Le jeudi noir de Barcelone

Emballement médiatique et instrumentalisation politique

Autour de la violence, il y a toujours une autre violence qui vient envahir la première, se l’approprier, l’occulter, la sublimer. Le jeudi noir de Barcelone vient d’en fournir une nouvelle et sinistre illustration. Outre la violence meurtrière, celle qui a attenté à une ville symbole, il y a eu et il y a encore une violence diffuse, cynique, qui s’insère sinueusement dans les interstices de l’émotion légitime, notamment à travers le flux de discours produit autour du drame.

Le lendemain des événements, j’ai assisté à un montage parallèle édifiant entre deux manières de traiter ce qui est supposé être la même information. C’était à propos de l’identité des présumés auteurs de l’attaque. La jeune journaliste du principal JT de la première chaîne publique marocaine a parlé de plusieurs nationalités : espagnol, italien…à aucun moment, il n’a été question de marocain. Parallèlement à cette séquence, quasiment au même moment, le correspondant en Espagne d’une chaîne d’info française a parlé de «marocain»; une occurrence revenue sept fois en l’espace d’une minute citant dans le même sujet l’attentat de Barcelone et l’attaque au couteau de la Finlande. Une violence en appelle une autre…

Ce fut également, le moment favori pour les différents experts pour défiler sur les différents plateaux de télévision égrener leurs éternelles analyses sur l’Islam et la violence. Voire émettre des hypothèses sur les nouvelles tendances au sein du djihadisme. Les racistes en ont profité également pour déverser leur fiel sur les communautés musulmanes, sur leur pays d’origine. Un même scénario réchauffé et que l’on avait vu et entendu lors de différents attentats.  A l’exception de quelques voix bien sûr qui tentent de raison garder mais rendues inaudibles par le bruit assourdissant qui émane de différentes sources et supports. L’emballement médiatique, chargé de présupposés culturels et de clichés, empêche en effet de s’intéresser aux angles morts de l’événement et du sujet (en l’occurrence le rapport à l’Islam) qu’il soulève.

Il est également limité dans sa prétendue objectivité étant obnubilé par son manichéisme et son ethnocentrisme : les victimes et leur traitement médiatique ne bénéficient pas du même rapport ; la règle de deux poids et deux mesures étant en vigueur.

Comme d’autres maux, cette violence qui explose, l’endoctrinent par les fanatiques, le départ vers la Syrie…, trouvent leur étiologie dans la société où sont nés la majorité des auteurs d’attentats. La posture facile qui met en exergue un dévoiement de l’Islam occulte la dimension historique et sociologique. Ce n’est pas la première fois que la séduction d’un appareil symbolique religieux habille une entreprise politique meurtrière, (Bruno Aubert). En Espagne, en 1937, des phalanges catholiques franquistes tuaient au nom du Christ-Roi des familles de paysans prétendument communistes (dans les campagnes de Majorque) avec la bénédiction de l’épiscopat.

En conclusion, ce n’est pas dans l’Islam qu’il faut chercher les explications de cette violence mais bel et bien au sein de ces sociétés elles-mêmes dont les politiques dominantes exacerbent différentes formes de fracture, nourrissent tous types de nihilisme, de rupture sociétale, générationnelle et érigeant une multitude de frontières.

Je rejoins dans ce sens les thèses défendues par le politologue Olivier Roy dans son nouveau livre, Le djihad et la mort : « Au lieu d’une approche verticale qui irait du Coran à Daech, en passant par Ibn Taymiyya, Hassan Al-Banna, Saïd Qotb et Ben Laden, en supposant un invariant (la violence islamique) qui se manifeste régulièrement, je préfère une approche transversale, qui essaie de comprendre la violence islamique contemporaine en parallèle avec les autres formes de violence et de radicalité, qui lui sont fort proches (révolte générationnelle, autodestruction, rupture radicale avec la société, esthétique de la violence, inscription de l’individu en rupture…».

Mohammed Bakrim

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