Du bon usage des sondages

Parfois, ils sont la première victime d’une élection

Déjà à la veille de la proclamation des résultats du premier tour des présidentielles françaises, les sondages d’opinion avaient déjà leur certitude : les deux candidats pour le deuxième tour seront Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ils ont même tracé en filigrane le scénario du deuxième tour : dans tous les cas de figure et quel que soit son adversaire, la représentante de l’extrême droite serait perdante. Seul l’écart varie selon le candidat en face.

Les sondages d’opinion ont constitué un élément moteur de cette élection : plus de 300 enquêtes ont été ainsi commandées par différentes instances. Une omniprésence dans le paysage politique malgré quelques grands ratages. Sans remonter loin dans l’histoire du cas français (avec les élections de 1995 et de 2002), je rappelle tout simplement que les sondeurs sont passés à côté du vote pour le Brexit, de la victoire de Trump et même pour les primaires aussi bien de la droite que de la gauche en France.

En fait, les sondages d’opinion ont un drôle de statut; ils dégagent une réception plurielle qui ne manque pas de paradoxes, allant d’une vision positive à une approche critique. Il nous semble cependant que toute analyse du phénomène  des sondages doit s’inscrire dans la lecture de l’évolution que connaît actuellement la démocratie représentative; celle-ci est marquée fondamentalement par le paradigme de la communication, désormais donnée incontournable de la vie politique.

La conception de la démocratie fondée sur les principes de la séparation des pouvoirs et des élections libres a atteint   ses limites historiques. Les structures de médiation modernes, telles la télévision d’abord, les médias sociaux ensuite, influencent de plus en plus la pratique démocratique et lui donnent carrément une nouvelle configuration. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’ampleur que prennent désormais les sondages d’opinions et que l’on découvre chez nous non sans une certaine dose de naïveté.

Les sondages se présentent, dans la perception de leurs promoteurs, comme une composante complémentaire de l’action démocratique, une autre forme de médiation qui informe sur l’état de l’opinion publique. Pour les décideurs, le sondage est un élément d’aide à la prise de décision. La multitude des sondages, sur tous les sujets et dans tous les domaines, s’explique par la volonté d’anticiper le feed-back à propos d’une position déterminée. Ce retour d’information virtuelle permet de rectifier ou d’appuyer une proposition. Regardez ce qui s’est passé  à propos de la candidature aux élections présidentielles du dernier arrivé, Emmanuel Macron : la courbe de popularité a été un facteur décisif dans la date de la confirmation de candidature avec retour immédiat de l’effet de  cette annonce sur ladite courbe.

On peut élargir ce comportement à des questions politiques plus pointues comme à d’autres secteurs d’activités dont la gestion d’une entreprise où les sondages directs tendent à remplacer les réunions de comité d’entreprise sur des décisions touchant à des registres comme le rythme de travail par exemple.

Les médias sont également d’autres grands  consommateurs de sondages: en l’absence d’évènements, on peut en créer à travers les résultats d’un sondage. Sur des sujets d’actualité ou sur des phénomènes de société, on peut titrer d’une manière sensationnelle en s’appuyant sur telle tendance de l’opinion qui se dégage d’un sondage. Les sondages d’opinion produisent aussi de nouveaux intervenants dans l’espace public, comme les commentateurs de sondages.

Des experts qui occupent une position médiane entre l’université et les médias et viennent comme des passeurs commenter, lire entre les lignes, et proposer des pistes de lecture. Bref, toute une nouvelle  activité  se crée développant une délocalisation du débat public, de ses enceintes traditionnelles: le parlement, les partis politiques vers de nouveaux espaces comme les plateaux et les studios de télévision, les réseaux sociaux numériques. Est-ce que la démocratie y gagne? Une réponse citoyenne: le spectacle y gagne, la démocratie non.

Top