Les divergences patronales syndicales au sein de l’OIT et leur soumission à la CIJ pour interprétation

Débat sur le droit à la grève

Par Ahmed Bouharrou

Le conflit entre les employeurs et les travailleurs sur la question de la grève au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT) date de 1959 lors de l’examen de la troisième étude d’ensemble de la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR). Le conflit a resurgi de nouveau plusieurs fois et ce, à l’occasion des examens des études d’ensemble portant sur la question de la grève en 1973, 1994, en 2012.

« Les commentaires de la commission d’experts sur le droit de grève sont (…) passés d’un seul paragraphe dans l’étude d’ensemble de 1959 à 7 dans celle de 1973, puis à 25 ans dans celle de 1983, et à 44 dans celles de 1994. L’étude de 2012, consacrée aux 8 conventions « fondamentales » de l’OIT, dont la convention n° 87, contient également 44 paragraphes consacrés au droit de grève ».

2ème partie

Créée en 1996 et composée devingt experts de stature nationale et internationale, la CEACR estchargée d’examiner l’application des conventions et recommandations de l’OIT par les États Membres de l’Organisation.

La commission d’experts procède à une analyse et à une évaluation impartiales et techniques de l’application des normes internationales du travail par les États Membres.

Dans ces différentes études d’ensembles de 1959, 1973, 1994 et de 2012, la commission a interprété le droit de grève en tant que droit découlant de la convention (n°87). Le Comité de la liberté syndicale a également, dans l’examen des plaintes et des réclamations qui lui ont soumises dans le cadre des réclamations et des plaintes, a reconnu lui aussi le droit de grève en tant que droit fondamental pour la défense des intérêts des travailleurs.

L’apport et la position de la Commission des experts ont beaucoup évolué depuis 1959 à 2012[1]. L’étude d’ensemble de 2012 comprend dans la partie II un volet relatif à  la liberté syndicale et à  la négociation collective. Elle consacre ses paragraphes, 117 à 163 à la question de la grève.

 Cette instance se base sur l’article 3 qui dispose que « les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit (….) d’organiser leur gestion et leur activité , et de formuler leur programme d’action  » pour reconnaitre le droit de grève. Elle a rappelé qu’ « , il est intéressant de noter que le droit de grève est reconnu dans la Charte de l’Organisation des Etats américains (article 45 c)) et dans la Charte des droits Fondamentaux de l’Union européenne (article 28), ainsi que dans l’article 27 de la Charte interaméricaine des garanties sociales, les articles 6 4) de la Charte sociale Européenne et de la Charte sociale européenne révisée, l’article 8 1) b) du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels(«Protocole de San Salvador», 1988) et l’article 35 3) de la Charte arabe des droits de l’homme. »[2].

La commission des experts a souligné aussi qu’« il est intéressant de relever également que l’article 8 1) d) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« PIDESC ») dispose que les Etats parties s’engagent à assurer le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque payé »[3] . Elle ne se limite pas uniquement à la référence internationale, c’est-à- dire, aux instruments internationaux et régionaux, mais aux décisions du Comité de la liberté syndicale  dans la mesure où « la légitimité des recommandations et des principes du comité est accentuée à la fois par le consensus qui préside au déroulement de ses travaux et par l’expertise en matière de relations professionnelles qui est apportée par les membres des gouvernements, des employeurs et des travailleurs qui y siègent à titre personnel »[4]. D’où la convergence des points de vue et des positions de la commission des experts et du comité de la liberté syndicale.

 La commission des experts considère que « la grève constitue un moyen essentiel permettant aux travailleurs et à leurs organisations de défendre leurs intérêts»[5] . Elle  fonde sa position , d’une part,  sur le fait qu’ «  en l’absence d’une disposition expresse dans la convention n° 87, c’est essentiellement sur la base de l’article 3 de la convention qui consacre le droit des organisations de travailleurs d’organiser leurs activités et de formuler leur programme d’action et , d’autre part sur  l’article 10qui fixe  comme objectif de ces organisations de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs que fut développé progressivement – comme ce  fut d’ailleurs le cas en ce qui concerne les autres dispositions de la convention – par le Comité de la liberté syndicale en tant qu’organe tripartite spécialisé (depuis 1952) et par la commission d’experts (depuis 1959, prenant en considération essentiellement les principes établis par le comité) un certain nombre de principes sur le droit de grève  ». La commission réaffirme que le droit de grève découle de la convention 87.

