Hub de dialogue entre cultures, genres et classes sociales

20ème édition du Festival l’Boulevard

Mahmoud Nafaa, (Journaliste stagiaire)

Un festival caractérisé par la diversité des corps présents. Des Rastas, des Hippies, des Rockers, des Punks, des Metalheads, des Hip-Hoppers, et autres, chaque corps s’identifie ainsi, par la sculpture et la décoration qu’il fait de son corps, à une culture déterminée. Chaque corps parle la langue de sa propre tribu, mais c’est comme s’il y avait une intercompréhension entre les participants par-delà leurs appartenances. Des Punks dansant avec des Metalheads, des Rastas vibrant aux rythmes du Rap et du Rock, et ainsi de suite. Ce n’est pas seulement l’appartenance culturelle qui a déterminé cette 20ème édition du Festival l’Boulevard, c’est également la mixité sociale, dont elle fut l’un des principaux caractères particuliers. On distinguait aussi des gens issus de plusieurs origines sociales, de quartiers populaires ou de quartiers hupés, et ce n’est pas que ça, les femmes étaient largement présentes lors de cette édition. Les personnes à mobilité restreinte, dont un compétiteur au Tremplin. Et des gens de toutes les nationalités meublaient le stade du RUC, des occidentaux, des subsahariens, des asiatiques et autres. Toute cette diversité n’aurait pas pu exister sans la gratuité d’accès, choix d’ailleurs assumé par les organisateurs.

Festival jeune, organisé par des jeunes, des passionnés de musique, d’art et de culture. Tout le monde est stylé, habillé avec le t-shirt de son groupe de musique favori, ou portant des fringues très originales, pour ne pas dire rares. Les organisateurs sont élégants et bien habillés, de bons communicateurs. L’événement est organisé sous une assez haute surveillance, des agents de sécurité habillés en noir de la tête au pied et portant des lunettes de soleil sont au rendez-vous et veillent à ce que tout reste dans l’ordre. Des policiers et agents des Forces Auxiliaires entourent le stade du RUC pour assurer la sécurité.

A partir de 16h, on donne l’ordre pour ouvrir les portes au public. Au fur et à mesure que les gens entrent, quelques morceaux musicaux sont joués, transmis au moyen d’enceintes musicales géantes, et l’on entend l’électricité de la musique dans les oreilles et on la sent même dans la peau. Des petits vacarmes commencent à émerger petit à petit avec l’entrée de plus en plus nombreuse des spectateurs. Dans les stands où on vend des accessoires, des t-shirts, des disques de vinyle, de la nourriture, se trouvent les vendeurs et les spectateurs intéressés dont certains étrangers. Si vous entrez par la porte publique, ces stands se trouveront à votre gauche, alors que la tribune essentiellement à votre droite. En face de vous, loin vers l’autre camp du stade se trouve l’autel ou la scène où montent les artistes pour performer. Au centre du stade une sorte de machine géante, équipée d’escaliers, portant la caméra qui filme les chanteurs et musiciens invités.

Du côté de la tribune se trouve la porte d’entrée des journalistes, musiciens et organisateurs. Quand on accède donc à la tribune originellement dédiée aux spectateurs de rugby avec son badge de journaliste bien sûr, car toute entrée fortuite est sévèrement défendue, en-dessous de la tribune, on trouve un abri meublé de deux bureaux où sont assis des membres du staff chargés de gérer, d’organiser la disposition des pancartes de publicité, d’assister les journalistes nouvellement arrivés qui cherchent à obtenir un badge pour couvrir l’événement. Et il y a toujours un policier ou deux qui circulent, en plus de deux à quatre agents de sécurité qui surveillent.

