Faire émerger des champions au cœur de l’Etat pour réussir les réformes

« Le Maroc à Venir » de Mohamed Alami Berrada

Mohamed Alami Berrada explique, dans son ouvrage « Le Maroc à Venir » les raisons pour lesquelles notre pays n’a pas encore réussi à relever les défis adaptatifs exigeant des changements de comportements humains et ce malgré les efforts investis et les ressources mobilisées.

Si, depuis deux décennies, le Maroc a réussi à relever de nombreux défis techniques qui nécessitaient de mobiliser des ingénieurs et des technocrates (électrification, adduction d’eau, infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, etc.), nous avons failli dans la majorité des défis adaptatifs qui exigeaient des changements de comportements humains à grande échelle, malgré que nous y ayons investi beaucoup d’efforts et de ressources : éducation nationale, services de santé, réforme de l’administration, lutte contre la corruption. Ce qui rend beaucoup d’entre nous, assez sceptiques, face à l’espoir de voir réussir l’actuelle vague de réformes.

L’auteur se pose la question : Pourquoi n’arrivons-nous toujours pas à relever ces challenges adaptatifs qui exigent de faire évoluer des mentalités figées et de convaincre des milliers de personnes de changer leurs pratiques ? Probablement parce que nous n’avons pas vu qu’il fallait ajouter des ingrédients qui se sont révélés incontournables dans les pays ayant réussi de telles réformes : le déploiement d’une culture managériale et l’institutionnalisation de la pratique du leadership, au cœur de la fonction publique.

Selon Mohamed Alami Berrada, cofondateur du Moroccan Leadership Institute (M.L.I), instaurer le management public, implique une révolution copernicienne dans la culture de l’administration, qui consiste à mettre en place, pour chaque entité, des objectifs chiffrés, des deadlines, de l’évaluation périodique et une valorisation chiffrée de la valeur publique créée, permettant d’identifier des leviers pour maximiser la production publique. Cela implique de mettre la méritocratie au cœur du système pour faire émerger une nouvelle génération de ‘champions’, des entrepreneurs publics à qui l’on consentirait la possibilité de prendre des risques et le droit à l’erreur, pour leur donner l’occasion de s’épanouir dans l’exercice de leur fonction ainsi réinventée.

Ce qu’il décrit ici, bruisse aux oreilles des hauts fonctionnaires marocains avec lesquels il a échangé, comme une utopie presque impossible à envisager avec la culture actuelle de l’administration. Pourtant cela représente une réalité concrète dans d’autres pays, dont le plus proche de nous, est Dubaï, qui a réussi à passer d’une culture bureaucratique à une culture de management public, en une décennie.

L’auteur se pose également la question : Est-ce, parce que cette réforme – préalable, à son sens, à toutes les autres réformes – est difficile à réaliser, qu’il faut y renoncer ? Selon lui, pour courir la chance de réussir le déploiement du nouveau modèle de développement, nous aurons immanquablement besoin d’en passer par là, pour galvaniser des centaines de femmes et d’hommes dynamiques avec un véritable sens de la responsabilité et une obsession du long terme, de l’excellence et de la performance.

Aussi, comment peut-on convaincre de nouveaux profils de rejoindre le secteur public, dans un contexte lors duquel l’image employeur de l’Etat s’est beaucoup dégradée ? Actuellement, le passage du secteur privé vers le secteur public est, pour ceux que l’aventure peut tenter, presque impossible à envisager, en raison des écarts salariaux et de la prise de risque que ce changement constitue pour leur carrière et la difficulté d’un éventuel retour dans le privé.

Pour lever ces réserves, il est proposé, dans le Maroc à venir, de créer un nouveau dispositif de « Détachement au Service public », qui servirait de passerelle attractive et rassurante pour les profils qui font prospérer, aujourd’hui, le secteur privé et qui cherchent à relever de nouveaux challenges professionnels, tout en contribuant au bien commun. Ainsi ce détachement, permettrait aux entreprises privées, d’une certaine taille, de détacher les collaborateurs qui se porteraient volontaires pour aller rejoindre temporairement la fonction publique, en leur garantissant deux avantages : couvrir le différentiel de salaire éventuel, et garantir des conditions de retour, s’ils souhaitent revenir, dans les cinq ans.