En outre, la commission souligne qu’il est largement mentionné par la grande majorité des législations nationales et par un nombre important de constitutions, ainsi que par plusieurs instruments internationaux et régionaux.  Ce qui justifie les interventions de la commission sur la question. En effet, les principes développés par les organes de contrôle ont pour objectif uniquement d’assurer que ce droit ne constitue pas un outil théorique, mais qu’il soit véritablement reconnu et respecté dans la pratique et que les organes de contrôle se préoccupent également de délimiter l’étendue de ce droit afin de déterminer les cas d’abus et de se prononcer sur les sanctions qu’ils peuvent entraîner.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu du fait que la commission d’experts n’a jamais considéré que le droit de grève constituait un droit absolu ou illimité. Le regard posé sur le droit de grève et sur les principes qui se sont développés avec le temps sur une base tripartite, comme d’ailleurs dans de nombreux autres domaines, ne devrait pas susciter de controverse. La commission relève , d’autre part qu’il arrive également que les organisations d’employeurs fassent appel aux principes développés par les organes de contrôle au sujet de la grève ou de questions connexes très concrètes, en particulier en ce qui concerne la liberté de travail des non-grévistes, le non-paiement des jours de grève, l’accès de la direction aux installations de l’entreprise en cas de grève, l’imposition de l’arbitrage obligatoire par décision unilatérale des organisations syndicales ou les actions de protestation des employeurs contre les politiques économiques et sociales.

Au fil des ans, une jurisprudence sur la question du droit de la grève s’est développée. Elle comprend des principes pouvant encadrer l’exercice dudit droit de grève. Parmi ces principes, il y a :

  • Le droit de grève est un droit dont doivent jouir les organisations de travailleurs,
  • En tant que moyen essentiel pour la défense des intérêts des travailleurs au travers de leurs organisations, les catégories de travailleurs susceptibles d’être privées de ce droit et les restrictions susceptibles d’être mises à son exercice par la loi ne peuvent être que limitées;
  • La grève doit avoir pour finalité la promotion et la défense des intérêts économiques et sociaux des travailleurs ;
  •  L’exercice légitime et pacifique du droit de grève ne peut entraîner de sanctions d’aucune sorte, lesquelles seraient assimilables à des actes de discrimination antisyndicale.
  •  Des restrictions à l’exercice du droit de grève peuvent etre autorisées

B) La position des employeurs et son fondement

Les employeurs ont contesté pour la première fois l’idée selon laquelle le droit de grève résulte implicitement de la convention (n° 87) en déclarant que cet instrument ne prévoit pas expressément le droit de grève. Ils ont également commencé à remettre en cause les relations existantes entre la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations internationales du travail et la commission d’application des normes de la conference internationale du travail. Ils critiquent l’action normative de l’OIT en soulignant qu’elle adopte presque régulièrement une convention par an.

La position des employeurs est en contradiction avec la conception de l’OIT. Pour cette institution internationale le droit de grève constitue depuis longtemps un moyen essentiel dont dispose les travailleurs et les organisations syndicales pour défendre leurs intérêts professionnels matériels et moraux. Ainsi, le droit de grève résulte de la reconnaissance de la liberté syndicale et du droit de la négociation collective. Le droit à la négociation collective et le droit à l’action collective sont donc les moyens d’action nécessaire pour l’exercice de la liberté syndicale.

Les employeurs au sein de la conference internationale du travail représenté par l’OIE considèrent que la grève ne figure nulle part dans les conventions internationales du travail. Ils pensent donc que la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations ne peut l’interpréter.

