Tanger est endeuillée et avec elle l’ensemble du Maroc. Au moins vingt-quatre personnes ont trouvé la mort suite à l’inondation d’un lieu de travail clandestin.Que les personnes défuntes reposent en paix et que leurs familles soient assurées de la compassion de tous.
Si la mort en elle-même est une donnée fatale de notre présence ici-bas, et par les temps qui courent encore plus; ce sont les conditions de la mort qui révoltent, ce sont les conditions antérieures à la mort qui écœurent.
Suite à des averses violentes, la ville de Tanger est inondée. Les images partagées à travers les réseaux sociaux montrent un ruissellement canalisé violent alors que les eaux envahissaient les rues et arrivaient aux genoux des passants. Des voitures sont presque immergées.L’eau monte dangereusement et un certain nombre de personnes se mettent sur les hauteurs.
Dans un quartier résidentiel, sur le portique d’entrée d’une villa, des appels au secours se font entendre. Des personnes crient leur détresse, gesticulent et essayent de se sauver en usant d’une simple corde tendue par les personnes ameutées. Il s’agit environ d’une centaine de personnes, hommes et femmes, enhardies par la peur de la montée des eaux dans le sous-sol de la villa précitée utilisée comme atelier de confection textile. D’autres périront dans ce péril.
Il est certain que l’enquête judiciaire ouverte à cet effet apportera des éclaircissements sur les circonstances et déterminera les responsabilités de ce drame.
L’hydrologie urbaine semble s’imposer de plus en plus après les inondations de Casablanca et celles survenues à Tanger. Le réseau d’évacuation des eaux pluviales n’est pas toujours efficient, même quand il est récent et intégré dans des infrastructures nouvellement réalisées.
Avec les changements climatiques qui s’annoncent, l’expansion des agglomérations, le durcissement des sols, et autres facteurs du bassin versant urbain en relation, le risque inondation devient offensif en milieu urbain alors que les collectivités territoriales en gestion de son impact probable ne semblent pas outillées, voire conscientes des efforts à mener, pour l’affronter avant, pendant et après. La prévention du risque est basée sur la connaissance scientifique de l’aléa et de la vulnérabilité des zones intéressées.
Elle doit conduire à prendre des mesures d’atténuation et à limiter le risque au maximum à terme. La gestion de crise doit aboutir au déploiement des moyens et des secours nécessaires pour éviter les conséquences malheureuses et les impacts désastreux sur les hommes et les biens des dangers de l’inondation.
Des évènements vécus à Casablanca et à Tanger semblent relevés les déficiences, nombreuses et graves, qui ont marquées aussi bien la prévention que la gestion du risque.Faut-il espérer qu’au moins l’attention des uns et des autres, autorités et élus, a été attirée sur la nécessité d’un support opérationnel conséquent soumis à une prise de décision rapide.
Enfin, la recherche de la responsabilité ne doit pas empêcher l’expression de la solidarité. Les précautions d’usage préliminaires à l’enquête judiciaire ne doivent pas constituer un obstacle pour que les riverains apportent leurs secours à celles et à ceux qui se trouvent dans la détresse. Cela d’autant plus si les moyens municipaux sont en retard d’arrivée sur les lieux ou s’avèrent non utilisables. De même, la colère populaire doit être contenue et ne pas céder aux amalgames car la responsabilité humaine n’est pas toujours en cause dans le désastre provoqué par l’inondation.
Un autre désastre est celui de l’utilisation illégale d’un sous-sol en lieu de travail. L’informel cynique et insolent se nourrit des malheurs de la population à la recherche de moyens de sa subsistance. Il est encouragé en cela, moyennant des dessous de table, par «l’œil en plastique» de tous ceux qui sont censés contrôler et rapporter la plus faible des activités humaines et la moindre information les concernant. Impensable que les allers et venues d’une centaine de personnes et le transit des marchandises passent inaperçus par des autorités renseignées et informées en temps réel de «tout ce qui bouge».
C’est encore plus dégradant que Tanger est dotée des infrastructures nécessaires, performantes et modernes, pour l’établissement de structures industrielles, de manufactures ou d’ateliers de production. Cela porte préjudice à l’image du pays et affaiblit sa compétitivité. Pour une poignée de dirhams en plus, certainement non déclarée comme l’activité dans le sous-sol de la villa, des personnes sont soumis à l’esclavage au risque de leur vie.
L’inondation vient de le révéler et les sangsues de l’informel doivent en rendre compte en assumant les indemnisations nécessaires aux familles affligées par la perte des leurs, en plus de ce qui est prévu par la loi à l’encontre des promoteurs du travail clandestin en un lieu non sécurisé et non aménagé à cet effet.
La transformation de notre beau pays ne peut se faire dans l’illégalité, le désordre, la rapine et l’ignorance des conditions de l’aménagement du territoire et de celles de l’établissement des activités humaines. La gestion du risque est elle-même un savoir; et les inondations en milieu urbain ne sont pas une fatalité…