«Il n’y a pas d’art pour l’art, mais de l’art pour le public»

Intellectuel aux multiples casquettes, Lahoucine Echaâbi est surtout un militant de gauche et un infatigable partisan de la promotion de la création artistique responsable. Al Bayane a scruté son opinion sur l’écriture théâtrale sur commande. Sa réponse est claire et sans équivoque, «le théâtre sur commande est un phénomène culturel sain».  Le comédien, critique, auteur dramaturge et le militant progressiste, tout en défendant la liberté créatrice reste farouchement attaché à son ouverture sur son environnement politique, social et culturel. Le théâtre de sensibilisation est pour lui un engagement, une militance et une contribution à l’effort collectif de développement de la cité, mais, tempère-t-il, qui en dois en aucun cas occulter la finesse du texte et la beauté du jeu, finalité de toute œuvre artistique.

Que pouvez-vous nous dire autour du « théâtre sur commande » au Maroc?

Le théâtre sur commande est un phénomène culturel sain. Au Maroc, le théâtre de sensibilisation a été initié,avant tout, par les commandes de certaines organisations non gouvernementales. Que ce soit contre la corruption, le SIDA, le gaspillage des ressources naturelles, et les exemples varient… ces ONG peuvent demander à une troupe son implication dans un spectacle de sensibilisation contre ces phénomène. C’est similaire aux spots publicitaires de sensibilisation, sauf que là il s’agit d’une pièce de théâtre.

Qu’en est-il de l’implication des troupes marocaines dans ce genre de campagnes?

Par exemple, la Troupe Aquarium, dirigée par la réalisatrice Naima Zitan, a produit une pièce qui véhicule le message de la lutte contre la corruption, écrite par Mohamed El Hor. Quand on y assiste, on comprend que ce n’est pas à but de matraquer la prêche à la bonne parole, mais plutôt une pièce comique succulente même si son message principal est clair. Egalement, on cite le cas de la récente pièce «Dir Mzia» de la troupe Issil, dirigée par le comédien Said Aït Baja, et qui vise à promouvoir la participation de la femme à la vie politique. Elle a été performée à large échelle avant les récentes législatives. Aujourd’hui Issil prépare un projet semblable, un spectacle pour attirer l’attention sur l’injustice qui touche les femmes au volet de l’héritage, un sujet très sensible traité conjointement avec la fondation Friedrich Ebert. C’est un exemple du théâtre sur commande qui s’effectue pour des raisons pédagogiques, éducatives et sensibilisatrices, ou politiques. Au Maroc donc, ceci existe de façon naissante mais professionnelle et qui respecte les spécificités du jeu théâtral. C’est un choix que fait la troupe, en consentant de contribuer à véhiculer un message précis.

Il existe un autre volet qui n’est pas répandu au Royaume, celui du théâtre sur commande à but commercial. Il n’y en a pas d’exemples concrets ici, tout simplement à cause de l’absence d’investisseurs qui veuillent commander tel ou tel sujet à une troupe pour des raisons lucratives.

Existe-il des cas spécifiques où l’auteur rédige pour «vendre» son texte?

Quand on choisit d’exercer n’importe quel métier, on s’attend à ce qu’il nous fournit des rentrées d’argent. L’artiste a besoin d’argent pour vivre décemment. Maintenant, le cas où un auteur aimerait écrire juste pour vendre, et subvenir à un besoin du marché et non à son désir de création, ce cas n’existe pas au Maroc. Par contre, on a la culture de la Troupe. C’est elle qui choisit ses textes, généralement universels, pour les adapter à ses besoins. Il n’y a pas d’auteur qui se réveille le matin et qui se dise «je vais écrire pour vendre».

Les troupes n’ont pas d’auteurs propres à elles?

C’est très rare. Même si elle en possède un, la troupe préfère généralement adapter un texte universel à destination de la société marocaine. Rares sont les auteurs qui publient des pièces. Personnellement, je pratique le théâtre depuis 30 ans, et j’ai écrit des dizaines de textes, mais je n’en ai publié qu’un seul, car j’estime que le théâtre est destiné à être interprété et non à être lu. Pour moi, l’écriture théâtrale est un souci qu’elle soit sur commande ou non. Même si on lui propose une commande qui puisse vous enrichir, l’auteur ne voudra pas y procéder si le sujet est en contradiction avec ses convictions.

Donc pour vous, l’auteur est celui qui tient toujours les commandes de son texte ? Même si on requiert de lui d’écrire autour d’un certain sujet, il est libre de l’aborder comme bon lui semble?

Il faut que les ambitions du commanditaire convergent avec celles de l’auteur pour que ce dernier puisse procéder à la rédaction de son texte. Imaginons qu’une entité sollicite d’un auteur la rédaction un texte qui soit pro-violence. Vous pouvez lui donner la somme que vous voulez, il n’y procédera pas si c’est contraire à ses convictions. L’auteur écrit pour un public, et non pour lui-même, et il faut qu’il fasse attention à son discours. Il n’y a pas d’art pour l’art, mais de l’art pour le public, à destination de la société. Il faut donc prendre cette dernière en considération et lui véhiculer des messages en concordance avec ses valeurs.

Iliasse El Mesnaoui

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