La position officielle de l’OIE à l’égard de cette question de grève est exprimée dans une publication émanant d’elle[6].  Cette contestation de l’interprétation du droit de grève à la lumière sur les conventions nos 87 et 98 s’inscrit dans un cadre plus global, celui de la contestation du mandat de la commission des experts d’interpréter les conventions et recommandations internationales du travail. Les positions des employeurs, telles qu’elles sont exprimées dans le document précité sont :

« Le droit de grève n’est pas prévu dans les conventions 87 ou 98 de l’OIT- et elles n’ont d’ailleurs, pas été rédigées dans ce sens par les mandants tripartites à l’époque de la création et de l’adoption des instruments ».

Les employeurs pensent que « en 1994, la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations internationales du travail a fait une vague allusion au fait que la grève est mentionnée dans d’autres instruments internationaux. Cependant, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 n’est pas pertinente pour aborder cette question ». Ils estiment que tous les instruments internationaux prévoyant le droit de grève affirment tous sans exception que, ce droit doit etre régi par les législations et les réglementations internes.

Concernant la question de l’interprétation des normes par la Commission des experts (CEACR), les employeurs pensent que « en s’arrogeant ce droit, la CEACR se place dans le rôle des mandants cherchant à déterminer le contenu d’une norme internationale du travail » et que celle – ci « s’appuie sur des déclarations du Comité de la liberté syndicale (CLS) pour étayer son point de vue ».

Dans la prévention du différend relatif aux divergences sur la question de la grève, les employeurs ont révélé l’existence d’un accord entre le groupe des employeurs et le groupe des travailleurs. A cet effet, ils annoncent que « pendant des années, il y a eu accord entre les porte-parole des employeurs et des travailleurs de la CAN (commission d’application des normes de la conference) pour ne pas discuter des observations de la CEACR concernant le droit de grève et pour que cette question ne soit reflétée pas dans les conclusions, à profond désaccord sur le sujet ».

Les employeurs expliquent leur position en vertu de laquelle la convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ne reconnait pas le droit à la grève sur plusieurs arguments dont :

Le rapport préparatoire de la convention (n° 87) précise bien que « la convention en question ne concerne que la liberté syndicale et non le droit de grève »,

– L’étude d’ensemble de 2013 intitulée « la négociation collective dans la fonction publique : un chemin à suivre, », il est rappelé que les travaux préparatoires à la convention n° 151 sur la relation du travail dans la fonction publique ne couvre pas la question de la grève.

– La résolution de l’OIT concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles signale que « bien que le droit de grève soit prévu dans certains instruments adoptés par d’autres organisations    internationales, aucun instrument de l’OIT ne traite de ce droit et l’OIT devrait envisager la possibilité d’adopter des normes à ce sujet ».

 Dans sa troisième étude d’ensemble de 1959, la CEACR a abordé la question de la grève dans un seul paragraphe et seulement en référence au service public.

Partant de ce raisonnement étayé par le fait que les normes internationales du travail ne reconnaissent pas le droit de grève, les employeurs critiquent l’interprétation faite par la commission des experts ((CEACR), des normes internationales du travail en lien avec la question du droit de grève.

Les employeurs rappellent dans le document précité exposant leur   position que cette commission a développé ses avis sur la grève dans les études d’ensemble en 1973, en 1994 et en 2012. L’interprétation entreprise par la commission n’a jamais été validée, ni par le conseil d’administration, ni par la conference internationale du travail.

Les employeurs nient donc à la commission des experts la légitimité de l’interprétation des normes internationales du travail. Ils déclarent que celle-ci s’arroge donc le droit d’interprétation et se place dans le rôle des mandants cherchant à déterminer le contenu d’une norme internationale du travail. En effet, « c’est à la conférence internationale de 2012 que le conflit prend une tournure frontale. Non seulement les représentants des employeurs réitèrent leur objection en ce qui concerne la convention (n° 87) mais ils ont également refusé de discuter les cas individuels des Etats qui portent sur la question de la grève. En agissant ainsi, ils ont bloqué le système de contrôle pour la première fois depuis 1926. Les facteurs du durcissement   de la position patronale exprimée en 2012 s’explique selon un étude[7], par la fin de la guerre froide durant laquelle les employeurs et les pays occidentaux critiquent  le bloc soviétique et l’accuse de violations des libertés syndicales et du droit de grève, l’impact de la Déclaration de 1998 sur les principes et les droits fondamentaux au travail qui a renforcé le droit syndical et celui de la négociation collective , l’invocation des normes internationales par les juridictions nationales et régionales et la pression sur le nouveau directeur général du BIT issu du monde syndical.

