L’avenir de la gauche

To be or not to be…

«La gauche risque d’être pulvérisée en 2017», c’est le premier ministre français Manuel Valls qui joue au lanceur d’alerte face à ce qui semble de plus en plus comme une forte probabilité de voir le candidat de la gauche éliminé dès le premier tour des prochaines présidentielles françaises ; l’alternative n’étant désormais que la droite ou l’extrême droite. Un dépérissement ? Une chute fatale ? Une faillite annonçant un tournant historique ?

 La gauche a mal. Et ce n’est pas une exclusivité hexagonale.

En Grèce, le deuxième congrès national du parti au pouvoir, Syriza (coalition de la gauche radicale), s’est tenu, il y a deux semaines, dans une quasi indifférence de l’opinion publique et des médias internationaux. Ils sont révolus les temps où ce nouveau parti incarnant avec son jeune leader, Tsipras, l’espoir d’un nouveau départ de la gauche. Arrivé au pouvoir, Syriza a dû se rendre à l’évidence en se heurtant aux  rapports de forces au niveau de l’économie mondiale, acculé alors à accepter des accords parmi les plus humiliants imposés à un peuple par l’impérialisme. Son emblématique et éphémère ministre des finances Yanis Varoufakis a tenté pendant quelques semaines d’incarner ce nouvel idéal avant de jeter l’éponge : impossible d’être un ministre des fiances vraiment de gauche dans le contexte de la globalisation. De guerre lasse, les congressistes de Syriza ont renouvelé leur confiance à Tsipras avec plus de 90% des voix en souhaitant que les réformes aboutissent et que le capital va desserrer un peu son étau.

Au Maroc, au lendemain du scrutin du 7 octobre, les militants de la gauche se sont réveillés avec de grandes interrogations : en termes de voix comme en nombre de sièges la gauche est largement minoritaire dans le paysage politique issu d’un scrutin démocratique. Le constat est doublement amer.

D’abord en termes de performances électorales et surtout du point de vue du rapport de forces idéologiques et culturelles. Une défaite politique peut se rattraper, mais un isolement idéologique est dur à gérer. Pour la première fois, la gauche marocaine est confrontée à un questionnement de nature existentielle : être ou ne pas être. La nouvelle configuration qui se dessine illustrée par le basculement à droite du corps électoral entamé grosso modo depuis les élections de 2002 pose des questions certes politiques mais surtout de nature culturelle et identitaire. La gauche qui court le risque réel de disparaître politiquement (être «pulvérisée» dirait l’autre) devrait s’interroger sur son existence sociologique.

Déjà en 2011, elle a disparu des grandes villes; en 2015 elle n’a plus la gestion d’une ville de plus de 100 000 habitants. Et en 2016, elle risque de ne pas avoir de groupes parlementaires. Le pluralisme politique et idéologique qui a longtemps fait la spécificité du système politique marocain est-il en  train d’être révisé à la baisse en rétrécissant le choix à sa plus simple expression, la fameuse bipolarisation véhiculée lors de la dernière campagne électorale ?

Certes, les choses ne sont pas schématiques. Une élection n’est qu’un indicateur parmi d’autres. Mais dans le cas de figure, la défaite politique de la gauche se double de la réduction et de l’érosion  de son hégémonie culturelle : ses relais traditionnels que sont la presse écrite, les syndicats et les intellectuels de gauche sont en crise ou en repli stratégique.

Face  à un tel tableau, beaucoup de militants se retrouvent dans la situation décrite par le penseur américain Tony Judt : nous risquons de n’avoir plus comme tâche non pas d’imaginer  un monde meilleur mais de réfléchir aux moyens d’éviter le pire. C’est ce que j’ai traduit à un camarade juste après la proclamation des résultats : «vaut mieux comme ça que la Syrie»

Mohammed Bakrim

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