Lamento

Telle la grippe qui se propage dans la période hivernale, la question démocratie versus dictature revient à la charge. Le doute et la déception font que, d’un forum à l’autre, cette interrogation existentielle se pose en faisant le procès du cours méandriforme du processus démocratique. Les Franco, Saddam et autres despotes attitrés sont reconnus comme fondateurs du développement de leur société respective. Leur action est magnifiée. Et, sans trop s’en apercevoir, le glissement s’effectue pour préconiser l’établissement d’un tel régime en lieu et place de l’apathie actuelle.

Tous ceux qui ne veulent pas de la démocratie, dans son processus de transition ou dans sa consolidation sont attentifs à ce discours et ne veulent surtout pas déranger ce genre de réflexions. Tel le crocodile dans sa position d’attente, ils sont à l’affût, la bouche ouverte, calculant le moment idéal pour sévir rapidement et avec précision. La proie ne s’en apercevra de sa méprise qu’une fois engloutie dans les entrailles du reptile.

Au contraire des marigots, les méandres n’ont jamais empêché un cours d’eau de parvenir à la mer. Certes, cela dure et fait perdre du temps car la rivière prend son temps à divaguer dans sa plaine alluviale, au gré de sa pente et de l’énergie faible à moyenne qui caractérise sa dynamique. Asymétrie dans les vitesses de l’écoulement et différenciation entre les rives dans l’accumulation ou l’érosion!

C’est ainsi qu’il en va dans notre société où la ferveur de la mobilisation s’est affaiblit avec l’irruption de poussées issues des disparités spatiales et du désœuvrement des jeunes. Les inégalités se creusent laissant paraitre les asymétries au quotidien. Dans l’attente de l’officialisation d’un mode de développement économique déjà mis en place, une faible minorité de la population s’enrichit alors que la grande majorité constate l’érosion de son pouvoir d’achat. Une érosion vécue dans le corps et dans l’esprit sans que la statistique puisse en rendre compte.

La sédimentation, après les années de plomb et l’alternance consensuelle, a édifié la plaine alluviale qui constitue l’actuel champ politique de notre beau pays. Les partis politiques s’en prennent plein la gueule. «L’orga.» constate que le recrutement continue et que le renouvellement s’effectue dans les structures qui s’apprêtent à la mise en place de l’elegerocratie.

Le parti majoritaire, sûr de son stock électoral, se laisse aller sur la pente des affaires intestines et de la logorrhée polémique sans aucune clarification sur son projet sociétal. L’outsider promu se modernise en faisant carter ses membres par l’électronique sans que ses microcircuits ne fonctionnent pour réchauffer l’appartenance. Ses convives obligés n’ont aucun état d’âme et continuent à perpétuer la tradition de se servir là où c’est possible de le faire. Le plus vieux parti du champ politique national voudrait bien se rajeunir mais reste figé dans son approche où la sacralité se confond avec immobilité.

Le grand perdant de 2016 est prisonnier par défaut de ses ambitions avortées. La gauche est plus que divisée; elle ne s’aime plus et laisse filer son élite à la recherche des lambris et des maroquins. Cela n’empêche pas les uns et les autres de trop regarder dans le rétroviseur pour se donner un moral à affronter la traversée du désert dans laquelle ils se trouvent. Rien de concret pour le présent et encore moins pour l’avenir.

Les réunions des anciens combattants restent prisées par les anciens combattants eux même sans que les jeunes ne viennent se ressourcer et raviver la flamme. Ce «mal de démocratie» par lequel les soubresauts de la vie politique désarment induit le questionnement sur la démocratie elle-même. A croire que ne pouvant agir concrètement sur la consolidation du processus démocratique, on le renie pour faire assumer la responsabilité à l’autorité.

Au fait, il ne s’agit pas seulement de prendre acte du jeu démocratique mais de contribuer à la formation de vertus démocratiques chez la population par la promotion du débat, de l’engagement et de la clarification. Comme la modernité, la démocratie n’est pas qu’une adaptation et une facilitation pour la pratique d’un mode de vie. Elles véhiculent avec elle des valeurs que le penchant autoritaire, la tentation obscurantiste et/ou la propension gauchiste voudraient bien effacer pour que le peuple s’occupe de ses affaires, celles qui se trouvent au bout de son nez.

N’est-il pas temps, au lieu de tempêter et de fustiger, de mettre la main à l’œuvre, sans faire plus de bruit que de besogne, pour assurer le bienêtre et la justice sociale par la démocratie, et seulement par elle.

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