C)La position des syndicats de travailleurs

La position des travailleurs à l’égard de la question du droit de grève en lien avec la convention (n° 87 ) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical est reflétée dans une publication syndicale[8] et à travers les déclarations des travailleurs et de leur groupe lors des réunions de la commission de l’application des normes  qui sont  consignés dans les compte rendus.

Dans l’étude d’ensemble sur la liberté syndicale de 1983 , dans une section intitulée « droit de grève », il est souligné que pour les travailleurs « sans la reconnaissance du droit de la grève, la liberté syndicale n’existe pas » et que « les travailleurs se sont félicités que la commission d’experts ait considéré que ce droit constitue un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs pour défendre et promouvoir leurs intérêts »[9]

Se référant aux articles   3 et 10 de la convention (n° 87) en relation avec le droit de grève et à la compétence de la commission d’experts (CEACR), « le groupe de travailleurs défend une position diamétralement opposée sur ces deux questions. S’il convient que les règles d’interprétation énoncées dans la convention de Vienne ont force de droit international coutumier et s’appliquent donc à la convention n° 87, il met l’accent sur l’interprétation « dynamique » offerte par l’article 31  de la convention de vienne, dans la mesure où ce dernier dispose qu’un traité doit etre interprété de son contexte et à la lumière de son objet »[10].

 « le groupe des travailleurs considère que tous les organes de l’OIT ayant des attributions de contrôle interprètent nécessairement le sens des normes et, que par conséquent , la commission d’experts – ainsi que les commissions d’enquête chargées d’étudier les plaintes déposées au titre de l’article 26, les comités tripartites institués pour examiner les réclamations présentées au titre de l’article 24 et l’application des normes – peuvent occasionnellement exercer des fonctions interprétatives , sous réserve de toute interprétation contraignante susceptible d’etre formulée par la CIJ  »[11].

III) Les options offertes pour la solution du litige entre le patronat et les

       Syndicats sur la question de la grève

Les possibilités offertes pour trouver une issue aux divergences patronales syndicales sont au nombre de trois : la saisine de la Cour internationale de justice, la mise en place d’un tribunal interne ad hoc en vertu de la constitution de l’OIT et le dialogue social.

Les voies qui peuvent etre empruntées pour apporter des solutions à cette problématique résident à la fois dans les règles et les procédures constitutionnelles de l’OIT et dans sa pratique développée dans le cadre du tripartisme, c’est-à- dire, le dialogue social.

 Quelles sont les options offertes pouvant gérer ce conflit et le solutionner ?

  1. Les options pour l’issue du conflit

Trois options sont offertes pour trouver une issue au conflit opposant les employeurs et les travailleurs sur la grève. Deux sont d’ordre constitutionnel, la saisine de la cour internationale de justice et la mise en place d’un tribunal ad hoc au sein de l’OIT. La troisième option, d’ordre pratique consiste en le recours au dialogue social pour adopter une solution négociée et appropriée au litige et l’interprétation des normes internationales par les organes du contrôle de l’OIT.

1)La saisine de la Cour internationale de justice

L’idée de saisir la cour internationale de justice pour lui soumettre l’examen de deux questions objet de divergences patronales et syndicales met fin définitivement à ce différend. Ces questions litigieuses sont :

-Le droit de grève des travailleurs et de leurs organisations   est-il protégé la convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de1948 ?;

– La commission d’experts est-elle compétente pour interpréter les normes internationales du travail ?.

