Samira Bikarden : Le code pénal réduit les femmes à des corps à surveiller

D’après vous, est-ce que le Maroc est prêt aujourd’hui à honorer ses engagements internationaux et concrétiser sa décision de lever les réserves sur la CEDAW ?

Le Maroc a depuis 2006 exprimé à maintes reprises sa volonté d’honorer ses engagements internationaux et de lever les réserves sur la CEDAW. La dernière déclaration dans ce sens est celle contenue dans la lettre royale envoyée au CCDH à l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, où nous apprenons que ces réserves ont été levées. Mais à ce jour, aucune mesure concrète n’a été prise pour entamer le processus de la levée des réserves, notamment à travers le dépôt des instruments auprès du secrétariat général des Nations Unies et les documents y afférants. De plus, aucune information «officielle» n’a été communiquée sur la nature des réserves qui ont été levées. Aujourd’hui, nous attendons donc cette levée effective ainsi que l’activation du processus de ratification du protocole optionnel.

Quelle est l’approche de la coalition de la révision du code pénal ?

Dans son approche de la révision de la législation pénale, la coalition «Printemps de la dignité» a adopté une démarche participative et analytique. Cette approche se veut d’abord participative car elle s’inscrit dans un processus de travail en synergie d’un nombre d’associations des droits des femmes qui, depuis 2008, s’est penché sur la question de la protection juridique des femmes contre la violence et la nécessité de garantir leurs droits sans discrimination liée à leur statut social de femmes, et ce à travers des journées d’étude et des réunions de concertation. Ce travail a donné lieu à une dynamique qui a été couronnée par l’adhésion d’associations de femmes et de droits humains de diverses villes du Maroc à un mouvement où les repères se sont dégagés durant l’Assemblée générale nationale tenue à Casablanca, le 14 Février 2010.

L’approche de la coalition se veut aussi analytique car elle s’appuie, dans sa révision dudit code, sur une étude qui a décortiqué les dispositions du code pénal et du projet de réforme du ministère de la justice, ce qui a permis de s’arrêter sur les différentes défaillances que représente la législation pénale marocaine. Ainsi, à partir de cet examen, le «Printemps de la dignité» a conclu que le code pénal, en dépit de l’amendement de certains de ses articles relatifs aux droits des femmes en 2003, continue à présenter plusieurs limites aussi bien au niveau de sa philosophie marquée par un esprit patriarcal et conservateur, qu’aux niveaux de sa structure, imprégnée d’une approche sécuritaire conférant la priorité à l’ordre public au détriment des libertés individuelles et des droits fondamentaux, et de ces dispositions loin d’être égalitaires qui réduisent les femmes à des corps à surveiller et ne leur procure pas une protection efficace contre les diverses formes de discrimination et de violence.

Jusqu’à quelle  limite la protection juridique de la femme permettra de dépasser la perception négative du corps féminin dans la société marocaine ?

Le code pénal en vigueur, de part sa philosophie patriarcale et conservatrice et de part ses dispositions et sa structure véhicule une image très négative de la femme et la place sous la tutelle du mari, du père, du frère… et donc la relègue à un rang inférieur. Ses dispositions réduisent les femmes à des corps à surveiller et les privent de leur droit d’en disposer, et ne leur garantissent pas une protection efficace contre les diverses formes de discrimination et de violence. A titre d’exemple, les disposition, introduites dans le code pénal qui font la différence entre les femmes mariées et non mariées, vierges ou non vierges, reflètent une hiérarchie et un ordre social implicites. Des infractions, comme le harcèlement sexuel introduit dans la section du chapitre traitant des crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique montre que, également, les crimes contre la personne de la femme sont considérés comme des atteintes à l’ordre moral public et /ou à l’honneur de la famille et non à la dignité et à la liberté individuelle de la femme.

Comment peut-on espérer un changement des mentalités et de la perception négative du corps féminin dans notre société si la loi elle-même, ou son application, consacre la discrimination et la violation des droits ?

Nous sommes convaincues que seule une refonte totale et radicale du code pénal qui repose sur le principe de l’égalité entre les sexes, garantit les libertés individuelles et protége les femmes contre la violence sera à même de contribuer au changement des mentalités et de la perception négative du corps féminin dans notre société et garantira le droit à la dignité, à une vie décente, à l’intégrité physique et psychologique, à l’autonomie et au respect de l’entité individuelle des citoyennes et des citoyens.


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