Une urgence pour une meilleure prise en compte des personnes en situation de handicap au Maroc

Appel à un Recensement Inclusif

Par Idir Ouguindi, Consultant en Développement Inclusif et Handicap

Le recensement général de la population, prévu au Maroc en septembre 2024, représente une occasion cruciale pour combler une lacune majeure : l’absence de données récentes et précises sur les personnes en situation de handicap (PSH). Depuis 2014, aucune mise à jour des statistiques sur le handicap n’a été réalisée, laissant les décideurs publics et les organisations concernées sans informations fiables pour élaborer des politiques inclusives et efficaces.

Ce recensement doit impérativement intégrer une perspective qui reflète les réalités et les défis auxquels sont confrontées les PSH, afin de lutter contre leur exclusion sociale et professionnelle. Les obstacles à une pleine participation des personnes handicapées dans la société sont multiples et bien documentés, mais ils ne pourront être surmontés que si nous disposons de données actuelles et détaillées. Ces données sont essentielles pour identifier les disparités existantes, orienter les décisions politiques, et mesurer les progrès réalisés en matière d’inclusion.

Parallèlement, le handicap aggrave les risques de pauvreté en réduisant les possibilités d’accès à l’éducation, à l’emploi et à un salaire correct, alors que le coût de la vie est plus élevé pour une personne souffrant de handicap. Cette réalité renforce l’urgence d’une collecte de données rigoureuse pour mieux orienter les politiques publiques.

Pour garantir la qualité et la comparabilité internationale des données collectées, il est indispensable d’adopter les recommandations du Groupe de Washington, qui a élaboré des outils spécifiques pour évaluer le handicap. Par exemple, le Washington Group Short Set on Functioning (WG-SS) permet d’évaluer les difficultés rencontrées par les individus dans des domaines clés tels que la vision, l’audition, la mobilité, la cognition, les soins personnels et la communication. Ces questions, conçues pour capturer l’expérience quotidienne des personnes, s’éloignent des approches médicalisées pour se concentrer sur la capacité d’une personne à participer à la vie quotidienne, alignant ainsi la collecte de données avec les principes de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du modèle de développement du Processus de production du handicap (MDH-PPH).

L’intégration du WG-SS dans les enquêtes nationales est déjà encouragée par des organisations telles que l’Organisation internationale du travail (OIT), qui a inclus ces questions dans son questionnaire modèle pour les enquêtes sur la main-d’œuvre. Cependant, malgré leur adoption à grande échelle, ces mesures doivent être adaptées au contexte marocain pour refléter fidèlement les défis locaux.

Il est également crucial que ce recensement permette de mesurer la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) en lien avec les personnes handicapées. Le Maroc, en tant que signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies, est tenu de collecter et de ventiler les données conformément aux articles 4 et 31 de la Convention. Cet engagement est renforcé par la promesse de 193 pays, y compris le Maroc, de collecter des données sur les PSH et de les intégrer dans le cadre des ODD.

Sans des données fiables et récentes, les personnes en situation de handicap continueront d’être marginalisées, invisibles dans les statistiques nationales et exclues des processus de planification et de budgétisation. Le recensement de 2024 doit donc être conçu pour corriger ces lacunes, en investissant dans des systèmes de données nationaux plus inclusifs et en assurant une collecte de données rigoureuse, conforme aux normes internationales.

Les résultats de ce recensement seront déterminants pour orienter les politiques publiques, combler les écarts existants et garantir que les PSH soient prises en compte dans tous les aspects de la vie sociale et économique du pays. Il est temps d’agir pour une société marocaine véritablement inclusive, où chaque citoyen, sans exception, a la possibilité de contribuer pleinement à la construction de notre avenir commun. Comme l’a souligné Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2019 : « Notre pays ne peut avancer dans la justice et la prospérité qu’en veillant à l’inclusion de toutes ses composantes, y compris les personnes en situation de handicap, qui doivent bénéficier de toutes les opportunités pour vivre dignement. »

Un recensement inclusif en 2024 n’est pas seulement un impératif moral et légal, c’est aussi une opportunité pour le Maroc de renforcer son leadership dans la promotion des droits des personnes handicapées. Les données que nous collectons aujourd’hui détermineront la qualité des politiques publiques de demain. Il est temps d’agir pour garantir que toutes les voix, y compris celles des PSH, soient entendues et prises en compte dans la construction de notre avenir commun.

L’importance de cette démarche ne peut être sous-estimée. En 2017, plusieurs organisations internationales, en consultation avec des agences des Nations Unies, ont identifié des indicateurs essentiels qui doivent être ventilés par handicap pour obtenir une vision claire de la situation des PSH à travers le monde. Le Maroc, qui a signé et ratifié sans réserve la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, a l’obligation de respecter ses engagements internationaux. Le manque de données actuelles ne fait qu’accentuer la marginalisation des PSH, les privant d’un accès équitable à leurs droits fondamentaux tels que la santé, l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi et les loisirs.

La planification et la budgétisation d’aménagements raisonnables dépendent de ces données pour permettre une élaboration efficace des politiques publiques. Il est également crucial de rappeler que le Comité des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées a souligné dans ses observations finales les lacunes du Maroc en matière d’accessibilité, de mobilité personnelle, d’éducation, de travail et d’emploi, ainsi que de protection sociale. Pour remédier à ces défis, des données précises et à jour sont nécessaires pour orienter les politiques publiques et les programmes de transformation.

Il est important de noter que la réussite du projet royal de protection sociale universelle et généralisée passe par la prise en compte des PSH dans le calcul du score du registre social unifié. À ce sujet, Sa Majesté le Roi Mohammed VI déclarait : « Nous tenons à réaffirmer l’intérêt particulier que Nous portons aux personnes handicapées et qui se traduit par l’adoption de programmes intégrés leur permettant de s’insérer parfaitement dans la vie publique, en leur assurant une formation adaptée, leur garantissant les moyens de mener une vie décente » (Tanger, le 30 juillet 2002).

L’omission des PSH dans les politiques de recensement prive ces personnes ainsi que les familles ayant des enfants en situation de handicap de l’accès à ce projet crucial. Cette exclusion souligne la nécessité d’une réforme pour garantir que les PSH soient pleinement incluses dans les politiques de protection sociale et bénéficient de l’aide et des services dont elles ont besoin.

En conclusion, ce recensement doit être une opportunité de rendre visible la réalité des PSH au Maroc, de combler les lacunes de notre système de données et de renforcer notre engagement envers une société plus inclusive. Ne laissons pas les PSH dans l’ombre. Leur inclusion est non seulement un droit, mais aussi une condition indispensable à la réalisation des objectifs de développement durable dans notre pays.

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