Finances & Management: Le Maroc face au BRIC!

Si partir à la conquête de l’Afrique de l’Est est indéniablement une excellente nouvelle pour l’économie marocaine, il n’en reste pas moins que le Maroc est loin d’être seul sur ce terrain. Les puissances coloniales traditionnelles de l’Afrique ont certes une présence moins marquée, mais le quatuor Brésil, Russie, Inde et Chine est lui bel et bien là !

Aujourd’hui, le Maroc peut se prévaloir de bien connaître l’Afrique de l’Ouest, même si de nombreux progrès restent à accomplir et que des efforts certains sont encore à fournir. Dès lors dans cette région-là, le Maroc dispose de nombreux avantages compétitifs (langue, proximité géographique, présence historique, …) qui lui permettent de faire honorablement face aux puissances en présence, car les BRIC aussi investissent l’Afrique de l’Ouest. En revanche, en Afrique de l’Est et dans le reste de l’Afrique de manière générale, c’est une autre paire de manche. D’autant plus que la plupart des pays africains perçoivent désormais les BRICS comme l’opportunité d’une nouvelle coopération Sud-Sud, l’opportunité d’un réel développement, en tous cas d’un développement plus susceptible de se réaliser qu’avec les partenaires traditionnels.

Le Maroc bien évidemment s’inscrit  lui aussi dans cette logique. Cependant il a tout intérêt aussi à scruter minutieusement les méthodes d’approche de ces pays et à fortement s’en inspirer, même si définitivement il ne peut se mettre sur le même pied d’égalité qu’une Chine, premier partenaire commercial du continent depuis 2009 !

La Chine- Afrique, où en est-on vraiment ?

Car s’il y a bien un pays qui se distingue en matière d’échanges, d’investissements et de développement en Afrique, c’est incontestablement l’Empire du milieu. Quelques chiffres pour commencer.  Le montant des échanges commerciaux entre Chine et Afrique dépassait les 200 milliards de dollars en 2014 et le premier ministre chinois, Li Keqiang, a dit, en mai 2014, vouloir atteindre d’ici 2020 les 400 milliards de dollars ! Il existe 2500 société chinoises implantées en Afrique qui couvrent de nombreux secteurs, des mines au pétrole ou à l’énergie en passant par les télécoms, la construction et toutes les infrastructures de transport. En 2013, la Chine est devenue le quatrième investisseur en terre africaine derrière la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et le premier investisseur émergent, loin devant l’Inde, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Enfin, selon une source française citée par le quotidien Le Monde, la Chine aurait accordé 75 milliards de financements publics en Afrique entre 2000 et 2011. Pékin a séduit de nombreux Etats africains en leur proposant une offre cousue main : les services de ses entreprises et son aide financière.

Mieux encore. Pour atteindre ses objectifs à l’horizon 2020, notamment en Afrique, la Chine a lancé en 2014 la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructure (AIIB). « Outre l’objectif initial de favoriser l’intégration régionale en répondant aux besoins d’infrastructures, l’AIIB est aussi une manière de concurrencer les grandes institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale) et de faire émerger un nouvel ordre économique mondial dans lequel le rôle des pays émergents et des acteurs régionaux serait renforcé», peut-on lire dans le rapport 2015 de l’Institut Amadeus, «Le Maroc en Afrique :La Voie Royale».

La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, qui devait commencer ses opérations au deuxième trimestre 2016, servira inéluctablement les intérêts géopolitiques et économiques de la Chine en Afrique. Car, faut-il rappeler, nombre de pays africains donnent aujourd’hui la priorité aux infrastructures. La AIIB ouvre ainsi clairement de nouvelles perspectives de coopération pour les entreprises chinoises dont la réputation n’est plus à faire en matière de chemin de fer depuis la construction, entre 1973 et 1976, du Tanzam, ces 1 600 kilomètres de voie ferrée qui permettent à la Zambie d’exporter son cuivre à partir de la côte tanzanienne. D’ailleurs, la nouvelle ligne Addis-Abeba- Djibouti, est financée et construite par des Chinois et de nombreux autres projets ferroviaires, d’un montant total de 10 milliards de dollars, sont d’ores et déjà engagés en Afrique de l’Est, notamment au Kenya !

