Elaboré dans le cadre de la Déclaration de New-York de 2016, tout comme le «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières», le «Pacte sur les réfugiés» qui sera adopté à l’Assemblée générale de l’ONU à New-York en décembre vise, pour sa part, à «instaurer davantage de solidarité entre les Etats dans la réponse internationale à l’égard des crises qui génèrent les réfugiés». Le point avec Jean-Paul Cavaliéri, représentant du Haut-commissariat des réfugiés (HCR) au Maroc.
Al Bayane : Qu’est ce que le Pacte mondial sur les réfugiés, sachant qu’on n’en a pas beaucoup entendu parler comme celui sur les migrations qui sera adopté à Marrakech?
Jean-Paul Cavaliéri : Le processus d’élaboration est différent, parce que dans le cadre du Pacte mondial sur les réfugiés, on a déjà un cadre normatif, c’est la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. Donc, les obligations des Etats sur les réfugiés sont claires. Ce qui n’est pas le cas pour les migrants, puisqu’il n’y a pas de convention sur les migrants qui a été adoptée de façon unanime par tous les Etats. Avec le Pacte mondial pour les migrations, il y’avait tout un aspect normatif qu’il fallait mettre en place. D’ailleurs, le sujet est éminemment politique, complexe et délicat. Pour les réfugiés, c’est beaucoup moins le cas. On a déjà un consensus des Etats sur ce qu’est un réfugié et quelles sont leurs obligations vis-à-vis des réfugiés.
Ce que le Pacte mondial sur les réfugiés, qui sera adopté lors de l’Assemblée Générale des Nations-Unies à New-York, en décembre, vise à faire c’est d’instaurer davantage de solidarité dans la réponse internationale à l’égard des crises qui génèrent les réfugiés. Si on regarde aujourd’hui la répartition mondiale des réfugiés, on voit que 85% des réfugiés dans le monde sont dans les pays du sud. 10 pays à peine accueillent plus de 60% de ces réfugiés. Les 5 pays qui accueillent le plus de réfugiés sont : la Turquie, l’Ouganda, le Pakistan, le Liban et l’Iran. 10 donateurs gouvernementaux financent la majorité du budget dédié aux réfugiés et fournissent 80% des places de réinstallation des réfugiés. On voit qu’il y’a une inégalité entre les pays du nord et du sud dans la répartition de la charge et de la responsabilité vis-à-vis des réfugiés dans le monde et qui nécessite davantage de mobilisation des pays du nord, notamment en termes d’offre de places de réinstallation. Le Pacte mondial sur les réfugiés vise à élaborer des mécanismes qui établiront davantage de solidarité et de prévision dans la réponse aux crises majeures des réfugiés, à la fois en termes de soutien aux populations hôtes qui sont affectées par des afflux massifs, en mobilisant de façon permanente des fonds de développement qui, jusqu’à présent, n’étaient pas disponibles. Ensuite, instaurer un système davantage prévisible et plus égalitaire pour la mobilisation de pays qui accueilleront des réfugiés, à partir des pays de premier accueil vers les pays qui sont moins affectés.
Le Pacte mondial sur les réfugiés fait-il l’objet de rejet comme celui sur les migrations?
Pour l’instant, le Pacte va être adopté par tous les Etats membres, parce que les questions de définition et d’engagements sont déjà réglées dans la Convention de Genève de 1951. Et puis, les réfugiés, à la différence des migrants, sont des gens qui fuient les guerres et les persécutions. Donc, tout le monde est d’accord que ce sont des personnes qui nécessitent une protection spéciale. Les migrants, ce sont des personnes qui quittent leurs pays de façon volontaire, certainement aussi pour des raisons légitimes, mais pour améliorer leur sort dans un pays tiers. La gestion de la migration est évidemment fonction de la volonté des pays d’accueil de déterminer combien de migrants, d’étrangers ils peuvent accueillir sur leur sol. Tous les Etats sont souverains, bien évidemment. De ce point de vue, la question des réfugiés est moins politique et il y’a moins de risques de politisation.
