Le retour réussi, initié par le souverain, du Maroc parmi sa famille africaine constitue indéniablement l’événement majeur de ces dernières semaines. Au sein du périple royal, des étapes constituent des moments riches en signification.
La visite et les échanges à un haut niveau avec le Nigéria me paraissent comme une séquence des plus importantes. Plusieurs facteurs et paramètres autorisent à penser, en effet, que l’acquis fondamental de ce retour at home est porté par un socle, celui de nos bonnes relations avec le Nigéria…comme demain, on l’espère très rapide,avec l’Afrique du sud.
Le Nigéria est un géant africain ; une évidence qu’il est utile de rappeler ; en termes de statistiques, de moyens et de ressources. C’est une superpuissance au cœur de l’Afrique que l’impérialisme à très tôt tenté de briser avec la guerre civile qui lui a été imposée lors de la scission du Biafra. Une blessure qui prend du temps à se cicatriser et qui est réveillée aujourd’hui avec le spectre de Bokoharam. Les moyens et les acteurs changent mais l’objectif impérialiste reste récurrent : empêcher le Nigéria de réussir son élan vers une société pluraliste, fédérale, démocratique et prospère. Un projet où nous nous retrouvons ensemble.
Parmi les atouts qui font de ce pays frère une plaque tournante de notre nouvelle stratégie continentale, il y a bien sûr le pétrole, le gaz, les multiples ressources naturelles…il y a surtout tout ce capital immatériel où les deux pays ont accumulé des expériences à fructifier ensemble. Dans ce sens, il est utile de rappeler que si le Maroc se réjouit d’avoir une réelle dynamique cinématographique et audiovisuelle, très appréciée par nos frères subsahariens qui bénéficient par ailleurs de la logistique et de l’expertise marocaines en la matière (le laboratoire du CCM est une référence pour les cinéastes du continent), le Nigéria pour sa part connaît depuis quelques décennies déjà une expérience mondialement connue, celle qui en a fait l’un des trois grands pourvoyeurs de films dans le monde avec l‘Inde et les Usa. Un concept a même été forgé pour exprimer cette nouvelle donne ; à l’instar de Hollywood et de Bollywood, il y a désormais Nollywood en référence à l’expérience nigériane inédite. Une expérience qui supporte largement la comparaison avec les deux autres superpuissances cinématographiques en termes du nombre de films et de chiffres d’affaires.
Le phénomène Nollywood est relativement récent ; il remonte aux débuts de la décennie 1990. Le premier film vidéo nigérian a été mis sur le marché en 1992. Deux ans plus tard, la commission de censure recensait déjà 177 films visés en une seule année. La production a ensuite poursuivi sa croissance exponentielle.Le cap des 1 000 films par an a été franchi en 2004, pour atteindre1 711 films en 2005, puis 1 770 en 2008. Ces chiffres font du Nigeria le premier producteur mondial de fictions longues. En quelques 20 ans plus de 15 000 longs métrages fiction ont été produits. Il s’agit bien sûr d’une production spécifique avec des caractéristiques qui en font un modèle économique et esthétique autonome.
C’est une production vidéo et numérique, il n’y a pas eu de phase argentique. Les films sont distribués sur support DVD, VCD et diffusés là où il y a un lecteur et un écran : quartiers, églises, maison des jeunes. La diffusion oscille en 20 000 et 500 000 copies ; le coût moyen d’un film tourne autour de 300 000 dirhams. En d’autres termes, l’ensemble de la production annuelle du Nigéria disposerait d’un budget inférieur à celui d’un film hollywoodien : un film nollywoodien ne coûterait que quelques secondes d’un film américain.
Ce qui n’empêche pas cette production de répondre aux attentes de son public, d’exprimer son imaginaire et de mettre en place des dispositifs qui ne se contentent pas de singer ou de plagier des modèles qui ne correspondent nullement aux moyens du pays. Les résultats son au rendez-vous : des films sont réédités, signe d’un succès réel ; des talents dans tous les domaines émergent (techniciens, scénaristes…) ; des stars locales, tête d’affiche, attirent plus de public et le Nollywood commence à s’exporter dans les pays de la région mais aussi dans des festivals à travers le monde. A l’heure où le cinéma marocain est traversé de grandes questions, le Nollywood offre une piste de réflexion originale. Par exemple, avec le budget actuel de l’avance sur recettes marocaine, on produirait 200 films par an, au lieu d’une vingtaine aujourd’hui!
Mohammed Bakrim