La saisine de cette juridiction internationale trouve son fondement dans l’article 37-1 de la charte de l’OIT. Ledit article dispose que « Toutes questions ou difficultés relatives à l’interprétation de la présente Constitution et des conventions ultérieurement conclues par les Membres, en vertu de ladite Constitution, seront soumises à l’appréciation de la Cour internationale de Justice ».

La saisine de la CIT n’a pas été approuvée par le groupe des employeurs. « à la 344e session du conseil d’administration (mars 2022) , dans le cadre de l’examen du plan de travail visant à renforcer le système de contrôle et des propositions destinées à assurer la sécurité juridique , la porte-parole du groupe des employeurs a déclaré ce qui suit :L’article 37 ne constitue pas une solution viable , car le droit de grève est un sujet multidimensionnel et complexe , qui ne peut etre considéré indépendamment des systèmes et pratiques des relations professionnelles hétérogènes en places dans les Etats Membres de l’OIT (…) on ne voit en effet pas  comment des organes extérieurs judicaires pourraient trouver une solution largement acceptée des mandants sur un sujet si délicat … »[12]

2) La mise en place d’un tribunal interne ad hoc

La constitution prévoit également par le même article 37 dans son paragraphe 2 la possibilité de l’institution d’un tribunal ad hoc pour l’interprétation les questions ou les difficultés relatives à l’interprétation de la présente Constitution et des conventions ultérieurement conclues par les membres.

A cet effet, cet article dispose que « le Conseil d’administration pourra formuler et soumettre à la Conférence pour approbation des règles pour l’institution d’un tribunal en vue du prompt règlement de toute question ou difficulté relatives à l’interprétation d’une convention, qui pourront être portées devant le tribunal par le Conseil d’administration ou conformément aux termes de ladite convention.

 Tous arrêts ou avis consultatifs de la Cour internationale de Justice lieront tout tribunal institué en vertu du présent paragraphe.

Toute sentence prononcée par un tel tribunal sera communiquée aux Membres de l’Organisation et toute observation de ceux-ci sera présentée à la Conférence ».

Aucun tribunal ad hoc n’a été créée au sein de l’OIT pour régler telle ou telle question. Le groupe des employeurs n’est pas aussi favorable à la mise en place d’un tribunal ad hoc. La porte-parole du groupe des employeurs considère que « la  saisine d’organes extérieurs  et  judiciaires , qu’il s’agisse de la Cour internationale de justice (CIJ) ou d’un tribunal de l’OIT , ne devait intervenir que si toutes les possibilités de dialogue entre les principaux acteurs de l’Organisation compétents en matière de normes de l’OIT ont été épuisées , ce qui n’est pas le cas en l’espèce  »[13].

3)Le dialogue social

Le dialogue social, le tripartisme et la négociation prévalent à l ‘OIT. Ils constituent les voies et le cadre appropriés pour l’examen des questions relatives au travail. Ils se déroulent au sein de différentes instances de l’OIT (conference internationale du travail, conseil d’administration, comité de liberté syndicale, commissions sectorielles …). L’OIT privilégie toujours le dialogue social en tant que moyen d’aboutir à des compromis et à des consensus sur les questions examinées.

La question de la grève et de l’interprétation des normes par la commission des experts pour l’application des conventions et recommandations internationales du travail a fait l’objet de beaucoup de développements dans ses rapports et dans ses études d’ensembles. Dans le cadre du dialogue, un accord informel a été trouvé par les syndicats et les employeurs consiste à discuter du droit de grève à la Commission d’application des normes de la conference(CAN,) mais à ne pas en faire mention dans les conclusions adoptées dans les cas individuels de manquement à la convention n°87. En vigueur jusqu’à 2012.

En 2015, sur décision du Conseil d’administration, une réunion tripartite sur la convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, pour ce qui est du droit de grève,  ainsi que les modalités et pratiques de l’action de grève au niveau national[14].