Ce n’est qu’en dépassant la tribune se trouvant à droite ou à l’est, qu’on arrive au nord-est, la scène étant au nord du stade. Dans ce lieu, les organisateurs ont décidé de mettre en place des tentes modernes de façon créative car ils sont en réalité des bureaux. Ainsi, des tentes pour accueillir les journalistes, d’autres pour accueillir les artistes, et des lieux proprement dédiés aux organisateurs. On interdit d’ailleurs aux journalistes d’aller à côté des tentes des artistes sans autorisation. On a également disposé les toilettes publiques au coin sud-est du stade, alors que les toilettes réservées aux personnes de privilège, les journalistes, les artistes et les organisateurs sont placés en face du bureau-tente dédié à la presse.

Aux environs de 17h30, 18h, la musique devient plus intense et nous emporte. L’électricité de la guitare et de la batterie pénètre de façon forte mais agréable les oreilles des spectateurs.

Des Metalheads par-ci, des rastas par-là, des familles de quatre, père, mère, enfant, fille, marocaines et étrangères sont présentes, des groupes de trois de jeunes stylés de la manière de leur genre de musique, des femmes avec leurs fils ou leurs filles. Des filles peignant leurs cheveux en vert ou encore en rouge, des jeunes garçons aux cheveux très longs et aux traits beaux dont les restes de l’enfance sont toujours présents, des jeunes avec des piercings dans la bouche et les sourcilles. Tous se dirigent vers l’autel musical et convergent vers le nord du stade au fur et à mesure que la musique s’intensifie, ou qu’un artiste talentueux du Tremplin des jeunes talents (commençant vers 17h30 et 18) les attire par des notes séduisantes ou des paroles attirantes, qui leur parlent. Ils marchent tous, certains à petits pas, d’autres en courant à l’écoute de rythmes et symphonies prodigieuses qui parlent à leurs cœurs, tous avancent à la manière d’un pèlerinage vers cet autel où on sacrifie les guitares et les micros.

Vers 19h à 20h, la période où les artistes confirmés commencent leurs shows, le pèlerinage s’intensifie. Tout de même, cela n’emporte pas tout le monde vers ce coin cardinal. Certains préfèrent aller à côté et fumer leurs cigarettes ou leurs joints qu’ils ont réussi à faire entrer clandestinement. D’autres fatigués par les deux heures du Tremplin des jeunes talents, s’assoient ou s’allongent sur le gazon.

En-dessous de la scène de L’Boulevard, des agents de sécurité comme des « videurs » de grande taille, d’une parfaite forme physique dont certains portent des lunettes noires surveillent les possibles débordements de la foule vers le lieu interdit. De façon à ne laisser aucune fuite survenir, en envoyant à ceux qui sont à côté des barrages des regards sévères. Lors des concerts quand certaine chanson arrive à son paroxysme, et qu’elle cause des « eargasms » aux spectateurs, ces derniers en réaction immédiate dansent, chantent, haussent leurs mains, bougent les têtes, et créent des cercles à l’intérieur de la foule où l’on danse et l’on se bouscule.

C’est avec la tombée du soir que la musique prend toute son envergure. Avec la venue de musiciens confirmés, ces derniers ayant l’expérience et la maîtrise de la scène et du public réussissent parfaitement à faire jouir la foule. A la journée du rock/métal, un punk avec un mohawk s’affole et déraisonne lors de la performance d’un groupe du Tremplin nommé Teltach, venant de Marrakech, en expédiant des «fuck you» et des bras d’honneur au chanteur du groupe. Il faut savoir tout de même que ces insultes ne signifient pas la même chose que dans la culture normale des gens normaux, car le spectateur punk portant un mohawk expédie ces insultes et en même temps adore la musique du groupe, c’est une façon de communiquer entre eux.