Que dites-vous des allégations comme celles d’Amnesty International, qui avancent que dans le pacte, les Etats n’ont pas proposé de solutions audacieuses et courageuses dont le monde a besoin en matière de protection des réfugiés?
Je crois que le texte est allé très loin dans les ambitions. Tout le monde reconnait qu’il est injuste qu’un nombre limité de pays accueille la majorité des réfugiés. Sur le principe de solidarité, tout le monde est d’accord et ça c’est très ambitieux. Maintenant, le test sera dans la mise en œuvre. Il est prévu de créer un Forum mondial des réfugiés qui se réunira à échéance régulière tous les 4 ans. Dans un premier temps, les engagements volontaires de deux types seront pris par les pays : premièrement, contribuer au fonds permanent qui est déjà alimenté à concurrence de 3 milliards de dollars, notamment par la Banque mondiale et un certain nombre d’Etats. Ce fonds structurel ira au soutien des populations hôtes pour les systèmes de santé, les systèmes d’éducation, les systèmes de sécurité sociale des populations hôtes. Deuxièmement, offrir des places de réinstallation. Il faut davantage d’équité à ce niveau. On voit de plus en plus de réfugiés qui prennent des routes dangereuses, qui périssent dans le désert, qui tombent dans les mains des réseaux de trafic et de passeurs. C’est ce que nous voulons limiter avec le Pacte mondial sur les réfugiés, en ayant en amont des places de réinstallation en plus grand nombre offertes aux réfugiés qui sont dans les pays affectés par des afflux massifs.
Quelle est votre évaluation de la politique d’asile et d’immigration du Maroc?
C’est une bonne politique dans ce sens qu’elle prévoit l’accès aux droits et services pour les réfugiés sur le territoire marocain. C’est une politique pionnière à l’échelle de la région Afrique du nord-Moyen Orient. En ce qui concerne le rôle du Maroc vis-à-vis du Pacte mondial sur les réfugiés, il est vrai que ce n’est pas un pays qui fait face à un afflux massif de réfugiés, mais là où il peut avoir une valeur ajoutée c’est qu’il a une voix qui peut porter. Il peut ainsi intervenir sur l’un des objectifs du Pacte mondial sur les réfugiés, à savoir : comment trouver à l’intérieur des pays d’accueil des solutions durables pour les réfugiés. Cela passe, notamment, par l’autonomisation des réfugiés, pour qu’ils ne soient pas dans des camps, des centres, dépendants de l’assistance humanitaire et confinés dans l’informel, mais pour qu’ils exercent leurs talents. L’expérience marocaine est très originale dans ce sens qu’elle permet aux réfugiés d’avoir la liberté de mouvement sur l’ensemble du territoire, un accès libre au marché du travail. Le Maroc doit poursuivre cette politique, pour construire une «success story».
Quelle est votre évaluation de la politique d’asile en Afrique, en général?
L’Afrique est un continent qui accueille énormément de réfugiés. La plupart des réfugiés africains restent en Afrique. Il ya beaucoup de situations de camps, mais pas seulement. Dans la plupart des pays africains où il y’a des camps, il y’a aussi des réfugiés en milieu urbain. Les camps sont parfois une réponse légitime en cas d’afflux massif. Ce qui est important, c’est qu’il y’ait davantage de solidarité, notamment sous forme de places de réinstallation offertes par les pays moins affectés. Cela peut se passer à l’intérieur du continent africain, tout comme entre le nord et le sud.
C’est vrai qu’il doit y avoir la solidarité intercontinentale, mais c’est aussi une question sud-sud. Il s’agit de voir comment il peut y avoir davantage de mécanismes de solidarité entre les pays africains qui ont plus et moins de réfugiés, qui ont plus et moins de ressources. Tous les réseaux de solidarité doivent être mis en place. Je crois que c’est d’ailleurs le but de l’initiative marocaine de créer un Observatoire africain des migrations, qui on peut espérer se saisira aussi des questions de réfugiés.
Propos recueillis par Danielle Engolo