Quatre questions à El Hassan Daki, président du ministère public
Propos recueillis par Bouchra AZOUR – MAP
Depuis près de quatre ans, la présidence du ministère public œuvre à inscrire cette importante institution dans le vaste chantier de réforme de la Justice dans le Royaume, accomplissant d’indéniables réalisations en si peu de temps.
Dans une interview à la MAP, le Procureur général du Roi près la Cour de Cassation, président du ministère public, El Hassan Daki, dresse le bilan des exercices écoulés et se projette sur les actions qui doivent être menées à l’avenir pour faire du parquet un acteur central et agissant de la réforme du système judiciaire national.
Question : Quatre ans après l’indépendance du ministère public vis-à-vis de l’Exécutif, quel bilan en tirez-vous ?
Depuis la consécration de son indépendance en date du 7 octobre 2017, le ministère public a mis au point une stratégie multidimensionnelle en vue de traduire dans les faits les dispositions de la Constitution du Royaume relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire et d’activer les recommandations de la Charte de réforme du système de la Justice.
Il convient, à cet effet, de relever que la concrétisation de cette transformation n’était pas chose aisée sans la Haute sollicitude royale, qui s’est exprimée dans les directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, au Conseil des ministres du 25 juin 2017, appelant à la recherche de locaux pour le ministère public et à l’élaboration d’un cadre juridique en adéquation avec ses attributions et ses missions.
On peut affirmer avec assurance que le bilan des quatre exercices passés est très positif. Le point focal de ces accomplissements consiste, tout particulièrement, dans l’ancrage de l’édification institutionnelle du ministère public parmi les autres institutions de l’Etat, selon des normes modernes et sur la base d’une stratégie claire et en phase avec les dispositions constitutionnelles et juridiques encadrant son action.
En s’appuyant sur ce travail méthodique, la présidence du ministère public avait plusieurs finalités en ligne de mire. D’abord, il s’agissait de mettre en exécution les orientations fondamentales de la politique pénale, dont la priorité était donnée au renforcement de la protection des droits, des libertés individuelles et collectives, à la communication avec l’opinion publique, à l’ouverture sur l’environnement extérieur, à la lutte contre les graves violations des droits humains, à la moralisation de la vie publique, à la lutte contre la corruption et la traite des êtres humains.
Ensuite, il fallait garantir la périodicité et la régularité de la publication des rapports annuels de la présidence sur l’exécution de la politique pénale et le fonctionnement du parquet, en plus de la communication sur les problématiques rencontrées dans l’accomplissement de ses missions. La richesse des contenus desdits rapports a offert une assise scientifique et pondérée pour le débat entre les acteurs du secteur de la Justice.
L’intérêt du ministère public s’est aussi porté sur les préoccupations des citoyens, qui sont au cœur de ses priorités. Cela s’est notamment matérialisé par la création d’un front office réservé à la réception des plaintes, selon les normes internationales reconnues.
Dans le même sens, la présidence a adressé un nombre de circulaires au parquet relatives à l’amélioration des conditions d’accueil des justiciables, à la protection des droits, à la prise en charge des réclamations en leur apportant des solutions avec la célérité et l’efficacité nécessaires et en informant les plaignants de la suite qui leur a été donnée.
D’autre part, la présidence a accordé une attention spéciale à informer les citoyens des tenants et aboutissants des affaires d’opinion publique et à leur présenter les données à temps et en toute transparence.
Elle a également œuvré à enrichir les débats sur les sujets se rapportant à la chose juridique, à la faveur d’une diversification des passerelles de communication avec les supports médiatiques, qu’ils soient audiovisuels ou écrits. Et dans le souci d’institutionnaliser cette pratique, la présidence a entrepris un programme de formation des porte-paroles des parquets dans différents tribunaux du Royaume. Le pari est en train d’être gagné à la faveur de la formation de 150 magistrats dans le domaine de la communication.
Par ailleurs, la présidence du ministère public s’est mobilisée pour accompagner la stratégie nationale de lutte contre la corruption en mettant en place une ligne téléphonique spéciale pour les actes de dénonciation, qui est opérationnelle depuis le 16 mai 2018.