Les travailleurs et les employeurs ont adopté une déclaration qui a été approuvée par les gouvernements. Celle-ci comprend ce qui suit :

  • Le respect du mandat de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR);
  • Une Commission de l’application des normes opérationnelle en 2015;
  • Une proposition pour l’établissement de la liste de cas individuels, devant être mise en œuvre à l’essai en 2015 et 2016, faisant appel à une participation accrue des porte-parole pour l’élaboration de conclusions consensuelles;
  • Un réexamen des méthodes de travail du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration, comme il est déjà prévu;
  • Un réexamen du recours aux procédures des articles 24 et 26 de la Constitution de l’OIT;
  • Un accord sur les principes destinés à orienter le mécanisme d’examen régulier des normes, selon des lignes directrices à convenir[15].

Les 32 gouvernements participants à cette réunion   déclarent de manière générale que le droit de grève est associé à la liberté syndicale, qui est l’un des principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT. Ils considèrent que la liberté syndicale, et notamment le droit des travailleurs d’organiser leurs activités pour promouvoir et protéger leurs intérêts, ne peut se réaliser sans la garantie du droit de grève. Toutefois, en dépit de son caractère fondamental, ce droit n’est pas absolu.

Les 16 travailleurs présents dans cette réunion n’ont pas changé leur position à l’égard du droit de grève et considèrent toujours que ce droit est associé au droit syndical. Les 16 employeurs participants ont souligné l’importance de la Déclaration conjointe adoptée intitulée « Une voie possible » et ont réitéré l’idée selon laquelle la convention n°87 ne reconnait pas le droit de grève. Ils ont en outre remis en cause le rôle d’interprétation des normes par la Commission des experts.

  • L’option en faveur de l’interprétation du litige par la Cour internationale de justice

 Compte tenu de l’échec des tentatives de parvenir à une solution acceptable par voie du dialogue social sur la question du droit de grève et de celle relative à l’interprétation des normes par la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations du travail, en raison de l’incidence de ce conflit sur le fonctionnement du système de contrôle au sein de l’OIT,  et en vue de garantir la sécurité juridique et normative, la seule voie qui reste est de demander à la Cour Internationale de justice de rendre un avis consultatif sur ces questions divergentes.

Dans son projet de résolution, le conseil d’administration a précisé le contenu des deux questions objet de consultation de la manière suivante :

« Le droit de grève des travailleurs et de leurs organisations est-il protégé par la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ? » ;

« La commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT pour ;

  1. Déterminer que le droit de grève découle de la convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948,
  2. Préciser, lors de l’examen de l’application de cette convention, certains aspects concernant le champ d’application du droit de grève, les limites de celui-ci et les conditions dans lesquelles il peut etre exercé de façon légitime ? ».

Pour faire aboutir la procédure de consultation, le conseil d’administration charge le directeur général du BIT de transmettre sa résolution adoptée à la Cour internationale de justice.

Conclusion

 L’affirmation du droit de grève par les organes de contrôle de l’OIT s’inscrit dans le cadre plus large, celui de la reconnaissance de ce droit au niveau international et par beaucoup

d’instruments régionaux des droits de l’homme. Elle est également le reflet de l’état de plupart des législations nationales   constitutionnelles ou autres encadrant le droit de grève et des positions judiciaire sur cette question.

La position des organes de contrôle au sein de l’OIT relative à la reconnaissance et de la protectiondu droit de grève, a toutefois fait l’objet de certaines critiques de la part du groupe des employeurs au sein de la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail notamment en 1994 mais d’une manière plus acharnée en 2012.

Malgré la contestation patronale du droit de grève et la question de l’interprétation des normes internationales depuis longtemps, c’est-à- dire, depuis 1959 tel qu’il est conçu par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations internationales du travail, ce n’est qu’en 2012 que ce conflit a pris une grande ampleur à tel point que la mobilisation patronale contre le droit de grève en 2012 constitue un moment intense de politisation des questions juridiques à l’OIT, qui conduit au blocage du système de contrôle normatif . Le dialogue tripartite entamé depuis 2012 pour construire un compromis définitif   a échoué malgré, certains accords et une déclaration patronale – syndicale conjointe. La mise en place d’un tribunal ad hoc interne au sein de l’OIT pour trancher ce litige n’a pas été retenue. Il reste donc une seule voie, le recours à la CIJ en vue d’une solution contraignante et définitive. La grève et son exercice dépendent plus des rapports de force que du droit. C’est l’arrêt qui sera émis par cette juridiction internationale qui déterminera le sort de l’action collective, la grève.

