Israël met les migrants africains à la porte, les survivants de la Shoah ripostent

La migration est devenue le sujet phare du moment. Il ne se passe pas une semaine sans que la question ne soit évoquée sur la scène politique. La semaine dernière a été particulière en la matière. Plusieurs pays ont exprimé leur ras-le-bol et leur inquiétude par rapport au nombre exponentiel de migrants qu’ils reçoivent ou qui prennent d’assaut leurs frontières, notamment la France, l’Espagne, la Belgique… Mais la palme d’or est revenue à Israël qui a ordonné le 4 février dernier aux migrants africains, en situation illégale, de «déguerpir» de son territoire. Une décision fortement dénoncée par les survivants de l’Holocauste.

Il y’a un peu plus d’une semaine, Israël a décidé de passer à l’offensive. Au mois de janvier, son premier ministre, Benyamin Netanyahu, avait annoncé au grand désarroi des migrants sur le territoire, que le gouvernement avait mis en place un plan de départ de plus de 38 000 immigrés en situation illégale, majoritairement les Erythréens, les Soudanais… En faisant cette annonce, le chef du gouvernement israélien avait pris le soin d’annoncer que le gouvernement proposerait aux migrants de «partir volontairement», avec une pécule de 3500 dollars, soit un peu plus de 2800 euros, au risque d’être emprisonnés ou expulsés. D’après des allégations de certaines organisations d’aide aux migrants, c’est vers le Rwanda et l’Ouganda, pays tiers, que le pays compte déporter  les 38 000 immigrés ou encore vers leurs pays d’origine. Il faut dire qu’en décembre, à la suite de la tonitruante histoire d’esclavagisme en Libye, le pays de Kagamé avait annoncé qu’il était prêt à recevoir  des milliers de migrants. Une aubaine qu’Israël aurait éventuellement saisie. Mais pour l’heure, le gouvernement n’a évoqué officiellement aucun pays. Il faut admettre aussi que renvoyer ces migrants vers le Soudan et l’Erythrée, leurs pays d’origine, ne serait pas sans danger, étant donné le contexte sécuritaire qui  y prévaut.

Il n’aura fallu que quelques semaines à Israël pour concrétiser son plan. Depuis le 4 février, les autorités israéliennes ont commencé à distribuer des lettres à des milliers d’Africains, en situation irrégulière, leur demandant de quitter son territoire. Délai : fin mars, au risque d’être emprisonnés. Il semble que cette mise en garde du gouvernement n’a pas réussi à mettre au pas les migrants africains sur le territoire. Encore moins, la promesse des 3500 dollars du gouvernement aux migrants qui décideraient de partir volontairement.  Les migrants en situation irrégulière menacés d’expulsion dans le territoire ont opposé un niet catégorique à la décision de Tel Aviv. En effet, les migrants africains dans le pays sont fermes et préfèrent l’emprisonnement à l’expulsion vers un pays inconnu. Les raisons : les migrants refusent d’entreprendre un nouveau voyage vers l’inconnu, encore moins au Rwanda ou en Ouganda où ils s’imaginent mal avoir de meilleures conditions de vie. En outre, plusieurs migrants envoyés préalablement vers ces pays, une fois arrivés dans ces nouveaux pays d’accueil, reprennent de nouveau le chemin vers l’Europe. Une solution qui ne permettrait pas vraiment de sortir de l’auberge.

Il n’en demeure pas moins que le gouvernement israélien tient coûte que coûte à mettre en œuvre son plan. Et dans son viseur principalement les hommes.  Ils auraient 60 jours pour quitter le pays vers un pays « sûr » qui affiche « un des plus forts taux de croissance d’Afrique et qui leur permettra de travailler », a annoncé le gouvernement, sans rentrer dans les détails, précisant qu’Israël paiera leurs billets d’avion et leur donnera 3500 dollars. Selon les autorités du pays, seuls les hommes africains en situation irrégulière auraient reçu des lettres les sommant de quitter le territoire. Les femmes, les mineurs, les parents de mineurs, les demandeurs d’asile et les migrants ayant obtenu le statut de réfugié ne seraient pas concernés par le plan du gouvernement, a laissé entendre le ministre de l’intérieur israélien.