Jusque-là, ce mécanisme a permis d’appréhender 181 suspects en flagrant délit. Cela atteste des faits que la moralisation de la vie publique et la lutte contre la corruption sont un choix stratégique pour la présidence de ministère public, qui est résolue à poursuivre l’exécution des plans dédiés en toute intransigeance et sans répit.
S’agissant de l’ouverture sur l’environnement extérieur, la présidence du ministère public a réussi à intégrer et à marquer sa présence au sein d’un ensemble de forums internationaux, notamment l’élection du Maroc à la vice-présidence de l’Association des procureurs d’Afrique, l’adhésion à l’Association internationale des procureurs (IAP) et l’accès au statut d’observateur au Conseil consultatif des procureurs européens (CCPE), sachant que le Royaume est le seul pays arabe et africain à siéger au sein de cette organisation européenne.
Sur un autre plan, la présidence du ministère public a accompli un travail remarquable dans les circonstances particulières de la crise sanitaire de la Covid-19, dans la mesure où elle a pu gérer cette étape avec la sagesse et le discernement requis, en coordination avec les différents acteurs du secteur, à leur tête le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, les avocats de la défense et les services de la police judiciaire.
Le ministère public a, ainsi, émis plusieurs circulaires à l’adresse des parquets pour une optimisation de leur action, l’intensification de la communication avec les citoyens et la mise en place de solutions novatrices en phase avec cette conjoncture exceptionnelle que nous vivons toujours.
C’est dans ce sens qu’il a été procédé à l’adoption des procès à distance pour les individus en état d’arrestation. Jusqu’au mois de juin, 23.797 audiences ont été programmées pour l’examen de 445.096 procès, au titre desquelles ont été jugés 70.310 détenus, dont 14.281 ont été relaxés. Ces statistiques reflètent la gestion réussie de la situation générée par la crise sanitaire.
Même s’il est difficile de dresser un bilan exhaustif des réalisations le temps d’une interview, ce qui est certain est que l’évaluation de quatre années d’exercice de la présidence du ministère public peut donner un motif de satisfaction. L’essentiel peut se résumer dans l’édification d’une institution judiciaire qui s’est faite une place parmi les autres institutions en un temps record, grâce à l’adoption de normes de travail modernes et à l’abnégation de ressources humaines compétentes et engagées au service de la Justice dans notre pays.
Question : L’indépendance de la Justice et la consolidation des droits humains sont parmi les principaux axes de travail du ministère public et de l’exécution de la politique pénale. Quelles sont les actions entreprises à cette fin ?
Au niveau du ministère public, il existe un programme bien ficelé, adossé à une stratégie d’action méticuleuse, pour la réalisation des ambitions de réforme du système de la Justice.
Parmi les objectifs qui en découlent, il y a la consécration du principe de l’indépendance de la Justice, en conformité avec l’esprit de la Constitution du Royaume, des lois régissant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, du statut des magistrats et de la loi N° 33.17 relative au transfert des attributions de l’autorité gouvernementale en charge de la Justice au président du ministère public. Des textes juridiques que la présidence du parquet s’est attelée à activer pour donner sens à ce principe.
Aussi, le ministère public a contribué à l’enrichissement du débat constitutionnel et juridique sur l’indépendance du parquet en tant que choix constitutionnel distinguant l’expérience marocaine, son caractère d’avant-garde et son positionnement à l’international comme un modèle à suivre.
La présidence du ministère public s’est, d’autre part, acquittée des missions qui sont les siennes en matière de renforcement de l’indépendance de la Justice, à travers l’activation des dispositions juridiques susceptibles de protéger les acteurs de Justice contre toute pression ou influence extérieure.
L’indépendance du parquet s’illustre dans les décisions prises par ses juges dans les tribunaux du Royaume, qui s’inspirent de l’esprit de la Constitution, essentiellement l’article 117 qui charge les magistrats de la mission de protéger les droits et libertés, la sécurité judiciaire des personnes et des groupes, ainsi que de l’application de la Loi. Des tâches qui doivent être accomplies loin de toute influence ou toute considération que celle de la primauté de la Loi et de la conscience professionnelle.