Avec l’AIIB, Pékin vend aussi son approche win-win. En effet, « plusieurs pays notamment en Afrique de l’Est, se plaignent déjà d’une dollarisation trop grande de la société à laquelle l’AIIB pourrait remédier sur le long terme », relève l’Institut Amadeus.

A noter que la promotion de la coopération sino-africaine selon ce principe de coopération gagnante-gagnante est aussi savamment entretenue par la tenue de plusieurs sommets et conférences, en particulier le Forum de Coopération Chine-Afrique (FOCAC) organisé tous les trois ans depuis 2000. Le dernier en date : le sommet du Forum de la coopération sino-africaine tenu les 4 et 5 décembre 2015 à Johannesburg, où dix grands projets de coopération ont été lancés pour les années 2016-2017. A titre d’exemple, sur le chapitre de la coopération financière, il a été décidé que « la partie chinoise accordera aux pays africains 35 milliards de dollars de prêts de nature préférentielle, mobilisera progressivement un apport supplémentaire de 5 milliards de dollars au Fonds de développement Chine-Afrique pour le porter à 10 milliards de dollars et portera progressivement un apport supplémentaire de 5 milliards de dollars au crédit spécial pour le développement des PME africaines pour le porter à 6 milliards de dollars », annonce un support de presse algérien, l’Algérie étant un des premiers partenaires de la Chine en Afrique  !

La «Renewed Africa Policy» de l’Inde!

Si la Chine domine, l’Afrique se fortifie également de la diversification de ses échanges avec de nouveaux pays émergents tels que le Brésil, la Turquie, la Malaisie, la Corée du Sud mais surtout l’Inde !

Depuis les années 1990, l’Inde a effectivement de plus en plus affirmé sa politique africaine, comme en témoigne sa «Renewed Africa policy» et la création du sommet Inde-Afrique en 2008. A l’issue d’une longue période de stagnation, les relations commerciales entre l’Inde et l’Afrique ont dès lors connu une hausse spectaculaire passant de 967 millions de dollars en 1991 à près de 75 milliards dollars en 2014, à telle enseigne que l’Afrique représente désormais 9.65% du volume des échanges totaux de l’Inde.

Aussi, les entreprises indiennes ont investi les grands secteurs de l’économie africaine tels que les matières premières, l’industrie automobile, les infrastructures, la téléphonie ou encore l’industrie pharmaceutique et les produits de beauté. Le géant conglomérat indien Tata par exemple, fort de son implantation en Afrique depuis les années 60, s’est implanté dans 11 pays et dans certains, sa présence est très remarquée: en Afrique du Sud, Tata Steel a construit une fonderie de ferrochrome ultra moderne dotée d’une très forte capacité de production annuelle ; en Ouganda, tous les autobus sont de marque Tata; le secteur pharmaceutique n’est pas en reste et le géant du médicament générique Cipla occupe une place prépondérante sur le continent où le laboratoire a ouvert des unités de production.

Mais il faut dire que désormais, « New Dehli s’intéresse aux matières premières africaines et en particulier, à l’approvisionnement en énergie et en ressources minérales, dont le pays a besoin pour soutenir sa quête d’industrialisation et soutenir sa croissance économique qui s’élevait à 8% au cours de la dernière décennie. Par ailleurs, l’Inde, qui importe 80% de son pétrole dont près de 66% du Moyen-Orient, a manifesté son souhait de réduire cette dépendance en se tournant vers le continent africain », soutient le rapport de l’Institut Amadeus.

C’est ainsi que le pays a signé plusieurs accords de collaboration avec des pays africains producteurs de pétrole, d’uranium ou encore de charbon, en tête de liste le Nigéria, suivi du Soudan. Récemment l’Inde s’est également tournée vers l’Angola, l’Ouganda et le Ghana.

Parallèlement à cela, les investissements indiens se sont diversifiés et se sont étendus à un nombre plus important de pays africains. En effet, en 2011, ils ont dépassé les 16.8 milliards de dollars et n’étaient plus seulement destinés qu’aux pays partenaires traditionnels de l’Inde, c’est-à-dire les pays anglophones de l’Afrique de l’Est et ceux riverains de l’Océan Indien. Ils concernent désormais d’autres pays tels que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire où les géants IFFCO (alimentaire) et Tata (transport) ont respectivement fait leur apparition. Enfin, le deuxième pays le plus peuplé au monde bénéficie dans sa stratégie d’une forte diaspora, héritage de la colonisation britannique. Près de 3 millions d’Indiens travaillent aujourd’hui dans les pays d’Afrique orientale et australe principalement, et dans des secteurs très variés.

