Détenue par Kia Motors Maroc puis concédée précédemment à un distributeur d’envergure, Bin Omeir Holding, la carte Kia au Maroc vient encore de changer de main. Aujourd’hui, c’est le groupe français Bernard Hayot qui reprend le flambeau pour redonner une certaine vie à cette marque qui a sombré, il y a quelques années, dans des tumultes judiciaires. Celui-ci arrivera-t-il à conjurer le mauvais sort qui semble être jeté à Kia Maroc?
L’épitaphe de cette relation qui a duré quelque 4 années entre Kia Maroc et le Groupe Bin Omeir pourrait être résumée sommairement comme suit : «nous avons fait ce que nous avons pu». Car en effet, en reprenant la carte Kia en 2014 après les déboires de l’entreprise et de son dirigeant, l’émirati Bin Omeir nourrissait de grandes ambitions pour Kia Maroc. Aujourd’hui, et selon l’expression consacrée pour justifier cette rupture de collaboration, «le Groupe Bin Omeir a souhaité se recentrer sur d’autres activités». Circonlocution phrastique pour signifier une «débâcle» qui ne dit pas son nom, c’est désormais au groupe français d’origine martiniquaise, Bernard Hayot, de rentrer dans la danse et tenter de conjurer le sort. Car celui-ci semble en effet s’acharner sur l’une des marques coréennes sur le marché national.
Excès de confiance ou ambition démesurée?
L’accord entré en vigueur le 29 octobre dernier fait désormais de GBH «l’importateur et le distributeur de tous les modèles Kia destinés au Maroc, des pièces de rechange et du service après-vente de la marque». Selon la terminologie utilisée dans le communiqué qui annonce l’arrivée de l’un et l’exit de l’autre, le choix de GBH permet à Kia Motors de s’appuyer sur un partenaire doté d’une solide expérience dans le secteur de l’automobile mais aussi d’une connaissance approfondie du marché marocain. «Forts d’une confiance mutuelle, Kia Motors et GBH affirment leur volonté et détermination communes de développer la marque sur le marché marocain tout en apportant un service de qualité», avance-t-il. Le nouveau partenariat ambitionne d’ores et déjà de repositionner la marque dans le top 5 des ventes au Maroc. Mission herculéenne quand on sait que le top 5 des ventes cumulées de véhicules au Maroc à fin septembre 2018 est constitué de Dacia, Renault, Volkswagen, Hyundai et Peugeot. Pis, la marque Kia n’apparaît même pas dans le top 50 des meilleures ventes à fin septembre 2018. Seuls deux sous-compartiments du marché accueillent encore les faveurs de quelques modèles de Kia.
Même sur la “Citadine“, le segment favori qui a construit sa renommée, la marque coréenne est en chute libre, lâchée par Bin Omeir certainement parce que lassé des pertes qui s’accumulent depuis sur cette activité. Sur ce segment, et selon les chiffres de l’Association des Importateurs de Véhicules au Maroc(AIVAM), la Kia Rio a enregistré à fin septembre dernier 124 unités vendues contre 383 unités à la même période une année auparavant, soit une chute de 67,62%. Encore pire est la situation de Kia Ceed, logée dans le segment “Compactes“, qui n’a vendu que 5 unités contre 92 à la même période il y a un an, enregistrant ainsi une fonte de de 94,57% de ses ventes. Alors tâche herculéenne, excès de confiance ou ambition démesurée lorsque l’ambition proclamée veut repositionner la maque dans le top 5 des ventes au Maroc ? Car en l’absence d’un chronogramme précis qui oriente sur le timing de ce retour en force dans le haut du tableau, signifiant par là d’ailleurs que Kia aura fait le ménage et dégager l’une des marques qui y sont déjà, cette ambition résonne bien plus comme un effet d’annonce.
Car ceux qui s’y sont essayés, du moins le Groupe Bin Omeir après la liquidation de Kia Motors Maroc, s’y sont cassés les dents. Quelles stratégies mettre en place le nouveau repreneur, Groupe Bernard Hayot, pour relever une marque qui, clairement et après les épisodes d’il y a quelques années, a sensiblement perdu la confiance des acquéreurs de véhicules ? Car le premier challenge de la marque sera d’arriver à inspirer de nouveau confiance aux consommateurs. Or ceux-ci ont encore en mémoire la perte de “leurs privilèges“ (garantie de 5 à 7 ans) et la défaillance du service après-vente après la liquidation de Kia Motors Maroc entre 2013 et 2014. Qui voudrait encore s’y fait prendre ? Certes, le nouvel acteur a une solide expérience pour elle et a d’ailleurs repris récemment la distribution de Renault Trucks au Maroc. Mais cela suffira-t-il à rassurer ? Car à son arrivée il y a quatre années, le distributeur Bin Omeir Holding avait également affiché de grandes ambitions avant de les voir sombrer dans le trou noir de Kia.