Pendant ces journées L’Boulevard, une sorte de chaleur unifiait les participants de toutes les cultures. Tout le monde danse, rit, jubile, clame, est uni sous les rythmes musicaux. Certains jeunes venus en bande parfois lance des chants et des clameurs avec des gros mots en darija marocain traduisibles comme suit : « Eeeeh ! Ooooh ! Les casablancais sont les maîtres » (mais en mots insultants en darija, j’estime que vous avez compris le sens que je souhaite à vous transmettre le message). Ces jeunes scrutaient de temps en temps le stade du nord au sud, et causant pas mal de problèmes. Des bagarres ont émergé çà et là, des petits vols ont été commis aussi. Et ce malgré la présence d’une haute surveillance et malgré l’effort des agents de sécurité, mais la gratuité permet à des individus et des groupes de jeunes violents débordant d’énergie d’assister eux aussi à ces concerts musicaux. Une gratuité d’ailleurs étudiée par les organisateurs, d’ailleurs conscients de ces débordements mais souhaitant tout de même maintenir la gratuité dans un souci de rendre accessible la culture et la musique à tout le monde. Il faut ajouter à cela que le staff de sécurité entre de temps en temps pour arrêter les individus malsains.

Lors des matins du festival, les membres de staff sont les premiers venus avec les agents de sécurité. Tout le monde se charge de quelque chose, qu’il s’agisse de décorer, de couper, de scotcher, de suspendre une image, un machin, un panneau, de nettoyer. Les membres du staff se connaissent bien entre eux puisqu’ils ont organisé plusieurs des éditions précédentes ensemble. On sent un climat de joie, de fraternité et de solidarité assez étonnante, bref un climat familial serein.

A l’entrée du stade du RUC, on a constitué des barrages pour canaliser la venue des spectateurs, il y a quatre points à passer avant d’arriver à la porte publique principale, à chaque point deux agents de sécurité qui vérifie, contrôle, examine les vêtements et les cartables des participants, pour en relever tout objet jugé dangereux. On élimine tout ce qui est briquets, bouteilles de verre ou de plastique, stylos, dans le but d’empêcher toute volonté de causer des dégâts matériels ou des préjudices humains.

En conclusion, l’expérience fut aimée par certains, moins appréciée par d’autres. Certains fans de Metal par exemple ont considéré cette édition moins réussie que les précédentes, comme l’affirme Zakaria « de mon point de vue subjectif, c’est la pire édition de L’Boulevard côté Metal ». D’autres ont aimé l’ensemble des performances, et même les artistes du Tremplin, comme l’affirment Omar « L’Boulevard est un festival exceptionnel, et l’ambiance a été magnifique » et Hamza « tous les artistes ont été au niveau espéré, moi j’aime le Rap, j’ai apprécié beaucoup, même les jeunes artistes du Tremplin ont bien joué ». L’expérience d’un festival comme l’Boulevard reste indubitablement électrifiante, et une occasion de s’ouvrir à des goûts différents, comme un fan de Rap exprimant sa joie de s’être ouvert à un genre comme le Rock : «aujourd’hui j’ai appris quelque chose de nouveau, et c’est une chose que j’apprécie dans L’Boulevard».

Parmi les raisons qui incitent les jeunes à venir au Boulevard, c’est l’accès à la culture et aux différentes couleurs musicales, comme le souligne Wassim « j’aime le côté culture beaucoup plus, toute une philosophie est communiquée à la personne qui écoute la musique. Je ne connaissais pas le Rock auparavant, mais aujourd’hui j’ai assisté au concert du Rock, et j’ai appris quelque chose de nouveau». La même chose a été affirmée par Aya « L’Boulevard me permet de m’ouvrir aux autres cultures », Yassine « L’Boulevard est synonyme de culture, de musique, de créer de nouvelles connaissances» et Hary «c’est le seul festival underground qui donne la chance aux goûts culturels et musicaux considérés comme étranges, bizarres d’exister».

Quand on assiste à L’Boulevard, un sentiment émerge en nous que nous ne sommes plus dans la même culture régnante existant dans les boulevards et les quartiers de Casablanca. On entre dans un monde nouveau, avec des rituels nouveaux, des cultures autres, des comportements et pratiques différentes. Comme on fait lorsqu’on entre dans une église ou un temple bouddhiste, on sent paradoxalement la même chose et pas la même chose, ou encore dans un stade de football lors d’un match important, un derby ou autre. Une expérience comme celle-ci est de mon avis fortement recommandée afin de casser la routine quotidienne, de dépasser l’état de normalité et de monotonie.

Étiquettes , ,

Related posts

Top