Pirates et empereurs

Terrorisme ou la règle des deux poids et deux mesures

Le remède au terrorisme international est à notre portée et il est extrêmement  simple: cesser d’y participer”.
Noam Chomsky

Attentat à Londres ; attentat à Damas; assassinat, près de son domicile à Gaza, d’un cadre du Hamas. Des actes odieux aux destins différents avec notamment des traitements médiatiques et  politiques opposés. Là,  le monde  s’émeut, on parle d’une «piste terroriste avérée»; ici, on renvoie le sujet à la nébuleuse guerre des services, voire  à un obscur règlement de compte. Il y a quelque chose de «pourri» dans l’univers de l’information globalisée !

Noam Chomsky est un intellectuel américain de renommée internationale. Pour les gens de ma génération, son nom est associé aux années de formation universitaire. Chomsky est en effet un grand linguiste, chercheur inscrit dans le cadre de la théorie linguistique générative et distributionnaliste. Générativiste convaincu, il se propose de dépasser les limites du distributionnalisme et de la grammaire traditionnelle, il contribua surtout à forger des concepts toujours d’actualité: compétence et performance. Compétence est l’ensemble des possibilités qui sont données à un sujet natif du simple fait qu’il maîtrise cette langue par opposition aux performances qui sont traduites dans les réalisations concrètes du sujet; c’est un peu le couple saussurien de langue et parole qui est réactualisé.

Mais Chomsky occupe aujourd’hui une vraie fonction d’intellectuel puisqu’il transpose son prestige forgé dans un champ donné, en l’occurrence la recherche académique, pour intervenir dans l’espace public à propos de sujets d’actualité générale.  A propos de l’élection de Trump il a été très explicité, affirmant qu’il s’agit d’un tournant dans l’histoire du monde. Il appartient dans ce sens au courant de critique radicale, libérale et progressiste à l’instard’une autre de ses figures de proue, feu E. Saïd. Saïd et Chomsky. Les deux intellectuels s’étaient retrouvés au cœur de plusieurs polémiques notamment à propos de leurs positions originales, qui tranchent en tout cas avec celles en vogue au sein de l’establishment américain, à propos par exemple du Moyen-Orient ou encore de la question générale du terrorisme.

C’est ce que permet de comprendre le livre de Chomsky, Pirates et empereurs avec comme sous-titre Le terrorisme international dans le monde contemporain ; le titre s’inspire d’une anecdote historique que rapporte Chomsky pour mieux éclairer sa thèse. Saint Augustin raconte qu’Alexandre le Grand, ayant capturé un pirate lui reprocha de “molester” la mer. “Comment! dit l’autre. Mais toi et moi faisons la même chose!   La seule différence, c’est que tu as beaucoup plus de bateaux que moi”. Toute la théorie de Chomsky est là en  filigrane, pour lui en effet, les actes de la nébuleuse djihadiste ou un autre groupuscule relève du « terrorisme de détail » comme l’on parle d’un commerce de détail. Les grossistes en la matière existent bel et bien ; ce sont par exemple les Etats-Unis, Israël… Fidèle à sa formation d’origine, Chomsky s’attelle d’abord à démonter le système idéologique mis en place par les puissances pour couvrir ce qu’elles présentent souvent comme des actions de droit ou de police, en fait des actes terroristes contre d’autres Etats ou contre des peuples. Le conflit israélo-palestinien tient une place de choix dans cette magistrale démonstration. “La question du terrorisme venu du monde islamique et de la réaction que doivent adopter les démocraties défendant les valeurs de la civilisation demeure un sujet d’inquiétude et de débats…mais dans la mesure où elle peut toucher un vaste public comme un public choisi, la discussion respecte rigoureusement les principes qui viennent d’être énoncés : on se limite au terrorisme du voleur, sans considérer celui de l’empereur et de ses clients ; à ses crimes, sans considérer les nôtres. Je me garderai d’observer une telle décence”, écrit Chomsky.

Mohammed Bakrim

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