L’économie culturelle en Afrique

La confiance mitigée des experts

L’économie culturelle en Afrique est en pleine croissance. En effet, au-delà de la dimension esthétique et créative, la culture de nos jours demeure un moteur de développement, de création d’emplois et un vecteur majeur de l’évolution des sociétés. Certes, la culture c’est du business aussi. Ainsi, pour en faire une économie, il faut à priori créer des industries culturelles, des politiques culturelles, un cadre, des marchés professionnels, un consommateur, mais aussi des infrastructures. Par ailleurs, les défis auxquels fait face l’économie culturelle dans le continent sont majeurs, et parmi lesquels figure le fléau de l’informel. «Maintenant, l’industrie culturelle existe en Afrique, mais elle n’est pas établie. Elle existe, mais elle n’est pas structurée et régulée. Aujourd’hui 80 % des productions africaines sortent de l’informel», nous explique Kane Limam, artiste et producteur, professionnel d’Equation musique et initiateur du Festival Assalamalekoum en Mauritanie.

Pour Mamou Daffé, entrepreneur, expert en gestion d’art et culture. Mamou est le président du réseau Arterial Network Continental et directeur du Festival sur le Niger et il estime que les enjeux sont majeurs parce que, selon lui, «nous n’avons pas la bonne information, la bonne articulation, la bonne structuration et les bonnes infrastructures. En gros, nous avons besoin d’une politique culturelle adéquate et cohérente qui va amener tous les pays à travailler en synergie avec la notion de l’industrie culturelle et créative. »  Tant qu’il y a des chiffres, il y aura une économie qui doit être régulée et structurée en fonction de chaque pays.

« Il y a des chiffres qui disent, c’est géré par l’informel ; c’est à peu près 4,5 milliards de dollars, plus de 500 millions d’emplois sur l’ensemble de l’Afrique. Si on prend l’Afrique et le Moyen Orient, c’est environ 58 milliards de dollars, c’est énorme ! », a fait savoir Jean-Pierre Sek, producteur, éditeur et fondateur du label 45 Scientific.

À côté des arts plastiques, la musique reste l’un des secteurs générateurs de richesses en Afrique. Ses retombées sont énormes. « Le secteur de la musique en Afrique est très dynamique. Il y a des capitales africaines où se joueront plus de 3.000 concerts par jour, notamment dans des bars, des clubs et dans des lieux de spectacle. Aujourd’hui, il y a des pays qui connaissent un développement énorme, surtout au Nigeria, en Afrique du Sud et au Ghana. », nous a indiqué, dans une interview accordée à Al Bayane, Brahim El Mazned, directeur fondateur de Visa For Music et aussi du Bureau Export de la musique marocaine ( MoMex).

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Brahim El Mazned, directeur fondateur de Visa For Music

«Une grande partie de la filière musicale est dans l’informel»

Al Bayane : Peut-on parler d’une industrie musicale en Afrique ?

Brahim El Mazned : Le secteur de la musique en Afrique est très dynamique. Il y a des capitales africaines où se joueront plus de 3.000 concerts par jour dans des bars, dans des clubs et des lieux de spectacle. Aujourd’hui, il y a des pays qui connaissent un développement énorme, surtout au Nigeria, en Afrique du Sud et au Ghana.

Par ailleurs, il y a aussi des initiatives très intéressantes au Mali et au Sénégal. Une grande partie de la filière est dans l’informel. D’ailleurs, ce type de rendez-vous, en parlant de Visa For Music, participe à –au moins- à la réflexion sur la réforme et sur la structuration de ce secteur.  Aujourd’hui, le Maroc peut avoir une sorte de leadership parce qu’il a mis des outils dont le plus précieux est le Ministère de la Culture et les appels à projets. 1 million d’euro a été injecté dans la filière musicale uniquement ! Ainsi, d’autres initiatives que le Ministère a mis comme le Bureau Export de la musique marocaine (MOMEX) avec les partenaires comme la Fondation « Hiba » et la Fondation «OCP».

Il est à dire qu’il y a des choses très intéressantes qui ont été réalisées et qui peuvent jouer une sorte de locomotive pour d’autres pays du continent. L’expérience marocaine est très intéressante, ce qui poussera d’autres pays à en tirer l’exemple.

Aujourd’hui, on peut dire que l’Afrique a la fierté d’avoir un Salon à Rabat, ouvert à la communauté des acteurs culturels et de la filière musicale africaine. Ici, ils trouvent une grande place pour monter la production annuelle, pour échanger et rencontrer d’autres professionnels de la filière venus du monde entier.

Y a-t-il un chiffre d’affaires de la filière musicale au Maroc ?

