«La finance islamique coûtera plus cher que les autres produits de la banque classique»

Les procédés liés à la finance islamique, ou alternative, sont complexes et marqués par de nombreuses interférences dans les choix de financement et des méthodes d’achat-vente ce qui retarde son démarrage au Maroc. Abdelwahed Souhail, expert et ex-PDG de Banque livre dans cet entretien accordé à Al Bayane sa perception des banques dites participatives au Maroc. Pour lui, ces banques peuvent drainer une partie de l’épargne qui échappe aujourd’hui aux les banques classiques. Toutefois, il estime qu’il est avéré que la finance islamique coûtera plus cher que les autres produits de la banque classique. De son avis,le financement «Halal» ne met pas à l’abri contre les risques liés à l’activité bancaire, notamment sous sa forme participative.  M. Souhail reste toutefois convaincu que les choses avanceront petit à petit…

Al Bayane : Le Comité des Etablissements de crédit vient de donner l’agrément à cinq banques participatives et l’avis favorable à trois banques de la place pour commercialiser les produits bancaires participatifs. Pourquoi, à votre avis, ce projet a pris autant de temps et quand est-ce que les premières banques islamiques pourront être opérationnelles sur le marché marocain?

Abdelwahed Souhail : En fait, les procédés liés à la finance dite Islamique, (au Maroc on a trouvé un autre qualificatif : les finances participatives) sont très compliqués. Cette complexité vient des interférences dans les choix de financements et dans les méthodes d’achat-vente qui sont beaucoup plus compliquées que les méthodes de prêt classiques. Il y a également beaucoup de problèmes juridiques et d’autres liés à l’organisation de ce type de financement.  D’ailleurs, on remarque que parmi les cinq banques marocaines qui ont reçu l’agrément du Comité des établissements de crédits, quatre d’entre elles se sont alliées avec des banques des pays du Golf qui ont l’habitude de pratiquer ce type de financement, qui ont un savoir-faire dans ce domaine et qui peuvent en même temps mobiliser des fonds.  Tout cela est totalement nouveau.

Cela étant dit, même si je n’ai pas d’information précise, mais à partir de mon expérience professionnelle, je crois qu’il va falloir mettre en place des procédures et des commissions de fatwa. Ce type d’organisation, qui doit être totalement distinct de l’activité de la banque en tant que telle avec des systèmes informatiques adéquats, devrait prendre du temps. J’imagine que les banques qui ont reçu l’agrément de Bank Al Maghrib ont profité cette la longue période visant à les autoriser pour mieux ficeler leurs projets. Et c’est de cela que dépendra le fait qu’elles soient opérationnelles immédiatement ou un peu plus tard. Je pense que les banques qui se sont bien préparées devraient commencer à travailler dans les mois qui viennent.

C’est un véritable pari ! Ces banques dites participatives pourraient drainer une partie de l’épargne qui n’est pas aujourd’hui dans les banques classiques. Elles peuvent également mobiliser une partie de l’épargne existant déjà dans les circuits classiques de financement vers le nouveau système des banques islamiques.

Dans tous les cas, il est avéré que la finance islamique coûtera plus cher pour le consommateur que les autres produits bancaires classiques.

Peut-on évaluer aujourd’hui les risques spécifiques liés à l’activité bancaire dite participative?

Les risques sont là. Le fait que ce financement soit «halal» ne met pas à l’abri contre les risques bancaires. La faille dans cette histoire, c’est que le système d’achat-vente qui remplace le système de prêt, devrait transférer la propriété et donc le risque vers les banques. Sincèrement, je ne sais pas comment ce problème va être géré. Je crois que ces banques seront exposées à autant de risques si ce n’est plus par rapport aux banques classiques. D’ailleurs, je crois qu’en cas de conflit, il va falloir aller devant les tribunaux. La législation marocaine est une législation positive et sur le plan commercial elle n’est pas marquée d’un sceau religieux ou de l’Ijtihad. J’imagine que ça ne va pas être facile.

Quel sera à, votre avis, le rôle du Conseil des Ouléma, notamment dans la gestion des questions purement techniques?

En principe, le Conseil des Ouléma n’interfère pas dans les choses techniques. Même en cas de problèmes techniques,les experts devraient assister le Conseil pour qu’il puisse les gérer selon les préceptes de la Charia.  Si tu montes une boite de nuit j’imagine qu’ils ne te financeront pas !  Ils peuvent financer une usine d’armes mais pas une usine d’alcool ou autres projets du genre. Donc, ils sont là pour dire qu’une opération est illicite par rapport à leur référentiel qu’est la Charia et ses normes. Il faut dire que la divergence d’interprétation entre l’islam dit «wassati» et l’autre islam qui ne l’est pas est énorme…

Un fonds de garantie des dépôts devrait être mis en place conformément aux textes de la Charia. Sa création devrait à votre avis se faire avant le démarrage effectif des banques islamiques ? Qui va assurer sa gestion selon vous?

Normalement Bank Al Maghrib (BAM) a l’obligation d’éviter des problèmes aux déposants. Est-ce que les banques devront s’approvisionner sur le marché à partir des dépôts de leurs clientèles ou vont-elles prendre de l’argent chez des établissements financiers ? Vont-elles opter pour des crédits à court terme ou à long terme ? Quels vont être leurs types de financement ? Ils seront certainement régis pas les mêmes règles prudentielles.

A mon avis, il faut aussi voir les expériences des autres banques islamiques dans le monde pour évaluer le taux de chute de ce type de banques et savoir si elles prennent plus de risque ou moins de risque. Dans tous les cas,elles vont s’exposer à des risques de non remboursement. BAM fixera donc les normes nécessaires. A cela s’ajoutent les règles de Bâle et le Maroc est assez avancé à ce niveau-là. On a vu des banques islamiques à travers le monde qui ont fait faillite et qui ont embarqué avec elles beaucoup de gens…

Par rapport aux produits bancaires participatifs, le pack est actuellement limité à 6 produits. Peut-on voir d’autres produits arriver sur le marché?

Les produits ont été prédéterminés par les docteurs de la loi, mais si on en invente d’autres, ils vont être introduits. Après, les spécialistes du marketing habillent tout ça…

A mon avis, il faut laisser le temps au temps. On verra ce que cela va donner.  Aujourd’hui, les banques marocaines ont beaucoup trop d’argent et très peu de demandes de crédit.

Fairouz El Mouden  

Top