Enfin, l’Inde aussi use de son soft power et se veut de plus en plus coriace à travers ses institutions de recherche et d’enseignement supérieurs qui tendent à devenir la première industrie du pays depuis quelques années.

Entre impératifs business et géopolitique

Si les autres pays des BRICS se tournent principalement vers l’Afrique pour assurer leur approvisionnement en matières premières et en énergies fossiles, le Brésil quant à lui cherche surtout à internationaliser la production de ses grands groupes et notamment Petrobas pour les hydrocarbures. Les projections prévoient cependant une augmentation exponentielle des investissements, à condition que certains obstacles, pointés du doigt par le gouvernement brésilien, soient levés. Toutefois, le Financial Times estime que le flux d’investissements entre 2003 et 2009 du Brésil vers les pays africains représentait environ 10 milliards de dollars. Un chiffre qui peut sembler modeste mais qui l’est moins au regard du total des IDE –Investissements directs étrangers-brésiliens sortant au cours de cette même période et qui s’élève à 58.2 milliards.

Les échanges commerciaux entre le Brésil et le continent africain se sont surtout intensifiés entre 2002 et 2008 pour atteindre les 25 milliards. Globalement, l’Afrique est une des principales destinations des produits manufacturés brésiliens après l’Amérique Latine. En effet, dans nombre de pays de ces régions, les produits manufacturés brésiliens demeurent plus compétitifs en termes de rapport qualité-prix que ceux des pays européens ou amé- ricains. Les exportations sont pour la plupart composées de produits de faible valeur ajoutée et restent encore peu diversifiées tels que les véhicules, le sucre, les volailles, le fer ou encore d’autres minerais. Récemment, le Brésil a commencé à exporter d’autres produits tels que les avions, les meubles ou encore les produits d’industrie chimique. Les principales destinations des exportations brésiliennes sont destinées à l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Angola et le Nigéria, qui ont représenté à eux seuls 67% des exportations vers le continent durant la fin de la dernière décennie. Toutefois, malgré des chiffres bien plus modestes avec les autres pays du continent, la tendance des flux commerciaux est clairement à la hausse.

Pour la Russie, il s’agit d’un autre cas de figure. Pendant longtemps, l’Afrique ne faisait pas partie de son agenda économique international. Résultats des courses, en 2014, le volume des échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique s’élevait à 12 milliards de dollars, principalement avec les pays d’Afrique du nord (10.8 milliards de dollars avec l’Algérie, 5.4 milliards avec l’Egypte, et 1.5 milliard avec le Maroc).

9029170-14341644«S’il est vrai que les opportunités que recèle la coopération russo-africaine demeurent largement sous-exploitées et que le volume d’échanges entre les deux parties reste timide en comparaison avec les autres pays des BRICS, Moscou a déployé un important arsenal de multinationales sur le continent. En effet, en Afrique du Sud par exemple, les groupes Renova (société d’investissements) et Mechel (minerais, métaux) sont bien implantés. En Guinée, ce sont les entreprises Rusal (aluminium) et Severstal (sidérurgie) qui sont très actives», soulignent les experts de l’Institut Amadeus. Toutefois l’Afrique du Sud reste le premier partenaire commercial de la Russie en Afrique subsaharienne : les échanges commerciaux entre les deux pays ont triplé au cours des cinq dernières années et Moscou occupe le 5ème rang en volume d’investissements en Afrique du Sud.

D’autres partenariats nouveaux avec des pays émergents viennent renforcer de manière concrète la coopération Sud-Sud. En 2012, le volume des échanges s’élevait à 22 milliards de dollars pour la Corée du Sud et 19 milliards pour la Turquie. La Malaisie quant à elle ne représente certes pas un partenaire commercial de premier plan pour l’Afrique (9 milliards en 2012) mais atteint des sommets en termes d’investissement, devançant la Chine et l’Inde.

Cependant la Chine garde une emprise sur l’Afrique difficile à détrôner : outre l’implantation des principaux médias chinois, la Chine a mis un réel coup d’accélérateur au développement d’Instituts Confucius, aux échanges académiques, ou encore aux accords culturels avec 65 partenariats signées,   qui ensemble jouent également un rôle essentiel dans la stratégie de soft power chinois…

Soumayya Douieb

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