Pour ce qui est de la consolidation des droits de l’Homme, l’une des priorités de la politique pénale, le ministère public n’a eu de cesse d’insister sur leur préservation, la mise en place de toutes les garanties nécessaires pour leur protection et de la reddition des comptes en cas de toute atteinte.
L’importance accordée par le ministère public à cette question émane de la prise de conscience de la place centrale conférée par la Constitution aux droits des citoyens et à leurs libertés, de même qu’elle répond à la détermination à faire prévaloir les principes fondateurs du système universel des droits humains et du droit humanitaire international.
L’intérêt pour la préservation des droits humains s’est manifesté dans les circulaires envoyées aux magistrats du parquet, les incitant notamment à rationnaliser la garde à vue et l’émission des avis de recherche, à combattre la corruption financière, à ne recourir aux instruments privatifs de liberté que quand c’est nécessaire, à lutter fermement contre les violations des droits et libertés…
On peut également citer la publication d’un guide contre la torture et autres traitements cruels et dégradants, le lancement d’un programme de formation des juges du ministère public dans le domaine des droits de l’Homme (400 bénéficiaires jusqu’ici), l’organisation de rencontres de communication avec les principaux partenaires en matière de justice pénale, particulièrement la Sûreté nationale et la Gendarmerie royale, pour débattre autour des contraintes dans l’exercice de leurs fonctions et des solutions proposées pour y remédier, l’objectif étant de renforcer les aspects relatifs aux droits et aux libertés dans les investigations judiciaires.
De manière générale, la présidence du ministère public fera constamment preuve de la même énergie et de la même vigueur dès qu’il est question de la défense de l’indépendance de la Justice et de la protection effective des droits et libertés.
Question : A l’approche des échéances électorales, comment le ministère public va-t-il contribuer à garantir l’intégrité de ce processus ?
En application des Hautes instructions de Sa Majesté le Roi, il a été décidé, dernièrement, de la mise en place de mécanismes de suivi du processus électoral, à travers l’installation d’une commission centrale et de commissions régionales et locales chargées d’accompagner ce processus dans ses différentes étapes, dans le souci de garantir l’équité des élections et être à la hauteur des attentes du citoyen.
Ainsi, compte tenu des attributions et prérogatives qui lui sont conférées par la Loi et le code électoral, la présidence du ministère public, avec l’ensemble des magistrats du parquet à travers le Royaume, seront en première ligne pour lutter contre toutes les formes de fraude de nature à porter atteinte à l’intégrité du processus électoral.
L’engagement du ministère public se fera à travers la coordination et la coopération au sein de la commission centrale -qui englobe également le ministère de l’Intérieur-, des commissions régionales (walis et procureurs généraux) et les commissions locales (gouverneurs et procureurs du Roi).
Cette organisation et les dispositifs y afférents sont à même d’assurer la transparence du scrutin, l’application des mesures répressives prévues dans les attributions du ministère public. Les juges du parquet répondront présents à chaque fois que c’est nécessaire, que ce soit pour redresser une situation ou établir des PV de toute infraction aux règlements. Nous allons faire montre d’une grande vigilance et agir avec efficience durant toutes les phases du processus électoral.
Questions : Quels sont les axes majeurs de la stratégie du ministère public pour la prochaine étape ?
La période passée était celle de l’édification des structures, de l’ancrage juridique, de la recherche des ressources humaines et matérielles pour le bon fonctionnement et de l’élaboration de la conception générale et de la philosophie de l’indépendance de l’institution.
Il existe une unanimité autour du succès de cette entreprise et de l’efficacité de la stratégie adoptée, qui a permis l’émergence d’une institution contribuant au rayonnement national et international de la Justice marocaine.
Pour la prochaine étape, nous allons nous pencher sur la réalisation d’une série d’objectifs, dont le développement du travail des parquets dans les différents tribunaux pour en faire un parquet citoyen.