Kia, trou noir qui aspire tout ou patate chaude!
Ce leader de la distribution automobile dans la région MENA avait, d’entrée, annoncé les couleurs. «Kia a longtemps été un membre du Top 3 des constructeurs qui écoulaient le plus de véhicules de tourisme au Maroc et a même été, deux années de suite, numéro un dans le CBU. Notre vœu est donc que la marque retrouve le plus rapidement possible, dès l’horizon 2017 pour être plus précis, le podium en termes de chiffres de ventes», avait confié à l’époque Jamal Sahl, président de KMBG, nouvelle société créée pour reprendre la carte. Ainsi, pour reconquérir sa clientèle et attirer de nouveaux acquéreurs, la «stratégie de conquête innovante» constituait à étoffer le réseau afin d’atteindre une couverture totale du territoire à fin 2015 et mettre l’accent sur la communication pour soigner l’image de marque de Kia ternie par les affaires judiciaires du précédent détenteur de la carte. Le président du distributeur émirati Mohamed Bin Omeir, qui avait fait le déplacement, s’était dit heureux et honoré par cette association avec la marque Kia qui «représente un potentiel important sur le marché marocain».
Même si les deux acteurs avaient soigneusement ignoré lors de la conférence de presse organisée à cet effet les questions en lien avec l’investissement, ceux-ci s’étaient fixé un horizon pour produire un impact sur le marché. Mais trois années après ces belles promesses, l’eau a coulé sous le pont et celui-ci s’est effondré. La relance de la marque, telle qu’attendue, n’est jamais arrivée. Entre temps, KMBG était entrée en restructuration financière dont l’objectif était de réaliser une augmentation de capital. Une situation qui avait poussé le distributeur à mettre une pause à toutes ses activités, le temps d’y voir plus clair. Était-ce la faute à Kia ou ces difficultés résultaient-elles d’une circonstance générale de l’entreprise ? Dans tous les cas, la malédiction Kia avait encore frappé. Depuis cette année, Bin Omeir a quitté le navire et passer la barre au Groupe Bernard Hayot. Les mêmes ambitions mèneront-elles aux mêmes résultats? Les questions restent encore sans réponse…
Soumayya Douieb
Qui est le Groupe Bernard Hayot?
Groupe familial martiniquais établi au Maroc depuis 2005, Groupe Bernard Hayot a été créé en 1960. Avec 10.000 collaborateurs, le groupe est un conglomérat spécialisé dans la distribution automobile (commercialisation et location de véhicules, vente de pneumatique, d’accessoires et de pièces de rechange, service après-vente), la grande distribution (hypermarchés, magasins de bricolage et de sport) et les activités industrielles (agroalimentaire, restauration rapide, construction béton, carrières et cosmétiques). L’opérateur est présent dans les territoires français d’outre mer et en Afrique (Antilles, Guyane, Cuba, Sainte-Lucie, République Dominicaine, Trinidad-et-Tobago, France, Ile Maurice, La Réunion, Maroc, Algérie, Ghana, Côte d’Ivoire, Chine et Nouvelle-Calédonie). Le pôle automobile du groupe GBH, qui représente 39 % de l’activité totale du groupe et s’est développé avec la distribution de nouvelles marques dont Toyota, Nissan, Hyundai, Mercedes, Volkswagen. Le groupe est également implanté en Algérie avec la marque Citroën et au Ghana avec Renault Trucks. Au Maroc, GBH représente les marques Renault Trucks, Hertz et Pirelli. Le groupe avait racheté Pneurama, le leader de la distribution de pneumatiques dans le royaume, à la famille Soussana en 2016 à travers l’acquisition directe de leurs actions ainsi que par une augmentation de capital réservée à GBH, d’un montant de 103,5 millions de dirhams (10,7 millions $). Ce rachat avait rajouté un chiffre d’affaires additionnel de 500 millions de dirhams au chiffre d’affaires consolidé du groupe au Maroc. Auparavant, en 2014, GBH avait racheté au groupe Fadoul sa filiale Socida qui distribue des marques automobiles Renault et Suzuki en Côte d’Ivoire.
Un périple semé d’embûches