A proprement parler, il n’y a pas de chiffres exacts. Il y a des estimations. En ce qui concerne Visa For Music, ses retombées depuis sa création ont dépassé 1 million de dollar. Chaque année on peut dire que la filière a des retombées intéressantes qui dépassent le demi-million de dollar chaque année pour les artistes, hors les retombées d’images etc.

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Taguiawa Kamdem Jules Fabrice

La culture a besoin de soutien

taguiawa-kamdem-jules-fabrice«Il faut voir les choses sur deux angles : le business culturel dans le sens premier du terme et l’entreprenariat culturel. Il y a la culture en termes de défense de notre patrimoine. Car souvent, on parle de diversité culturelle, et c’est important qu’il y ait un soutien parce qu’ils ne sont pas des projets musicaux ni des choses qui peuvent se vendre. Ce sont les choses qu’on doit défendre parce qu’on risque de les perdre si on ne le fait pas. D’ici là, l’Etat n’a pas d’autres choix que de jouer son rôle. Maintenant qu’on voit le positionnement du produit culturel comme produit commercial dans le sens premier du terme, on devra se mettre dans une autre dynamique et ce, en donnant les moyens via le sponsoring et à travers des stratégies à mettre en place pour que les recettes générées par nos activités couvrent les charges au moins en moyen terme. Il y a des questions patrimoniales qui doivent être protégées et défendues parce qu’elles font partie de notre identité en fonction de nos pays. Mais aussi il y a des produits commerciaux qui nécessitent de ne rien attendre des pouvoirs publics et qu’on trouve les moyens pour pouvoir commercialiser et faire de l’argent avec nos produits. »  Souligne le Co-fondateur Wanda-full Music Lab.

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Jean-Pierre Sek, producteur, éditeur et fondateur du label 45 scientific

«Plus de 500 millions d’emplois créés sur l’ensemble de l’Afrique»

jean-pierre-sekAl Bayane : En quoi ce logiciel peut servir les artistes africains ?

Jean-Pierre Sek : C’est un logiciel de gestion de droits d’auteurs destiné aux pays africains, surtout aux artistes africains.

Ça permet à tout artiste de déclarer ses œuvres notamment de suivre l’exploitation des œuvres et le payement des œuvres. Le point fort et particulier de ce logiciel, c’est de pouvoir identifier chaque œuvre. A chaque fois qu’une déclaration est faite sur le logiciel, bien sûr qui se positionne comme prestataire de service au près des bureaux de droits d’auteurs, il y a une identification qui est mise en place dans la musique.

Et du coup on peut maintenant suivre la musique. En fait, c’est le point de départ ; c’est que les droits d’autres, je tiens à préciser, ça dure en fonction des pays : 50, 60 ans après la mort de l’ayant droit. Cela veut dire jusqu’à maintenant il n’y a pas d’indentification. Dès que l’album sortait, une fois que c’était la fin d’exploitation, c’est terminé !  Là, maintenant, véritablement, 70 ans après la mort de l’ayant droit on pourra continuer suivre l’exploitation de l’œuvre. C’est énorme !

En termes de chiffres, comment se porte l’économie culturelle en Afrique?

En termes de chiffres, l’économie culturelle en Afrique est énorme !  La culture en Afrique c’est un vivier comme le pétrole, j’exagère un peu, mais c’est vraiment énorme. Il y a des chiffres qui disent, c’est géré par l’informel ; c’est un peut près de 4,5 milliards de dollars, plus de 500 millions d’emplois sur l’ensemble de l’Afrique. Si on prend l’Afrique et le Moyen Orient c’est un peu près de 58 milliards de dollars, c’est énorme ! Le problème c’est que tout cela est dominé par l’informel. Le pari en fait de l’avenir c’est de réussir à transformer ce marché en informel au marché formel.

Vous pensez que l’avenir de l’économie culturelle est en numérique?

Bien sûr ! Aujourd’hui, tout sera numérique, surtout en l’Afrique qui a connu pas mal de retard. Mais l’avenir et le future de l’Afrique se décidera par le numérique, notamment par des ventes numériques, l’exploitation numérique, par des bases de données, par le suivie des œuvres, par cette mondialisation qui se fera de façon numérique.

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Mamou Daffé, entrepreneur, expert en gestion d’art et culture

«Il faut travailler avec la notion du produit culturel»

mamou-daffeMamou est le président du réseau Arterial Network continental et directeur du festival sur le Niger. Dans une rencontre avec Al Bayane lors de Visa For Music, il nous livre sa recette pour mieux développer l’économie culturelle et créative en Afrique. Les détails.