Ce sera le mot d’ordre sur lequel nous allons travailler sans relâche, en misant sur l’accompagnement des parquets, l’amélioration de leurs capacités et l’application stricte de la Loi. La finalité est de donner sens à la volonté et aux objectifs du législateur et concourir à la mise en place de la Justice souhaitée, en parfaite coordination avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et l’autorité gouvernementale compétente. C’est de cette manière que nous pourrons nous hisser au niveau des aspirations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
De plus, nous allons œuvrer à mettre au point des modes de gouvernance modernes au sein du ministère public, privilégiant le travail par objectifs selon des indicateurs mesurables afin de pouvoir évaluer les performances avec précision.
L’action à venir portera aussi sur le renforcement de l’indépendance de la Justice au vu de son impact effectif sur la défense des intérêts supérieurs du pays et des citoyens, la protection des droits et des libertés des personnes et des groupes, la préservation des valeurs sociales et des symboles de la Nation.
Nous allons, en outre, poursuivre les relations de coopération avec les différents acteurs du domaine de la Justice et les instances de la société civile, compte tenu que la communication est un rouage essentiel pour une action commune et la mise à niveau de ce secteur.
La présidence du ministère public devra apporter une attention spéciale à la lutte contre les violations des droits et libertés, travailler à rationaliser l’utilisation des mécanismes juridiques privatifs de liberté, garantir les droits de la défense et fixer des délais raisonnables dans la gestion des procédures et la bonne application de la Loi.
Autant de priorités que nous allons nous employer à déployer dans le cadre de nos missions en matière d’exécution de la politique pénale, de la même manière que nous allons continuer à prendre soin des catégories sociales vulnérables, à renforcer les mesures de protection des enfants, des femmes et des personnes en situation de handicap.
Le ministère public dirigera également ses efforts au maintien de l’ordre public économique et à l’encouragement de l’investissement, par le biais de la consécration de l’Etat de droit et de la garantie de la sécurité judiciaire et juridique, dans le contexte de la mise en œuvre du nouveau modèle de développement.
Notre attention se focalisera sur les préoccupations du citoyen, dans la mesure où notre travail se concentrera sur la contribution à la mise en place d’une justice efficace, équitable, impartiale et de proximité. Le but est de garantir à tout un chacun la sécurité judiciaire et un accès effectif à une Justice respectueuse de la citoyenneté et de la dignité. Cela ne peut se faire que par la dextérité dans la recherche de solutions aux griefs des citoyens et la communication autour d’elles.
La moralisation de la justice sera une priorité absolue pour le ministère public, via l’activation du code de déontologie et la prévention des comportements préjudiciables à l’image de marque de la Justice et susceptibles d’ébranler la confiance en son impartialité.
Pour ce faire, la présidence du ministère public mettra à parti l’ensemble de ses attributions et prérogatives pour contribuer efficacement au chantier de la moralisation, lutter énergiquement contre toute dilapidation des deniers publics et promouvoir les vertus d’intégrité et de rectitude.
La formation continue et des sessions spécialisées dans des domaines précis seront nécessaires pour s’assurer que les magistrats du ministère public sont au diapason de l’évolution de la législation et peaufinent leurs connaissances, ce qui ne manquera pas de les aider à traiter les affaires qui leur sont soumises avec l’efficacité et la compétence requises.
La présidence du ministère public est soucieuse d’unifier les méthodes de travail au niveau des parquets, de lancer des standards sur la qualité des prestations fournies aux citoyens et d’améliorer substantiellement les conditions d’accueil et d’accès à la Justice, qui pourrait se faire via le lancement d’une plateforme numérique pour la prise de rendez-vous.
C’est la raison pour laquelle le ministère public se penche sur l’élaboration de guides d’encadrement et d’orientation, en formats papier et numérique, qui seront mis à la disposition des magistrats du parquet.
Au sein de la présidence du ministère public, nous aspirons vivement à la consécration d’une Justice équitable, efficace et crédible. Et nous n’allons ménager aucun effort pour atteindre cet objectif et, partant, se mettre à la hauteur de la confiance royale.