Suspendu au verdict de la Cour suprême sur la présidentielle
Les Kényans retenaient leur souffle lundi dans l’attente d’une décision de la Cour suprême sur les résultats contestés de l’élection présidentielle, beaucoup redoutant que ne s’ouvre une période d’incertitude en cas d’annulation du scrutin.
« Le jour du jugement », annonçait en une le quotidien The Standard, tandis que le journal gratuit The People Daily se préparait au « moment de vérité ».
Le 15 août, le vice-président sortant William Ruto a été déclaré vainqueur d’un des scrutins les plus serrés de l’histoire du Kenya, avec environ 233.000 voix d’avance (50,49% contre 48,85%) sur Raila Odinga, figure historique de l’opposition soutenue cette année par le président sortant Uhuru Kenyatta et son puissant parti.
M. Odinga a crié à la fraude et saisi la Cour suprême, affirmant avoir « suffisamment de preuves » de sa victoire.
La lecture de la décision de la présidente de la Cour suprême, Martha Koone, a commencé peu après 12H00 (09H00 GMT).
Vétéran de la politique (77 ans), Raila Odinga, qui a contesté les résultats des trois dernières présidentielles, avait obtenu en 2017 l’annulation de l’élection par la Cour suprême, une première en Afrique.
Il a dit avoir fait de cette nouvelle bataille judiciaire « un combat pour la démocratie et la bonne gouvernance » face aux « cartels de la corruption ».
William Ruto a quant à lui accusé son adversaire de tenter d’obtenir « une deuxième chance avec une nouvelle élection contrainte par la justice ».
La décision de la Cour suprême, connue pour son indépendance, est très attendue.
Si le Kenya fait figure de locomotive économique et de havre de stabilité dans une Afrique de l’Est tourmentée, il a par le passé connu des troubles en périodes électorales – les plus meurtriers, en 2007, ont fait plus de 1.100 morts.
Le vote s’était déroulé dans le calme le 9 août, mais la proclamation des résultats la semaine suivante a été chaotique.
Peu avant cette annonce, quatre des sept membres de la commission électorale (IEBC) s’étaient désolidarisés des résultats, accusant leur chef Wafula Chebukati de s’être engagé dans un processus « opaque ».
La proclamation de l’élection de M. Ruto a ensuite déclenché des échauffourées dans des bastions de partisans de M. Odinga.
Beaucoup de Kényans redoutent qu’une invalidation des résultats – synonyme d’une nouvelle période électorale – ne plonge leur pays dans plusieurs mois d’incertitude qui viendraient aggraver leurs difficultés quotidiennes, causées notamment par une inflation persistante.
« Nous avons déjà perdu beaucoup de temps et d’argent. Si nous retournons aux urnes, nous perdrons (encore plus) de temps et de ressources », estime Anne Karanja, une vendeuse de fruits de la capitale Nairobi.
Sous pression après l’annulation de 2017, l’IEBC est à nouveau au coeur de la tempête.
Raila Odinga affirme que les serveurs de la commission électorale ont été piratés pour y introduire des formulaires de résultats falsifiés et qu’environ 140.000 votes n’ont pas été comptabilisés.
Le patron de l’IEBC a nié ces allégations, assurant avoir rempli ses fonctions conformément à la loi malgré « l’intimidation et le harcèlement ».
La Cour suprême a annoncé qu’elle examinerait si la technologie utilisée répondait aux « normes d’intégrité, de vérifiabilité, de sécurité et de transparence ».
Elle devra aussi déterminer si William Ruto a bien obtenu plus de 50% des voix. Si tel n’était pas le cas, le Kenya se dirigerait vers un deuxième tour inédit dans son histoire.
Si la majorité des sept juges invalide les résultats, un nouveau scrutin doit en effet se dérouler dans les 60 jours.
Mais l’organisation d’une nouvelle élection s’annonce compliquée. Raila Odinga a d’ores et déjà exigé qu’un éventuel nouveau scrutin ne soit pas supervisé par Wafula Chebukati.
En 2017, après avoir obtenu l’annulation de l’élection d’août, il avait boycotté celle d’octobre, accusant l’IEBC – déjà dirigée par M. Chebukati – de ne plus être crédible.
Si la Cour suprême confirme les résultats, William Ruto deviendra à 55 ans le cinquième président depuis l’indépendance en 1963.
Les deux camps ont promis de respecter la décision de la plus haute juridiction.
Mais pour Moses Mungai, l’incertitude demeure. Déjà durement frappé par la pandémie, son commerce de fleurs a encore souffert le 9 août et les jours suivants dans les rues désertées de Nairobi.
« Les gens ne sont pas sortis de chez eux », explique ce commerçant de 55 ans, qui s’attend à vivre la même situation à partir de lundi : « Les gens craignent qu’il n’y ait des affrontements. Ils fermeront (les magasins) et attendront de voir si tout va bien. »