Dynamique de l’inflation au Maroc
Par Fairouz El Mouden
Plusieurs facteurs expliquent aujourd’hui la dynamique du processus inflationniste au Maroc durant la dernière décennie. Une étude récente de Bank AL Maghrib (BAM) retrace l’évolution globale de l’inflation au Maroc durant la dernière décennie dont notamment le renchérissement des prix des matières premières ou encore la forte volatilité du PIB en relation avec l’instabilité de la valeur ajoutée agricole.
Néanmoins, la crise sanitaire de la Covid-19 qui a touché la plupart des pays et plus récemment la guerre en Ukraine ont de nouveau plongé l’inflation dans une dynamique haussière, indique le rapport. Aussi, les facteurs externes, de nature désinflationniste, ont contribué à maintenir une inflation modérée jusqu’en 2019. BAM confirme, par ailleurs, la prédominance de l’inflation importée dans la formation des prix en lien avec la persistance de la dépendance énergétique, l’accélération de l’insertion du Maroc à l’économie mondiale, la libéralisation progressive des prix des produits administrés et la réforme de la caisse de compensation.
Globalement au fil du temps, les mouvements d’inflation sont devenus de plus en plus synchronisés à l’échelle internationale vu que depuis 2001, le facteur mondial commun représente environ 22% des variations des taux d’inflation.
A tire de rappel, BAM souligne que l’inflation au Maroc a globalement affiché un profil modéré et stable et que les années 1990 marquent le début de cette tendance avec un taux d’inflation qui est revenu d’une moyenne de 6,2% à 1,6% sur la période 1996-2005. Une certaine hausse a été observée entre 2006 et 2008 à cause du renchérissement des prix des matières premières, mais un retour à un taux moyen de 1,1% a été effectué à partir de 2009 dans un contexte post-crise financière internationale. Au niveau mondial, en moyenne, l’inflation est passée de presque 20% durant les années 1980 et 1990 à environ 5% au cours de la décennie 2000. Cette modération des prix s’est même prolongée après la crise financière internationale pour se situer vers la fin de l’année 2019 à un taux moyen proche de 3%.
L’évolution affiche que les mouvements d’inflation sont devenus de plus en plus synchronisés à l’échelle internationale vu que depuis 2001 le facteur mondial commun représente environ 22% des variations des taux d’inflation. Ainsi, la synchronisation de l’inflation est également devenue plus large alors qu’elle était auparavant plus prononcée chez les économies avancées qu’au sein des économies émergentes et en développement. Les résultats soulignent aussi que même si les marchés émergents soient de plus en plus intégrés à l’économie mondiale, les banques centrales demeurent largement en mesure d’orienter l’évolution de l’inflation.
Aussi, depuis la crise financière internationale de 2007, le Maroc a également connu une période prolongée d’inflation modérée, accompagnée d’une atonie de l’activité économique et d’une baisse des taux d’intérêt. Mais à partir de l’année 2022, cette tendance commence à s’inverser et l’inflation affiche une hausse continue dans un contexte de fortes pressions sur les prix des matières premières et de tensions géopolitiques au niveau mondial lis-t-on dans le rapport.
Contributions des facteurs domestiques et externes
Les réformes menées par le Maroc se sont consolidées durant les deux dernières décennies. L’objectif étant de libéraliser l’économie nationale pour favoriser la concurrence et stimuler la compétitivité. Ainsi, le processus de dérèglementation et de décompensation s’est accéléré et les produits de consommation toujours concernés par la subvention de l’état sont désormais le gaz butane, le sucre et la farine. Au plan des échanges avec les principaux partenaires, les contraintes tarifaires et logistiques sur le commerce ont été allégées, parallèlement à la signature de plus de 57 accords de libre-échange et taux présentiels, contribuant à porter le taux d’ouverture de l’économie à presque 80% du PIB.
Les autorités publiques ont également procédé à l’assouplissement de la règlementation de change. Par conséquent, l’économie marocaine a renforcé son intégration à l’échelle internationale et l’influence des facteurs externes s’est significativement consolidée, sachant que la dépendance énergétique évaluée à 88% ne peut qu’accentuer cette tendance.
