Après le coup de force du président
Plus de 48h après le coup de force du président Kais Saied, qui s’est octroyé le pouvoir exécutif, les Tunisiens attendent toujours une feuille de route pour la suite, la société civile mettant en garde contre tout prolongement «illégitime» de la suspension du Parlement.
Le président Saied a argué des «périls imminents» auxquels était confrontée la Tunisie, plongée depuis des mois dans une profonde crise politique, pour justifier se prise de pouvoir.
Mais ses décisions suscitent l’inquiétude en Tunisie comme à l’étranger, l’Union européenne appelant au «rétablissement de la stabilité institutionnelle» dans le seul pays à poursuivre sa démocratisation après la vague de soulèvement des printemps arabes en 2011.
Dimanche soir, le président Saied a ordonné la suspension des travaux du Parlement pour un mois, limogé le chef du gouvernement Hichem Mechichi et s’est octroyé le pouvoir exécutif, dans un contexte de crise économique et sociale accentuée par un pic meurtrier de l’épidémie de Covid.
Lundi, il a limogé le ministre de la Défense et celle de la Justice, après s’être attribué le pouvoir judiciaire dans le cadre des mesures exceptionnelles. Et mardi, il a démis de leurs fonctions plusieurs conseillers gouvernementaux et chargés de missions et outre écarté le procureur général de la justice militaire.
«Le président Saied est devant un grand défi: montrer aux Tunisiens et au monde qu’il a pris les bonnes décisions», souligne le politologue Slaheddine Jourchi.
Dix ans après la chute de la dictature de Zine el Abidine ben Ali, le chômage, profondément enraciné, et la dégradation des infrastructures publiques et du pouvoir d’achat, qui étaient à l’origine du soulèvement n’ont jamais été résolus. Et la Tunisie fait face à un mur de dettes et une inflation qui grignote le budget des ménages.
En outre, depuis les élections d’octobre 2019 ayant débouché sur un Parlement fragmenté en une myriade de petites formations antagonistes, le pays a connu trois chefs de gouvernements, et vu s’accentuer les luttes de pouvoir en pleine crise sociale et sanitaire.
La décision dimanche de suspendre le Parlement et de démettre le Premier ministre faisait suite à des manifestations ayant éclaté le jour même à travers la Tunisie contre le gouvernement, principalement contre sa gestion de la crise du Covid après une nouvelle flambée des cas.
Les milliers de protestataires, exaspérés par le bras de fer entre le président du Parlement Rached Ghannouchi, chef de file d’Ennahda, et le président Saied, qui dure depuis six mois et paralyse le pays, réclamaient notamment «la dissolution du Parlement».
Le principal parti parlementaire, Ennahdha, a dénoncé les mesures prises dimanche par le président tunisien comme un «coup d’Etat» et appelé M. Saied à revenir sur ses décisions.
Il s’est dit prêt «à la tenue d’élections législatives et présidentielle anticipées simultanées, afin de garantir la protection du processus démocratique et d’éviter que tout retard ne serve de prétexte au maintien d’un régime autocratique».
Mais avant de telles élections, il faudrait selon un dirigeant d’Ennahdha interrogé par l’AFP, Noureddine B’hiri, «que le Parlement reprenne ses activités et que soit mis fin à son contrôle militaire».
Le parti au pouvoir a également appelé à un dialogue national pour sortir le pays de ses crises: politique, sociale, économique et sanitaire.
Après des heurts lundi devant le Parlement entre partisans du président et ceux d’Ennahdha, le parti a appelé ses fidèles à rester chez eux pour éviter toute violence.
M. Saied avait indiqué dimanche soir qu’il exercerait le pouvoir exécutif avec «l’aide d’un gouvernement» dont il devait nommer le chef.
«Le président Saied sera très prudent dans le choix du futur chef du gouvernement parce qu’il veut une personne de confiance et loyale qui adopterait la même politique que lui», estime M. Jourchi.
Ce futur «gouvernement de Saied» devra améliorer les conditions de vie des Tunisiens, estime-t-il, tandis que plusieurs organisations influentes de la société civile ont plaidé en faveur d’une feuille de route avec un calendrier détaillé.
Elles ont mis en garde dans un texte commun contre tout prolongement «illégitime» de la suspension du Parlement, soulignant la nécessité de respecter le délai de 30 jours mentionné dans l’article 80 de la Constitution sur lequel s’est appuyé Kais Saied.
(AFP)