Ses créatures et le monde des choses omises

Chez l’artiste, l’écriture, la vie et ses aléas, et la peinture mêlent leurs destinées. Il s’en suit une lecture de son œuvre forcément multiple, capable de dénombrer les signes assurément divers mais palpables qui y sont inscrits. À l’échelle du symbole sans l’être vraiment, puisque mêlé à l’emploi d’un emprunt au réel des choses et des êtres. Et au niveau de la trace sans que cela soit un objectif en soi, du moment où l’artiste soigne la répartition de ces choses et de ces êtres ici ou là.

Car il s’agit évidemment d’une expérience artistique avant tout, particulière et digne d’être approchée par l’analyse. Dans le sens d’une réflexion entretenue sur l’importance et le rôle de l’art à créer une philosophie de vie et de vue. Elle part tout autant de l’acte inspiré comme de l’acte du constat visuel immanent du vécu. C’est une simultanéité recherchée par tous les peintres. Réussir le côté formel que requiert tout lexique de l’art plastique, et pouvoir exprimer sa pensée liée à ses propres émotions.

De ce fait, dans ses toiles, pastel et gouache des débuts ou les techniques mixtes résultats de son séjour espagnol à Valencia, on trouve un ensemble de lignes, de couleurs, de formes et des figures, baignant dans un arrière-fond bleuté, flamboyant ou résonnant de couleurs neutres en général. En outre, un thème à priori clairement défini est latent et présent entre les éléments de cet ensemble captivant pour la réflexion, interrogatif pour l’œil. L’artiste n’a de cesse d’éloigner l’apparent afin de creuser les fonds d’une plasticité expressive. Mélange de figuration simulée et d’abstraction révélatrice.

Sous le signe de l’être

Commençons par la domination d’une figure : une créature qui tient du fabuleux, du cruel et de l’humain. Un être pris au centre de tant de tableau, dominant son espace sans se doter d’un attrait de suggestion heureuse. Car elle est figure de l’oppression exercée sur le corps.  Un corps dilaté, distordu sans être révulsant, ne possédant aucun référent reconnaissable. La plupart du temps (temps affilié à chaque toile) arborant une chair d’un jaune très pâle ou d’un orange sombre. On y trouve le prototype de l’homme transformé contre son gré par la dureté du verbe «exister» au milieu d’un monde surchargé de négativité, résumé par l’accumulation de longues files de quotidiens dénués de clémence. C’est tout bonnement la vie prise du côté de la lutte perdue. Ce qui accentue cette vision de l’être, voit son départ dans le mouvement. Car ces créatures se meuvent et prennent diverses postures. Accablement. Marche forcée. Génuflexions. Et bien d’autres situations d’extrême combat rendu par ces figures aux extrémités pointues, nus de tous les traits identifiables en tant que paisiblement humain.

On en veut pour exemple édifiant une singulière toile toute en feu, apocalyptique. Elle présente quatre êtres nus, indifférenciés, les contours et la peau humains, affichant les signes des pleurs de la catastrophe et de la désolation, portant un des leurs sur une civière de mort Tandis qu’un autre se lamente, crie fort. Scène montrant ce chemin vers un ultime ou un énième voyage. Chafik Ezzougari dans ce travail ne donne pas dans la facilité illusoire ni dans la bienséance mensongère. Il détruit par le moyen de sa palette vive l’illusion et peint la condition humaine dans ce qu’elle a comme seule certitude. Il nous rend à nous même. Par cette intensité prêtée au pinceau, en entier, mais aussi par la quête en détail de ce qui la désigne dans la vie de tous les jours. Car l’extrême est annoncé, il ne vient pas d’un seul coup. C’est un itinéraire et une expérience de vie.

Sous le signe des choses

On le comprend un peu plus lorsqu’on entreprend de dresser l’inventaire des éléments qu’il jette dans ses tableaux et qui, tous tirent leurs origines de thèmes adjacents à cet être créé comme fabuleusement représentatif d’un vécu sans salut.

Les roues, l’échelle miniature, le papier hygiénique, le pain de sucre, le pigeon emprisonné, les chiffres indicateurs des marchandises, les tickets de train, les contenus des poubelles, Son expérience comme employé dans un usine d’emballage en Espagne, l’a poussé à utiliser le carton comme support et les objets inutiles comme matériaux et matière de son travail artistique.

C’est une composition réfléchie dont l’objectif est de rendre compte du poids du temps qui passe (la roue), de l’espoir suspendu (échelle), de l’élan arrêté (les tourbillons) de la difficulté de changer le cours des choses (chiffres, flèches, pigeon emprisonné) …etc. l’expérience artistique est ici un récit ou le concept plastique fait place à une vision du monde. La contemplation est lecture. Peindre est une prise de position. Chose qu’il entreprend aussi et avec la même abnégation dans ses écrits critiques très prisés.

M’barek Housni

(Écrivain et chroniqueur)

Related posts

Top