Nikol Pachinian, un héros devenu traître

Premier ministre arménien

L’Arménie dont l’évocation a, pendant longtemps, été liée à la triste histoire de son génocide au début du siècle dernier, est revenue au-devant de l’actualité ces deux derniers mois avec ce qu’il est convenu d’appeler «le conflit du Haut-Karabakh» à l’issue duquel, en l’espace de 45 jours, elle a perdu de grands pans de son territoire et plus de 2300 personnes.

Ainsi, après cette cuisante défaite, chagrins et désolation ont rapidement remplacé l’euphorie et l’immense espoir qu’avait généré la « révolution de velours » du printemps 2018, ce soulèvement populaire porté par ces centaines de milliers de jeunes qui avaient répondu à l’appel du député et ancien journaliste Nikol Pachinian lorsqu’il s’était mis en tête d’entreprendre une longue marche à pied à travers le pays pour chasser Serge Sarkissian, le premier ministre d’alors, un autocrate corrompu très proche du Kremlin. Ayant rapidement bénéficié d’une légitimité et d’une popularité sans précédent, le jeune leader fut élu premier ministre et, dans l’euphorie de la victoire, ses compatriotes se mirent à rêver d’une « nouvelle Arménie ».

Or, ce rêve qui se brisa lors de l’assaut mené le 27 septembre dernier par le voisin azéris se transforma très vite en un cauchemar lorsque les troupes ennemies s’emparèrent de la forteresse stratégique de Chouchi  – si chère aux deux communautés – et d’une bonne partie de Stepanakert, la capitale de la fameuse « République d’Artsakh » qui aura, désormais, bien du mal à survivre en étant enclavée et reliée à l’Arménie par un seul petit corridor contrôlé par l’armée russe.

La défaite arménienne est donc de taille. Aussi, l’accord de paix signé le 9 Novembre dernier par les deux protagonistes sous l’égide de la Russie et ayant permis à l’Azerbaïdjan de reconquérir ces larges pans de son territoire qui étaient tombés sous le contrôle de l’Arménie lors de sa victoire contre les troupes azéries en 1994,  est-il perçu par les arméniens comme étant une capitulation.

En signant cet accord qui consacre la victoire militaire de l’Azerbaïdjan, Nikol Pachinian n’est donc plus un héros aux yeux d’une bonne partie de ses compatriotes mais un «traître» qui aurait courbé l’échine devant l’ennemi et « abandonné des terres arméniennes ». Or, il semblerait que la vérité soit ailleurs quand le Premier ministre arménien assure avoir apposé sa signature sur ce «douloureux» accord de paix, sur la pression de l’armée et, surtout, pour que la totalité de la région ne puisse pas tomber sous le contrôle de l’Azerbaïdjan. Aussi, pour Vardan Voskanian, un militant du parti d’opposition «La Patrie», «l’homme qui a signé cet accord n’a pas le droit de vivre en Arménie» et il va falloir lui trouver comme remplaçant «un dirigeant qui changera cet accord honteux».

Que dire pour terminer sinon que, pour que les arméniens puissent comprendre ce qui s’est réellement passé, sur le terrain, du 27 septembre au 9 novembre 2020, alors que leur victoire de 1994 était encore présente dans leurs esprits, il leur faudra beaucoup de temps car la «ferveur guerrière populaire» et la propagande officielle ont, cette fois-ci, masqué ce qui était une défaite inéluctable.

Enfin, en ayant présent à l’esprit qu’en matière politique, le cheminement des hommes est plus souvent un trajet parsemé d’embûches qu’un long fleuve tranquille, on comprend aisément que les héros d’hier puissent devenir les traîtres d’aujourd’hui. Nikol Pachinian semble être de ceux-là, alors attendons pour voir…

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