Encadré

Bibliographie

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BIT, Donner un visage humain à la mondialisation. Etude d’ensemble sur les conventions fondamentales concernant le droit au travail à la lumière de la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable. Rapport III (Partie 1B) CIT, 101e session, 2012.

CGSLA, le droit de grève dans tous ses états, 2015.

Confédération syndicale internationale (CSI), the right to Strike and the ILO. The Legal foundations. Mars 2014,

Gernigon Bernard, Odero Alberto et Guido Horacio, les principes de l’OIT sur le droit de grève.  Revue Internationale du travail, volume 137, 1998.

Louis Julien, la « crise » du droit de grève à l’OIT : Genèse d’une mobilisation patronale transnationale. Critique Internationale, 2022/1, n° 94.

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OIE, les conventions 87 et 98 de l’OIT reconnaissent-elles le droit de grève. Octobre 2014.

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OIT, (Léa Fontaine). Le droit de grève discrètement remis en cause, 2 pages

Palsterman Paul, l’accord sur le droit de grève.  CRISP, courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1755, 3002, 2002/10.

Supiot Alain, Vers un droit international de la grève, Le Monde diplomatique, janvier 2024, p3.

Verdier Jean- Maurice, débats sur le droit de grève à la conference internationale du travail. Revue Droit social, 1994.

Verge Pierre : inclusion du droit de grève dans la liberté générale et constitutionnelle d’association : justification et effets. Les cahiers du droit de grève, volume 50, n° 2, juin 2009.


[1] Bellace Janice L’OIT et le droit de grève, Revue internationale du travail, volume 153, n° 1, 2014.

[2] BIT, Donner un visage humain à la mondialisation. Etude d’ensemble sur les conventions fondamentales concernant le droit au travail à la lumière de la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable. Rapport III (Partie 1B) CIT, 101e session, 2012.paragr .35, p 13.

[3] Ibid, paragr. .20, p9.

[4] Ibid, paragr. 52, p18

[5] Ibid paragr. 117, p

[6] OIE, Les conventions 87 et 98 de l’OIT reconnaissent-elles le droit de grève. Octobre 2014.

[7] Gracos Iannis , Grèves et conflictualité sociale en 2015, Courrier hebdomadaire du CRISP, 2016/6, n° 2291-2292, p 43.

[8] Confédération syndicale internationale (CSI), the right to Strike and the ILO. The Legal foundations. Mars 2014,

[9] Bellace Janice L’OIT et le droit de grève, Revue internationale du travail, volume 153, n° 1, 2014.p 56.

[10] OIT, Conseil d’administration, 349e bis session (spéciale), Genève, 10 novembre 2023. Section institutionnelle .GB.349 bis /INS/1/1 .10 novembre 2023.p12.

[11] Confédération syndicale internationale (CSI), the right to Strike and the ILO. The Legal foundations. Mars 2014, cité in OIT, Conseil d’administration, 349e bis session (spéciale), Genève, 10 novembre 2023. Section institutionnelle .GB.349 bis /INS/1/1 .10 novembre 2023.p12.

[12] OIT, Conseil d’administration, 349e bis session (spéciale), Genève, 10 novembre 2023. Section institutionnelle .GB.349 bis /INS/1/1 .10 novembre 2023 p12.

[13] Ibid

[14] Pour un compte rendu détaillé, cf. Rapport final, une réunion tripartite sur la convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, pour ce qui est du droit de grève ainsi que les modalités et pratiques de l’action de grève au niveau national. Genève, 23-25 févr. 2015, Genève.

[15] Ibid, p2.

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