«Pour que l’e-sport prospère au Maroc, nos organisations doivent être structurées»

Saad Bassy, sélectionneur de l’équipe nationale de football électronique 

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Il est jeune. Il est talentueux et surtout  brillant. Saad Bassy, 27 ans, est analyste FP&A chez TotalEnergies et sélectionneur de l’équipe nationale d’esport FIFA/EA FC du Maroc. C’est à lui qu’on lui a confié la mission de former l’équipe nationale. Une lourde tâche qu’il accomplit avec brio. 

«Mon rôle est de repérer les meilleurs talents marocains à travers le monde, sélectionner les meilleurs, les encadrer et de les préparer pour les compétitions internationales.», a-t-il confié.

Pour le sélectionneur de l’équipe nationale de football électronique, les organisations jouent un rôle crucial car elles encadrent les joueurs, leur offrent un environnement propice à l’entraînement et à la compétition, et leur permettent d’atteindre un niveau professionnel.

«Les organisations de e-sport sont le cœur de l’écosystème, tout comme les clubs le sont pour le football », a-t-il affirmé. Les propos.

Al Bayane : De la finance à l’e-sport, pouvez-vous en dire plus sur votre parcours ?  Comment êtes-vous venus au monde du football électronique ? 

Saad Bassy : Je m’appelle Bassy Saad, j’ai 27 ans et je suis analyste FP&A chez TotalEnergies et sélectionneur de l’équipe nationale de e-sport FIFA/EA FC du Maroc.

L’e-sport, une passion de longue date. J’ai débuté la compétition à l’âge de 12 ans sur Counter-Strike, où j’ai été plusieurs fois champion du Maroc. 

Avec mon équipe, nous avons eu l’honneur de nous qualifier pour l’ESL Africa, le tout premier grand tournoi africain, et nous avons atteint la finale des qualifications de la WESG Africa, un autre tournoi majeur malheureusement annulé en 2019 en raison du COVID.

En 2013, pour me détendre des longues heures d’entraînement sur Counter-Strike, je me suis tourné vers FIFA, un jeu que je connaissais bien après des années passées sur PES. Ma passion pour le football y’ai certainement pour quelque chose. Sur FIFA 21, j’ai atteint la 40e place mondiale en FUT Champions, aux côtés de deux autres Marocains dans le top 100, une grande réalisation.

En 2022, j’ai eu l’honneur d’être contacté par la Fédération Royale Marocaine des Jeux Électroniques (FRMJE) pour devenir le premier sélectionneur national du Maroc dans les jeux électroniques. Ce fut une immense fierté et une reconnaissance de mon parcours. Je remercie le Président, M. Hicham El Khelifi, ainsi que toute l’équipe de la FRMJE pour leur confiance. C’est le début d’une aventure prometteuse pour l’e-sport marocain. Pendant plus de 15 ans, et avant de devenir sélectionneur du Maroc, j’ai consacré toute mon énergie et ma passion à représenter mon pays dans l’e-sport, et je continuerai à le faire avec la même détermination et fierté.

Quelles sont les principales missions du sélectionneur de l’équipe nationale de football électronique ?

En tant que sélectionneur de l’équipe nationale de football électronique, mon rôle est de repérer les meilleurs talents marocains à travers le monde, sélectionner les meilleurs, les encadrer et de les préparer pour les compétitions internationales. Je forme l’équipe nationale. Sur un plan technique, je dois développer des stratégies de jeu, analyser les performances des joueurs et des adversaires, et mettre en place des séances d’entraînement spécifiques qui permettent à l’équipe de donner le meilleur d’elle-même. Au-delà de la technique, je m’efforce aussi de créer une vraie cohésion au sein du groupe, d’instaurer une culture de la performance et du fair-play, et de garder une communication ouverte entre les joueurs, le staff technique et la fédération.  Je pense que cette cohésion du groupe est capitale pour exprimer notre identité marocaine, il faut toujours aller au combat en respectant son identité et surtout son histoire.  Mes joueurs le savent, quand on représente le Maroc, on ne fait pas dans la participation mais dans le résultat, ce résultat on l’atteint avec notre identité, notre envie et notre amour pour le drapeau.

Certes que le dans le domaine du sport les professionnels ont des plannings précis  d’entraînements. Est-ce le cas pour l’e-sport ?  

La FIFA eNations Cup (coupe du monde FIFA) était en 2vs2. Pour moi, il faut l’aborder d’une manière totalement différente du 1vs1 classique que vous connaissez du jeu FIFA / EA FC. La préparation va au-delà des compétences individuelles : il faut repérer des duos complémentaires, qui parlent le même langage footballistique.  Mon travail consiste à développer des schémas de jeu (patterns), à synchroniser les mouvements des joueurs, et à créer des automatismes décisifs. Concrètement, on s’entraîne sur des scénarios spécifiques (comme gérer une avance ou réagir sous pression), on analyse des vidéos pour ajuster nos stratégies, et on joue contre divers adversaires pour s’adapter à tous les styles de jeu. La communication entre joueurs est aussi cruciale pour rester en phase. L’objectif est de forger une cohésion naturelle pour aborder chaque match de la bonne manière.

Des joueurs marocains, entre autres,  Youssef Charif (top 3-4 mondial du FC Pro World Championship), Ilyas (champion de la Ligue Arabe d’e-Sport), Ibtissam Farhane (titre de la Coupe du Championnat Méditerranéen). Y-a-t-il une  recette derrière ce succès?