Enfin, il s’agit de renforcer les compétences existantes dans l’administration publique, notamment en institutionnalisant la formation continue au leadership et la conduite du changement au profit des hauts fonctionnaires et des hauts cadres. Ces profils, souvent experts dans leur domaine, se retrouvent parfois démunis pour lever des freins irrationnels, issus de loyautés invisibles, ou pour manœuvrer, face à des egos institutionnels hérités d’une culture bureaucratique dépassée.

Former un fonctionnaire ou un expert-métier au leadership, c’est l’équiper d’outils pour dépasser les blocages entre factions, faire face aux résistances conscientes et inconscientes et pour lever les infinités de micro-blocages qui empêchent les réformes d’aboutir. Il est urgent de répondre à ce besoin de formation en leadership en déployant des programmes de Leadership in Governance, spécifiquement développés pour le public marocain, à destination des hauts cadres travaillant pour les gouvernements et les agences publiques et gouvernementales.

A plus haut niveau, l’auteur constate que depuis la disparition d’Abdelaziz Meziane Belfqih, la dynamique de recrutement de nouveaux hauts commis de l’Etat pour diriger les départements ministériels et les agences publiques s’est sensiblement ralentie, d’où il faut institutionnaliser l’ activité de ‘chasseur de têtes’, pour coopter les meilleurs, à contribuer au plus haut sommet de l’Etat, en tant que ministres, conseillers, ou sherpas. Cette ‘fonction’ pourrait être dévolue au Conseil de la Nation (voir encadré), qui aurait, entre autres missions, de veiller à renforcer en permanence les compétences de la très haute fonction publique, en actualisant, chaque année, un ‘vivier de talents’, une liste de hauts potentiels répondant à une batterie de critères préalablement établis. Le Conseil serait chargé de les coopter et de les préparer à leurs futures responsabilités, en investissant dans leurs compétences, par des formations exécutives au Maroc et outre-Atlantique.

Toutes ces propositions constituent une véritable révolution dans la culture RH au cœur de l’Etat qui sera, certes, difficile à opérer et prendra au moins une décennie, à être réalisée. Pour changer des mentalités bien ancrées, vaincre de terribles forces de résistances, déraciner des habitudes bien installées et faire accepter les sacrifices nécessaires, une telle évolution au cœur de l’État, ne pourrait réussir que si elle était initiée et soutenue au plus haut niveau, à l’occasion du lancement du nouveau modèle de développement.

Qu’est-ce que le Conseil de la Nation ?

Le Conseil de la Nation est une instance qu’envisage l’auteur du Maroc à venir.

Ce nouvel espace-temps « d’échange constructif et bienveillant », à l’image de l’action réalisée par la Commission spéciale sur le modèle de développement, veillerait à la convergence continue entre orientations de la Monarchie et attentes du Peuple, et institutionnaliserait le pilotage des réformes lancées.

Le Conseil de la Nation serait une instance mixte, composée de représentants du Monarque et de représentants du Peuple, avec trois fonctions permanentes : 1. Echanger et communiquer annuellement sur l’état de la Nation et sur l’avancement des réformes. 2. Faire évaluer la qualité de conception des stratégies nationales avant de les faire approuver, et suivre ensuite leur réalisation. 3. Renforcer les compétences de la haute fonction publique, en constituant un ‘vivier’ d’acteurs en mesure de conduire le changement.

Le Conseil de la Nation, constitué d’une trentaine de membres, serait présidé par le Monarque et se tiendrait à huis-clos, une fois par an. La moitié de ses membres seraient des représentants du Monarque (ses conseillers) et l’autre moitié des représentants du peuple, des « sages », anciens hauts commis de l’Etat aguerris, choisis par le parlement, sur la base de leur indépendance et de leur sagacité, pour pouvoir tenir un discours de vérité, et se prononcer en toute liberté.

Mohamed Alami Berrada est enseignant-formateur en leadership, co-fondateur du Moroccan Leadership Institute (M.L.I)  et a été, en charge du dossier de l’emploi des jeunes, aux services du chef du gouvernement, de 2017 à 2020.

Légende :

Le Maroc à venir essai publié chez Senso Unico Editions en Septembre 2020 (108 pages).

Ouvrage également disponible en langue arabe, depuis Avril 2022, en kiosque et en librairie, sous le titre ‘ Le Maroc et les enjeux de la réforme’

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