L’Etat-nation, la fin d’un mythe

La figure du réfugié dessine l’alternative…

Le concept de l’Etat-nation occupe dans le discours politique contemporain une fonction mythique. Un mythe qui masque la réalité de son origine européocentriste; coïncidant avec la montée de l’idéologie capitaliste et de la bourgeoisie en expansion, mettant en avant les idées de circulation et de mobilité; reposant sur une mutualisation des souverainetés et des territoires.

Mais ce mythe cachait aussi (son rôle comme idéologie) les réalités complexes des entités auxquelles il fut appliqué. Sauf que les mythes aussi sont des produits périssables même si la durée de vie n’est pas précisée dans le papier d’emballage. Avec le cas Catalan, nous assistons au retour des faits. L’occasion peut-être d’en finir avec la mythologie.

Déjà, la fin du 20e siècle avait annoncé la couleur. L’éclatement de l’Union soviétique a réveillé un peu partout les revendications identitaires. Un observateur notait au lendemain de 1989 que l’histoire du 20e aurait dû être écrite au crayon : des Etats ont vu le jour, d’autres ont disparu. La voie était alors ouverte, du moins sur le plan théorique, à la discussion sur l’affaiblissement, voire sur la mort programmée de l’Etat-nation, tel qu’il avait vu le jour en Europe occidentale en 1864 (les Accords de Westphalie). Les années 2000 vont confirmer cette tendance avec la recrudescence des études sur les lieux de mémoire et le communautarisme ; ou pour parler comme Michel Maffesoli, le retour du tribalisme et le triomphe du local.

Dans notre continent africain, ce concept importé fut tout simplement une hérésie dont on subit encore les conséquences. C’est le colonialisme qui a introduit ce nouveau rapport dans l’espace politique, en imposant la frontière rigide et universellement reconnue   comme paradigme de la modernité politique.Le géographe Cabot notait avec justesse que «la configuration actuelle de l’Afrique est le fruit d’une Europe conflictuelle»; celle qui s’entredéchire pour des lignes de défense tracées dans les cabinets d’Etat-major.

Les cartes de l’Afrique aujourd’hui comme celles du Moyen-Orient sont le prolongement de ces fantasmes claustrophobes. Dans le combat juridique mené par notre pays pour restituer sa souveraineté légitime, a été mise en avant une dimension culturelle et symbolique loin du paradigme européen de l’appartenance figée. Le concept d’allégeance introduit une autre dimension dans les rapports entre les populations, le pouvoir et l‘espace. L’autorité et la souveraineté s’exercent sur des populations et des lignages moins que sur des espaces vides d’hommes.  «Car hier plus qu’aujourd’hui, la vraie richesse de tous était l’Homme plus que le territoire».

Dans un excellent dossier de Libération France sur la Catalogne, des historiens apportent des éclairages instructifs. On y relève notamment deux choses. D’abord que le clivage entre Madrid et Barcelone n’est pas seulement national mais politique. C’est la forme même du régime qui est en jeu. Ensuite, derrière la volonté d’indépendance des Catalans se cache aussi un mécontentement vis-à-vis de la constitution ; sentiment largement partagé par de nombreux Espagnols.

N’oublions pas que le mécontentement actuel est la résultante de deux faits politiques majeurs : primo, le centralisme agressif espagnol incarné par la période Aznar qui a fait du nationalisme dur le pivot de son projet politico-culturel; secundo, l’échec du projet de l‘autonomie catalane initiée début 2004. A cela s’ajoute les effets de la crise économique qui ont montré que l’Espagne était un échec  (surtout pour une région réputée riche).

Bref, le modèle standard d’Etat-nation fondé sur la trilogie Etat-territoire-nation est en crise profonde. D’autres signes (la révolution des réseaux sociaux, les mouvements migratoires…) plaident en faveur d’un autre modèle d’Etat-nation, appuyé sur des frontières flexibles, une citoyenneté flexible, une distinction entre nationalité et citoyenneté. La figure du réfugié qui hante de plus en plus notre horizon dessine les contours d’une appartenance ouverte et somme toute aléatoire et transitoire.

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