Après notre belle performance en Coupe du Monde FIFAe, où nous avons terminé dans le top 5-8 mondial avec Adam Habbereih, Marouane Chahou et Aymane Mokallik, j’ai continué à accompagner Youssef Charif lors des tournois internationaux en tant que manager. Charif a franchi des étapes clés, comme sa signature au Raja Club Athletic (RCA). Il a également remporté la première eBotola, puis il a réalisé un miracle en terminant top3-4 de la coupe du monde EA FC World Cup, devenant une légende marocaine en e-sport. Je suis fier de lui, je l’ai vu tout donné pour son rêve, c’est magnifique. La première fois que je l’avais appelé, il m’avait dit mot pour mot « Je veux jouer pour le RCA », il avait une vision…

Le succès des autres joueurs marocains tels qu’Ilyas, champion de la Ligue Arabe d’e-Sport, et Ibtissam Farhane, victorieuse de la Coupe du Championnat Méditerranéen, démontre le talent immense que possède notre pays. Je pense que la recette c’est avant tout le talent des marocains dans le gaming et l’esport mais surtout cette notion de représenter le Maroc qui boost notre jeunesse. Quand un jeune marocain talentueux a l’opportunité de représenter son pays, entre miracle et réalité, il n’y a plus qu’un fil ! On se donne les moyens et on fait tout pour y’arriver. Je remercie aussi la FRMJE, qui joue un rôle essentiel en ouvrant les portes des circuits officiels des nations et en offrant aux joueurs marocains la visibilité et les opportunités nécessaires pour briller. Sans oublier l’accompagnement lors des événements. Grâce à elle, nos talents peuvent se mesurer à l’élite mondiale et porter haut les couleurs du Maroc dans l’e-sport.

Le secteur des  jeux numériques est en perpétuelle évolution. Quels sont les enjeux auxquels fait face l’e-Sport au Maroc ?

J’ai pas mal de choses à dire sur cela ! Ça peut vous paraître bizarre avec toute l’avancée que vous constatez, mais moi je vous dirais que l’écosystème est encore au stade initial !

Un des enjeux clés réside dans la nécessité de structurer et de professionnaliser les organisations esports, car sans elles, il n’y a pas de véritable écosystème. Pour le moment, je constate que nous n’avons aucune structure qui comprenne véritablement l’esport. Les organisations jouent un rôle crucial car elles encadrent les joueurs, leur offrent un environnement propice à l’entraînement et à la compétition, et leur permettent d’atteindre un niveau professionnel. Le privé… Franchement, je pense qu’au lieu de mettre de l’argent dans des événements qui attirent peu de monde, qui n’apportent rien de concret à la professionnalisation de l’e-sport et qui, en plus, offrent un faible retour sur investissement, il faudrait revoir les priorités.  Je crois que le secteur privé doit comprendre l’importance de soutenir nos structures. Pour moi, c’est simple : le sponsoring des organisations e-sportives est essentiel. C’est ça qui donnera aux joueurs les ressources nécessaires pour se hisser au plus haut niveau. Imaginez le football sans clubs, uniquement avec les équipes nationales… A quoi bon ?

C’est la même chose pour l’e-sport au Maroc. Les organisations esports sont le cœur de l’écosystème, tout comme les clubs le sont pour le football. 

Pour que l’e-sport marocain prospère, nos organisations doivent être formées et structurées, non seulement sur le plan compétitif, mais aussi sur tout ce qui fait leur identité : La création de contenu, la gestion de communautés, et le développement de leur propre image.

Elles doivent devenir de véritables entités professionnelles capables de soutenir les joueurs, attirer les fans, et générer de l’engagement. C’est cette structuration et ce professionnalisme qui feront de l’e-sport un secteur solide et durable au Maroc.

Aujourd’hui les initiatives se multiplient pour structurer et développer l’écosystème (édition du Salon du gaming, la Cité du gaming, la première édition des Championnats d’Afrique d’e-Sports).  Peut-on aspirer à une industrie du gaming au Maroc ? 

Aspirer à une véritable industrie du gaming au Maroc est tout à fait envisageable, à condition de continuer à investir dans la structuration et la professionnalisation des acteurs du secteur. Il faut soutenir les organisations, renforcer les compétitions locales, et encourager l’implication du secteur privé à travers le sponsoring et les partenariats. En créant un écosystème solide et dynamique, le Maroc peut devenir un hub régional du gaming et de l’e-sport, attirant talents, investisseurs, et événements de grande envergure. Mais attention, nous en sommes encore loin… Je suis optimiste et convaincu que le Maroc possède l’un des viviers de talents les plus exceptionnels au monde, mais je reste pragmatique. Stratégie, ambition et travail… C’est ce qui fera de nous la nation mondiale en e-sport à laquelle nous aspirons, en tout cas c’est mon ambition, une ambition que je nourris depuis plus de 16 ans.

Fenêtres :

«Mes joueurs le savent, quand on représente le Maroc, on ne fait pas dans la participation mais dans le résultat, ce résultat on latteint avec notre identité, notre envie et notre amour pour le drapeau.»

« Un des enjeux clés réside dans la nécessité de structurer et de professionnaliser les organisations esports, car sans elles, il n’y a pas de véritable écosystème.»

«Je crois que le secteur privé doit comprendre l’importance de soutenir nos structures.»

« En créant un écosystème solide et dynamique, le Maroc peut devenir un hub régional du gaming et de le-sport, attirant talents, investisseurs, et événements de grande envergure.»

Top