Malgré la politique discriminative que semble vouloir faire prévaloir Israël par rapport à son plan largement critiqué, la situation administrative des migrants africains dans le pays est très critique. Selon l’Autorité de l’Emigration du ministère de l’Intérieur, 4.000 enfants dans le pays sont en situation irrégulière en plus des 38.000 adultes, soit 42000 migrants. En outre, le rythme d’octroi du statut de réfugié dans le pays serait particulièrement lent. Selon l’organisation d’aide aux réfugiés et demandeurs d’asile en Israël, sur 15400 demandes d’asile enregistrées à ce jour, 6600 ont été traitées et onze seulement ont reçu un avis favorable entre 2009 et 2017. En effet, sur environ 10 000 demandeurs érythréens d’asile en Israël, seuls 7 Erythréens ont pu obtenir le précieux sésame et un seul Soudanais. Un millier de Soudanais originaires du Darfour ont en outre reçu un statut spécial les mettant à l’abri de l’expulsion. Selon les chiffres officiels, 4012 migrants en situation irrégulière ont quitté Israël en 2017, dont 3332 originaires d’Afrique subsaharienne.

Un plan controversé par les survivants de l’Holocauste

Si les adeptes du plan assurent que le Rwanda et l’Ouganda offrent de bonnes conditions, le plan du gouvernement israélien est considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays. Il a d’ailleurs été largement critiqué par le HCR, les intellectuels, les médecins. Les survivants de l’Holocauste sont montés au créneau et ont souligné qu’Israël avait le devoir de protéger les migrants. « Nous, qui savons parfaitement ce que c’est que d’être réfugiés, sans domicile et sans protection étatique, ne pouvons pas concevoir comment un gouvernement juif peut renvoyer des réfugiés et des demandeurs d’asile sur un chemin de souffrance et de mort», ont écrit 36 signataires israéliens dans une lettre ouverte. Ce à quoi Netanyahu a répondu : «Nous agissons contre des immigrés clandestins qui viennent (en Israël) pour trouver du travail et non pas contre des réfugiés».

Depuis l’annonce du plan par le premier ministre israélien, des manifestations se tiennent à travers le pays pour contester cette décision. Plusieurs pétitions ont été signées par des pilotes, des universitaires, des rescapés de la Shoah et des enseignants pour mettre fin à la politique d’expulsion prônée par le pays. Vendredi dernier, une délégation de députés israéliens opposés à la décision du gouvernement d’expulser les migrants africains vers un pays tiers s’est rendue à Kigali. La délégation composée des députés de l’opposition ambitionnait de mener une enquête au Rwanda, «pour établir la vérité». La délégation aurait demandé à rencontrer des officiels rwandais pour aborder la question de la déportation illégale prévue par Israël de demandeurs d’asile érythréens vers le Rwanda. Mais les autorités rwandaises ont refusé de les recevoir, arguant que «le Rwanda ne peut être un terrain de jeu pour la politique interne israélienne». A savoir que le Rwanda et l’Ouganda ont rejeté les accusations des ONG les évoquant nommément comme pays tiers qui recevront les migrants expulsés par Israël.

Les immigrés africains en Israël sont arrivés majoritairement dans le pays après 2007. En cause, la frontière poreuse avec l’Egypte. Aujourd’hui, celle-ci a été fermée, arrêtant ainsi les passages clandestins. Les migrants se sont établis en grande majorité dans le sud de Tel Aviv. Ils travaillent aujourd’hui dans la plonge ou les cuisines des restaurants. Une coexistence à l’origine de rixes avec les Israéliens.

Danielle Engolo

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