Les rues de Manille étaient pleines de monde ce samedi 25 Février 2017 à la suite de l’arrestation, la veille, de la principale opposante au régime de Rodrigo Duterte, la sénatrice Leila De Lima au motif qu’elle serait accusée de trafic de drogue et pour dénoncer la brutale répression qui, sous couvert de la lutte contre la drogue, aurait pris un visage dictatorial et tué sommairement des milliers de personnes en dehors de tout processus judiciaire.
Les manifestants auxquels s’est joint l’ex-Président Benigno Aquino III alias Noynoy s’insurgent contre un retour à ce règne de la terreur et de la dictature qui avait été balayé, 31 années auparavant, par la «révolution du peuple».
Mais qui serait ce Benigno Aquino III ? Benigno Aquino, le troisième du nom, est le fils de l’ancienne Présidente Corazon Aquino et de l’ancien sénateur Benigno Aquino abattu, à sa descente d’avion sur le tarmac de l’aéroport de Manille, tué en 1983 par les hommes du dictateur Ferdinand Marcos en Août 1983. Blessé par des soldats rebelles lors d’un putsh manqué perpétré par des rebelles militaires contre sa mère, Benigno Aquino III avait été élu en 1998 à la Chambre des représentants et en 2007 au Sénat. Devenu Président de la République à l’issue des élections de 2010, il est resté à la tête du pays jusqu’à son remplacement en Juin 2016 par l’actuel Président Rodrigo Duterte.
Venu également soutenir les manifestants, le dramaturge Bonifacio Ilagan, qui avait fait les frais de la dictature de Marcos, a lancé, pour sa part, une sévère «mise en garde contre la montée du fascisme» et dénoncé «la culture de l’impunité» générée par la guerre anti-drogue menée par le pouvoir.
S’étant rendu la veille à des policiers armés jusqu’aux dents venus la chercher à son domicile, l’ancienne sénatrice et ministre de Justice Leila De Lima a déclaré « C’est un honneur d’être emprisonnée pour les choses pour lesquelles je me bats… Je suis innocente… Ils ne pourront pas me faire taire et m’empêcher de me battre pour la vérité et la justice (et) contre les meurtres quotidiens et l’oppression du régime de Duterte ».
La Vice-Présidente Leni Robredo, également membre du Parti Libéral auquel appartient Leila De Lima, considère que cette arrestation relève du «harcèlement politique» et d’un odieux règlement de compte puisque lorsqu’elle était dans le précédent gouvernement en tant que ministre de la Justice, Leila De Lima avait ouvert une enquête sur Rodrigo Duterte qui, en ce temps-là, était maire de Davao et l’avait soupçonné de soutenir ces fameux «escadrons de la mort» qui avaient assassiné plus de 1000 personnes « criminels présumés» ou simples «enfants des rues».
Ayant promis, dès son élection en mai dernier, d’éradiquer le fléau de la drogue, le Président Rodrigo Duterte aurait fait abattre des dizaines de milliers de personnes. La police a officiellement annoncé l’assassinat de 2555 suspects alors que près de 4000 autres personnes auraient été abattues dans d’obscures circonstances ; ce qui a poussé Amnesty International à dénoncer un «crime contre l’humanité» et le Haut Commissariat de l’O.N.U. aux droits de l’Homme à exprimer sa profonde inquiétude.
Dans l’entourage du Président, on prétend que l’arrestation de la sénatrice prouve au contraire que l’incorruptibilité du régime de Duterte n’est plus à démontrer ; ce qui fait dire au porte-parole de la Présidence de la République que «la guerre contre les drogues illégales prend pour cible tous ceux qui sont impliqués et l’arrestation d’une sénatrice en fonction montre la ferme résolution du Président de combattre les dealers et leurs protecteurs».
Interrogé, un manifestant voit que «le parallèle entre Duterte et Marcos, c’est qu’ils font taire les dissidents… Si on s’oppose à eux, on est considéré comme des jaunes, des pro-Aquino ou simplement comme des personnes qui soutiennent le trafic de drogue même s’il n’en est rien»…
Nabil El Bousaadi