Al Bayane : Vous avez souligné lors d’une conférence organisée en marge des activités du Visa For Music qui a eu lieu à Rabat que l’économie culture en Afrique, c’est l’avenir.  Pouvez-vous ne dire plus ?  Et quels sont les enjeux et les défis auxquels fait face cette économie culturelle dans le continent africain ?

Mamou Daffé : Les enjeux sont majeurs parce que nous n’avons pas la bonne information, la bonne articulation, la bonne structuration et les bonnes infrastructures. En gros nous avons besoin d’une politique culturelle adéquate et cohérente qui va amener tous les pays à travailler en synergie avec la notion de l’industrie culturelle et créative. Pourquoi l’industrie ? Parce qu’il s’agit de toute la chaine de valeur : le cadre normatif, législatif, les droits d’auteurs. Et aussi chacun doit faire son travail dont l’Etat, les acteurs culturels, les artistes qui doivent s’organiser afin d’avoir un produit culturel. Pour ce faire, nous devons changer de paradigmes, à savoir qu’aujourd’hui la musique ce n’est plus un son mystique, un partage, mais elle qui est désormais côté en bourse. Donc il faut travailler avec la notion du produit culturel c’est à dire le marketing, la mise en marché, les processus… et il faut comprendre que c’est une économie, un business, une entreprise. C’est en fait le premier levier ! Par contre il faut nuancer parce que la culture agit doublement sur le développement à savoir qu’il y ait la dimension économique de la culture qui est en plein expansion. Mais il y a aussi une dimension développement social qui fait aujourd’hui que la culture est aussi un facteur de coalition sociale, de diversité culturelle, de la promotion de la paix et de l’éducation.

Dans ce sens ça devrait être secourue par un cadre normatif de l’Etat parce que ça devient une question de souveraineté nationale. Donc il faut séparer les deux sigmas. Aujourd’hui nous parlons de sigma économie de la culture qui aujourd’hui toutes études ont montré en 2015 déjà, en décembre il y a une grande étude de l’Unesco qui a présenté presque 30 millions d’emplois qui ont été créés en 2015 qui dépasse l’industrie automobile. Nous avons des champions qui arrivent en tête comme les arts visuels en premier lieu, les industries de la musique en deuxième lieu et les industries du livre. Nous avons des chiffres aujourd’hui. Il faut juste comprendre que l’économie du future c’est l’économie de la culture. Cette économie se joue en grande partie en Afrique, où se jouera le futur. Nous sommes appelés à travailler ensemble un réseau pour construire le futur du continent, un futur commun.

Quelles sont les retombées du Visa For Music sur la filière musicale en Afrique?

Visa For Music est un élément structurant de cette nouvelle économie parce qu’on parle de l’infrastructure, politique… la finalité c’est le marché. C’est pour cela qu’il faut que les Etats africains créent des marchés professionnels qui vont être des éléments structurants pour cette nouvelle économie. Le Visa For Music est dans la philosophie et l’économie de la culture. C’est un programme majeur pour le continent.

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Kane Limam, artiste et producteur, professionnel Equation musique

«Aujourd’hui, on a une croissance de presque 7% en Afrique»

Al Bayane : Peut-on imaginer une économie culturelle en Afrique sans industries culturelles ?

kane-limamKane Limam : Je pense que, déjà, pour qu’il y ait une économie, il faut une industrie. Maintenant, l’industrie culturelle existe en Afrique, mais elle n’est pas établie. Elle existe, mais elle n’est pas structurée et régulée. Aujourd’hui, 80 % des productions africaines sortent de l’informel.  Or, devons-nous nous conformer à des modèles qui existent en Occident ou bien comme on le fait souvent en Afrique : de se contenter du fameux copier/coller, ou choisir nous-mêmes notre business modèle. Il ne faut pas rester dans l’attitude qui veut que l’Etat fasse les choses. Certes, l’Etat doit créer un cadre, un contenant, mais de leur côté les acteurs doivent proposer un continu.

D’autre part, on peut voir ces exemples qui marchent. Copier ce qui marche en Occident, mais créer en fonction des contextes en prenant en compte toutes les questions des mœurs, les questions sociales et les questions de classifications… parce que l’industrie culturelle, en gros, c’est juste comment donner de la valeur ajoutée à nos produits culturels. Nous avons différentes façons de le faire. L’Afrique est en pleine croissance. On a une croissance de presque 7% aujourd’hui. Je pense que c’est le moment de prendre un vrai tournant : celui de décider à ce que les artistes et les acteurs et ceux qui ne le sont pas deviennent des entrepreneurs et assumer l’aspect business parce que dans les pays anglophones ou anglo-Saxons, ils le sont et ils l’assument et c’est à nous, maintenant, d’assumer en tant que francophones ou arabophones.

Mohamed Nait Youssef

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