. Il faut rouvrir la boîte à outils théorique pour y puiser de nouvelles références. Je propose dans ce sens un flashback sur les travaux de Toni Negri.Pour ceux qui n’ont pas vécu les années de plomb, ce nom n’évoque peut-être rien en dehors de sa jolie consonance italienne. Antonio Negri est pourtant un prestigieux intellectuel italien dont le parcours et le cheminement intellectuel sont la parfaite illustration de ce que furent ces années quand une jeunesse fut animée du désir “de monter à l’assaut du ciel”, à l’assaut de la citadelle capitaliste, pour rendre à l’humanité son horizon d’utopie.
Emprisonné en Italie, puis exilé en France, il fit des rencontres décisives notamment avec Gilles Deleuze et développa en parallèle une réflexion théorique nourrie des derniers développements économiques et sociaux avant de rentrer en Italie pour se livrer à la justice de son pays et retrouver une nouvelle fois la prison en 1997.
Aujourd’hui libre, Antonio Negri a retrouvé cette posture de maître intellectuel de toute une génération. C’est l’un des théoriciens les plus brillants des nouveaux rapports issus de la mondialisation et de la résistance qui se développent un peu partout contre la mondialisation libérale dont l’emblème a pour nom Seattle, Gênes, Barcelone… “Il s’agit, écrit-il, de la recomposition d’un mouvement au niveau international. Auparavant, les résistances existaient, çà et là, mais demeuraient isolées. Jamais un tel niveau d’horizontalité de communication n’avait été atteint”.
La diversité qui traverse ce mouvement illustre pour lui un concept qu’il avait convergé, à savoir la multitude ; il ne s’agit pas d’une catégorie politique mais d’une catégorie sociologique : la multitude post-moderne est cet ensemble de singularités dont l’outil est le cerveau et dont la force est la coopération, “la multitude est une multitude de travailleurs immatériels”. Son ouvrage (coécrit avec son ami Michael Hardt), Empire, est devenu la référence pour un grand nombre de militants anti-mondialisation. “Dire que nous sommes dans l’empire, ce n’est pas une métaphore, écrit-il ; cela veut dire que le “gouvernement mondial” n’a plus de frontières territoriales et qu’il s’étend à tous les niveaux de l’ordre social”.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère dite principalement post-moderne et post-fordiste caractérisée par la caducité des catégories comme Etat-nation, parti… dont le macronisme est désormais l’emblème. Les vieilles formes de souveraineté ont fait leur temps. Tous les paradigmes sur lesquels nous avions fondé nos systèmes d’interprétation et de transformation du monde sont devenus inopérants. La forme de domination de l’empire est inédite, elle touche à la régulation de tous les niveaux, passant de la gestion des interactions humaines à la régulation directement de la nature humaine. Une forme intitulée le “biopouvoir”.
Mais ce triomphe absolu se réalise dans les conditions de son déclin : le réseau de la mondialisation s’étend partout mais les réseaux de la résistance le touchent au cœur. Si l’Empire s’avère une formidable entreprise de domination, il génère aussi en son sein, et c’est là un point central, les conditions de son propre dépassement. Reste à trouver le comment.
Mohammed Bakrim