Pandémie: pour une éthique de résistance

«Dans les profondeurs de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible»

Albert Camus

Les générations actuelles n’ont pas eu à subir un traumatisme majeur. Pour l’essentiel, elles sont nées après la deuxième guerre mondiale. Elles n’ont pas ainsi connu les affres de la disette, des pénuries multiples…autant de drames collectifs ancrés dans la mythologie populaire sous des appellations diverses: «l’année du bon», «l’année de la famine», «l’année des sauterelles». Elles n’ont pas connu non plus des catastrophes d’envergure : il y avait bien des tremblements de terre (Agadir, 20 000 morts), des épidémies, des tsunamis…des guerres, mais c’était souvent des géographies lointaines.

Avec le Covid-19, les générations actuelles sont entrées de plain pied dans l’histoire des tragédies universelles. Elles font ainsi un apprentissage au quotidien de ce qu’est réellement la vie. Une expérience vécue cette fois dans l’incertitude totale pour garder à l’esprit combien les choses pouvaient être soudaines, brutales, terribles. Pour se rappeler à jamais qu’aucun bonheur n’est acquis pour l’éternité. Se rappeler combien la vie était fragile. Précieuse, mais terriblement fragile.

Certes, des récits de science-fiction, surtout cinématographiques, ont nourri  l’imaginaire de ces générations de représentations sur le devenir apocalyptique du monde. Vécus et  consommés sur le mode spectaculaire, ces récits de fiction donnent une représentation de risques existentiels et collectifs qui auraient ainsi quitté l’ordre de l’hypothèse, de l’abstrait.

Le grand intérêt de ces fictions tient donc à ce qu’elles rendent visibles les possibilités de l’apocalypse. Elles sont un relais symbolique de nos angoisses et peurs collectives.

Comme le dit le philosophe Michaël Fœssel: «Comme l’homme a tendance à ne plus remarquer ce qu’il habite, le détour par les images présente un intérêt maximal : le but des métaphores est toujours de fournir une expression abrégée, et si possible frappante, de ce qui ne se laisse pas saisir au premier regard».

Cette recherche d’images frappantes explique peut-être en cette période de confinement, la forte demande autour d’œuvres de fiction traitant d’épidémie. C’est le cas pour le film Contagion (Steven Soderberg, Etats-unis, 2011) et pour le roman célébrissime, La peste d’Albert Camus.

Le roman demeure une référence incontournable en la matière. Il continue à nous parler, à tracer un horizon de réception porté par une éthique de résistance illustrée par son personnage central, le Docteur Rieux. Au départ, le projet de Camus était de mettre au centre de la lutte  contre l’épidémie, la question de la séparation.

Des gens qui s’aiment se retrouvent séparés momentanément, par l’état de siège, ou définitivement, par la mort. Au fur et à mesure de son écriture et comme un écho aux bruits peu rassurants qui envahissent le monde à la fin  des années 1930, le projet du roman se voit recentré vers la thématique de la résistance. C’est une œuvre sur la capacité des gens, face à l’adversité, à s’élever au-dessus des égoïsmes, du repli sur soi et à s’inscrire dans une entreprise collective.

Mais ce n’est pas un schéma tout tracé. C’est un cheminement, dans la méditation et la douleur.  Les personnages évoluent, en effet,  devant nous, changent au contact des autres hommes et des sacrifices consentis. C’est le cas du journaliste Raymond Rambert qui au départ ne s’estime en rien concerné par l’épidémie qui frappe la ville. Venu pour un reportage, il est impatient de rentrer pour rejoindre sa fiancée.

Témoin du courage du docteur Rieux et de ses amis dans leur combat au jour le jour contre le fléau, il renonce à son plan initial et s’engage résolument à leurs côtés. «Oui, dit Rambert,  mais il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul». Il accomplit ainsi ce que Camus appelle le «métier d’homme»; celui qui tire  sa dignité de la capacité à faire des sacrifices pour une œuvre collective.

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