Les nuées de l’être

L’artiste El Houcine Illan

Par M’Barek Housni

Ce que l’on observe : des nuées peintes sur un support prenant la forme d’un triangle, traversées de fils ici et là, entrelacés, torsadés ou pliés, afin de représenter des sinuosités, des symboles, des lettres, des signes, de l’électrisant (pourquoi pas) et surtout des formes féminines apparentes. Il y a des mouvements assez fluides et évocateurs, reliés par des communications symboliques. Tout cela contribue à explorer la féminité dans ses mystères ainsi que dans ses attributs.

Ainsi, des amas sont présents dans un triangle aux teintes unifiées, ternes et brunies, rappelant l’argile des anciens murs (ceux de Marrakech où l’artiste vit et crée) ou du bois. D’ailleurs, la plupart des œuvres sont peintes sur du bois. Il y a clairement un lien fort avec la nature qui sert d’inspiration.

Ensuite, on remarque inévitablement ce format triangulaire dans la quasi-totalité des travaux de l’artiste. C’est une rupture délibérée et non conventionnelle dans la représentation formelle de l’œuvre artistique. L’artiste délaisse délibérément les autres formats, adoptant une approche artistique avancée pour ajouter une dimension visuelle et structurelle à l’œuvre, à travers les angles et les côtés diagonaux du triangle. Il a une idée précise, qui conditionne le choix, en créant une représentation multiple où les signes et les suggestions formelles liées à la féminité reviennent à l’origine du monde.

Ce sont ces deux aspects majeurs qui interpellent le regard lors de l’approche de l’expérience artistique d’El Houcine Illan, qu’on ne peut manquer de remarquer en tant que différenciant clairement dans le domaine des arts plastiques au Maroc, tout en faisant partie de la vivacité que connaît ce domaine. C’est un double constat d’une légitimité acquise haut la main.

Dans cette forme triangulaire (ou pyramidale), la nuée est blanchie, éclairée, où des formes verdâtres, rougeâtres et brunâtres se diffusent, s’étalent, se rejoignent, créant une tonalité commune avec différents aspects. Cela dépend des conditions spatio-temporelles. Cet espace délimité par une géométrie peu commune, lorsqu’il est encadré, est donc investi et questionné, dans un deuxième temps, par le choix des couleurs situées entre le vif et l’éteint, là où le doute règne, un doute fondamental et non fortuit, une constante qui détermine le devenir de la toile originale grâce à la nature même de ce qui a trois côtés. Une géométrie qui représente le choix de regarder le monde sans la dimension cartésienne ou en la modérant, dans l’absence d’une dimension, tout en restant dans la logique de l’encadrement. On peut ainsi se voir immergé dans la nuée, exprimant tout simplement. Cet art va à l’encontre de ce qui est généralement accepté dans les formes carrées et rectangulaires, dans le cadre à quatre dimensions. C’est une convention que l’artiste choisit de contourner pour loger le fruit d’une recherche qui vise à donner à l’ocre une dimension imaginative. Cette recherche cherche à donner à l’ocre, à travers différentes tonalités, toute sa signification, l’ocre qui représente la terre, le mur, la tempête, la poussière, ni sombre ni lumineuse.

On remarque immédiatement que cela a un lien avec le féminin. Plusieurs œuvres portent des titres issus du lexique de la féminité. Fertilité, circoncision féminine, maison close, désir fatal, machine délirante. C’est là que le triangle prend toute sa symbolique : point de départ de la vie, source du désir, lieu de souffrance. Convoité tant par l’illicite que par le licite, il ouvre grand la porte à l’imagination, sans être circonscrit. C’est pourquoi l’artiste penche vers la représentation de la nuée, pour signifier la difficulté de compréhension, remplacée par l’essai d’approche qui est uniquement de son ressort. Cela explique pourquoi d’autres titres désignant certaines œuvres empruntent un langage extrême : inversion, mort, esclavage, blessure, possession. Tout est dit : la féminité est continuellement liée au désir et à la douleur, bain de jouvence et bain de sang, d’où cette couleur dominante embrunie ou assombrie partout, parfois interrompue par des aplats de blanc, lui-même impur.

Quelle est donc cette esthétique qui choisit une forme et un contenu étroitement liés, se reflétant mutuellement ? C’est celle qui incarne le secret à moitié révélé, ne se dévoilant que partiellement, par petites touches, tels des indices dans une quête de vérité. La naissance de toute chose, aussi fugace soit-elle, n’est jamais annoncée en plein jour. El Houcine Ilan le démontre à travers sa palette qui oscille entre clarté et obscurité, entre lumière et brouillard, en intégrant des éléments empruntés à la sémiologie. Le résultat est saisissant : des œuvres qui surgissent comme autant de questions bienvenues. Et lorsque l’interrogation imprègne une création artistique, elle la place dans le domaine de la spéculation, qui s’étend de l’émotionnel jusqu’à toucher les âmes elles-mêmes. C’est grâce à cette exploration introspective que l’artiste parvient à susciter une résonance profonde chez le spectateur, ouvrant ainsi la voie à une connexion spirituelle. C’est là l’objectif ultime recherché.

L’être, sans désignation précise, vit au fond des méandres des nuées, une réalité qui le préexistait, naviguant et luttant dans les contrées de l’effacement, où seules quelques étincelles de lumière subsistent, suffisantes pour déchiffrer le parcours à travers quelques langages. Dans cette quête, il est couvert de forces triangulaires. C’est ainsi que se déploie un message, transmis à travers l’art pictural, que cet artiste maîtrise intentionnellement.

*Écrivain et chroniqueur d’art*

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