Les con-citoyens

Paresseux, nonchalants, fainéants, nous appuyons sur des boutons et, comme par magie, tout se fait, tout s’accomplit; miracle, euphorie ! Nous ne faisons rien, nous n’attendons rien, nous ne rêvons de rien. Crédules et prétentieux, nous croyons avoir raison et nous laissons faire nos dirigeants qui nous dirigent brillamment, excellemment, scrupuleusement.

Nous leur sommes tellement reconnaissants. Nous avons tellement besoin d’eux que nous leur donnons tous les pouvoirs. Ils sont notre bouée de secours, nos sauveurs. Sans eux, nous sommes perdus, foutus! Nous ne savons rien faire nous-mêmes, nous dépendons entièrement de nos chers dirigeants et de nos aimables patrons. Nous avons horreur du préfixe « auto » et nous voulons que les mots commençant par ce préfixe dangereux soient définitivement effacés de nos dictionnaires. Ces mots nous font peur: autodétermination, autonomie, autogestion, autodiscipline, autocritique, autodéfense, quelle horreur! Nous oublions et nous voulons oublier. Nous avons fabriqué notre déchéance de nos propres mains et nous ne fions plus au destin. Nous avons peur; peur de demain, peur des épouvantails, peur des croque-mitaines, peur de nos voisins, peur de l’incertain!
Nous avons constamment besoin d’assurance, de certitudes, de sécurité. Alors nous devenons méfiants, nous nous enfermons comme des moules, nous fermons nos portes à double tour, nous nous barricadons chez nous, devant la télévision, bien à l’abri de l’enfer de la rue, lorsque les démons de la nuit émergent des abysses et assiègent la cité jusqu’à ce que la lueur éblouissante de l’aurore les chasse, les obligeant à retourner à leurs ténèbres ténébreuses et à leurs profondeurs hideuses!
Le matin, nous devenons des citoyens nantis d’une carte d’identité nationale, d’un compte en banque, d’une adresse, d’un permis de conduire, de cartes de tous genres et de toutes couleurs. Nous vaquons
à nos activités quotidiennes, ambitieux et confiants. Nous travaillons, nous produisons, nous trimons, nous nous fatiguons pour gagner de l’argent. Cet argent, nous sommes décidés à l’avoir même illégalement. Il est notre dieu tout puissant. Il nous ouvre toutes les portes. Seul l’argent est capable d’assouvir notre faim! Affamés, avides, voraces, nous voulons tout avoir et pour l’avoir,  nous sommes capables de tout: nous saccageons, nous souillons, nous détruisons tout, commençant par nous-mêmes! Nous sommes sales.
Nous salissons tout ce que nous touchons et nous le contaminons: valeurs, principes, culture, nature, environnement, art, littérature, patrimoine, traditions, civilisation… Rien n’a plus d’importance à nos yeux. Nous ne respectons plus rien. Nous nous prosternons religieusement devant le dieu argent. Fous, inconscients, nous sommes prêts à tout sacrifier, à tout vendre pour l’avoir, même notre honneur
et nos valeurs, même nos amis et nos enfants! Nous sommes horribles, nous faisons tant de mal autour de nous et nous prétendons être innocents, affirmant que l’enfer c’est les autres! Nous jetons toute responsabilité sur les autres et nous dormons, la conscience tranquille. Nous nous plaisons dans notre indifférence et dans nos illusions, dans nos mirages et dans notre aveuglement, sûrs
d’avoir raison! D’ailleurs, nous avons toujours raison car, en fin de compte, nous ne sommes que de petits hommes et petits hommes nous resterons! Nous sommes les Petits hommes…

Mostafa Houmir

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