Taux d’ouverture de l’économie marocaine à 80% du PIB
A partir du statut de 2006 qui a été davantage approfondi en 2019, le cadre stratégique de politique monétaire assigne à Bank Al-Maghrib comme principal objectif la stabilité des prix. Pour l’atteindre, BAM bénéficie de l’autonomie vis-à-vis du gouvernement et s’appuie sur le taux de change comme ancre nominale de la politique monétaire. En 2015, les pondérations du panier ont été revues, soit 60% euro et 40% dollar et ce pour mieux s’adapter à la structure des échanges.
Le poids des flux commerciaux avec la zone euro (70% des exportations et 60% d’importations) et l’ancrage du dirham ont ainsi permis de contribuer à maitriser l’inflation à un niveau stable et modéré. une réforme du régime de change a démarré à partir de 2018 et dont l’objectif est de passer graduellement à un taux flexible et d’adopter, in fine, de ciblage de l’inflation Source.
Au total plusieurs facteurs ont pu contribuer à l’évolution de l’inflation observée au Maroc particulièrement durant les années 2000. Les politiques entreprises ont permis, dans une certaine mesure, de stabiliser la croissance et de réduire les incertitudes sur les prix. Tandis que la persistance de la dépendance énergétique et le renforcement de l’ouverture sur les principaux partenaires ont renforcé l’influence des facteurs externes.
Mais l’inflation a tendance à réagir lentement aux fluctuations de l’activité économique, ce qui signifie qu’elle est persistante et dépend en partie de son passé. De plus, si les agents économiques sont convaincus de l’engagement de la Banque Centrale à préserver la stabilité des prix, ils peuvent négliger les fluctuations de l’inflation et considérer davantage la cible d’inflation comme point d’ancrage.
Pour conclure la Banque centrale estime que « l’évolution de l’inflation a toujours suscité des débats au sein des sociétés et ce en raison de son impact direct sur les marges et l’investissement des entreprises, les salaires et le pouvoir d’achat des ménages, ainsi que sur la viabilité des équilibres budgétaires dans les pays qui soutiennent les prix de certains produits de grande consommation. Les résultats ont montré que la courbe de Phillips a connu un léger aplatissement au Maroc durant la période post crise financière de 2008. Cet aplatissement est principalement dû à la prédominance de l’inflation importée dans la formation des prix en lien avec la persistance de la dépendance énergétique, l’accélération de l’insertion du Maroc à l’économie mondiale, la libéralisation progressive des prix des produits administrés et la réforme de la caisse de compensation. Par ailleurs, les facteurs externes, de nature désinflationniste, ont contribué à maintenir une inflation modérée jusqu’en 2019.
Les résultats ont également mis la lumière sur la contribution significative des chocs de politique monétaire et des anticipations de l’inflation. En dépit d’un environnement macro-financier qui reste marqué par un certain nombre de contraintes structurelles, les réformes entreprises commencent à apporter leurs effets particulièrement celles destinées à préserver la soutenabilité des équilibres budgétaires et à renforcer le rôle de la politique monétaire à travers un cadre analytique plus exhaustif et les perspectives d’adoption du ciblage d’inflation dès lors que le taux de change ne constituera plus l’ancre nominal. En revanche, à partir de la fin de l’année 2021, l’inflation a progressivement connu un retournement passant de taux modérés à des niveaux peu observés depuis plusieurs années.
Cette nouvelle dynamique des prix relève de la conjonction de plusieurs forces. D’autres facteurs ont accentué les répercussions de ces tensions à l’instar de la sècheresse, des perturbations des chaines mondiales d’approvisionnement, des politiques protectionnistes décidées par certains pays pour se prémunir contre les risques de pénurie et des sanctions imposées à la Russie. Le travail de BAM s’est limité à l’analyse des facteurs cycliques internes et externes sans tenir compte de tous les déterminants structurels à l’instar des changements climatique et technologique, de la mondialisation, des évolutions démographiques ainsi que des autres réformes institutionnelles qui ont certainement contribué à la dynamique de l’inflation observée au Maroc.