La «fièvre du samedi soir» sous les feux des pétards

Par Abdeslam Seddiki

Les graves incidents qui se sont produits samedi dernier au cours de la célébration des fêtes de Achoura, pourtant interdites par les autorités, ne doivent pas passer inaperçus en les mettant sur le compte des faits divers. Ils sont d’une telle gravité qu’ils méritent d’être punis par la loi certes mais aussi d’en saisir les tenants et aboutissants et faire en sorte qu’ils ne se reproduiront plus à l’avenir.

On comprend le besoin pour les jeunes et adolescents de se distraire et de casser la routine mais pas au point de semer le désordre et de s’attaquer violemment aux forces de l’ordre.

En effet, l’urgence sanitaire en cours sur l’ensemble du territoire impose des restrictions précises et le respect des mesures préventives pour que chaque  personne puisse protéger sa santé et celle des autres. A cette fin, les pouvoirs publics ont pris le soin de rappeler à maintes occasions, le comportement à adopter et les règles à respecter, y compris pour  la célébration de la fête traditionnelle de Achoura dont on connait les débordements qui relèvent du domaine de la folie humaine.

En la matière,  toute célébration a été formellement  interdite. Malheureusement beaucoup de jeunes et d’adolescents ne l’entendaient pas de cette oreille en préférant défier la loi, l’ordre et l’autorité. Ainsi des vagues humaines ont déferlé dans certains quartiers des grandes villes, comme l’ont montré des vidéos ayant largement circulé sur les réseaux sociaux. Ces jeunes sont munis d’une «artillerie lourde»  composée de pneus à brûler, de pétards et autres gadgets  pleins de dangerosité.

Pris de rage, ils  se sont donné au vandalisme et à la casse  et se sont attaqué sauvagement aux forces de l’ordre qui sont intervenues pourtant de la manière  pacifique et civilisée et qui méritent reconnaissance et solidarité. Bilan final,  17 fonctionnaires de police et 11 membres des forces publiques ont été blessés  par des jets de pierres et de pétards et 157 individus parmi les manifestants, dont des mineurs,  ont fait l’objet d’une interpellation pour leur implication présumée dans des actes de vandalisme, de désobéissance aux forces de l’ordre et de blocage de la voie publique.

Voilà pour ce qui est des faits. Ils nous interpellent sérieusement. La justice va certes faire son travail et les accusés présumés vont répondre de leurs actes, mais cela ne suffit pas pour comprendre pourquoi on en est arrivé à ce niveau de dégénérescence. Surtout que ce n’est pas la première fois que de tels incidents surviennent. On en a connu dans les stades de foot (en saccageant les sièges)  et au sortir des stades (en s’en prenant aux biens d’autrui et en détruisant tout sur leur passage). On en a connu également, ironie du sort, au niveau des établissements scolaires où des enseignants ont été  tabassés  par leurs élèves, à tel point qu’aucun enseignant n’oserait noter un élève au-dessous de la moyenne avant de mettre un casque ou de se vêtir d’un gilet anti-balles!

A qui la faute ? Qui en est, politiquement parlant, responsable ? L’adage selon lequel  «qui  sème le vent récolte la tempête» trouve ici parfaitement sa signification. Pendant des années, on a abandonné les enfants et les jeunes à leur sort.  Les familles d’abord : elles s’occupent de moins en moins de leurs enfants en termes d’encadrement et de suivi.

L’illustration nous a été donnée samedi soir en voyant dans la foule des enfants de bas âge et l’on se demande s’il y avait quelqu’un qui s’en occupe ! L’école ensuite : elle ne joue plus comme avant son véritable rôle d’éducateur et d’encadreur en inculquant aux apprenants les valeurs fondamentales de civisme, de patriotisme, de tolérance et de responsabilité.

On  a l’impression que l’école est juste là pour «tuer le temps» comme on dit dans le langage populaire. Les partis politiques  ont également leur part de responsabilité dans la mesure où les associations juvéniles qui leur sont attachées  ne font pas suffisamment d’effort pour encadrer la jeunesse et la mobiliser autour des problématiques en relation directe avec son vécu.  L’Etat enfin : il assume la plus grande part de responsabilité en négligeant les problèmes réels de l’enfance et de la jeunesse sans assurer ce minimum dont ils ont besoin en termes de création d’emplois-jeunes, de  salles de sport, de bibliothèques de quartier, de théâtres, de conservatoires, d’un enseignement public de qualité, de différents espaces de distraction et de créativité…. Ces jeunes, l’Etat dans son acception large,  les a confié à la rue et à la mosquée !!

Il n’y a pas de mystère. A chaque fois que les conditions objectives et subjectives sont réunies, nos jeunes réalisent des  prouesses et des merveilles. Fort heureusement qu’on les trouve présents sur le terrain. D’ailleurs, à l’heure où ces «lumpen-jeunes» jouaient avec des pétards et s’attaquaient aux forces de l’ordre,  d’autres jeunes étaient  également sur le terrain, mais  pour servir leur  pays et faire œuvre utile  en  contribuant à la lutte contre  la pandémie covid-19, à travers une campagne de sensibilisation et de  distribution des masques de protection aux populations démunies.

Ces derniers diffèrent des premiers par une chose : leur engagement précoce dans le travail associatif et politique. Par cet engagement, ils sont  immunisés contre toute forme de dérive et de basculement vers la violence.  Ils peuvent être  tout au plus des révoltés, des extrémistes, mais jamais des casseurs et  des hors-la loi. Ce n’est pas pour rien que le Philosophe Aristote  définissait l’homme comme un «animal politique».

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