Le très attendu rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la protection sociale a enfin été rendu public. Le constat dressé par l’instance de Nizar Baraka est sans appel. Fluidité et insécurité caractérisent le marché du travail, de l’avis du Conseil. 40% des actifs a perçu des salaires mensuels moyens inférieurs à SMIG et la moitié des assurés et seuls 14% des assurés ont été déclarés pour un salaire mensuel supérieur au plafond (6.000 dirhams).
Retraites, un rêve pour 60% des actifs!
Les deux tiers de la population active (60%) ne sont pas couverts par un régime de pension. De même, près de la moitié (46%) de la population active ne bénéficie pas d’une couverture médicale. La situation est particulièrement critique dans le secteur agricole où un salarié sur deux est déclaré pour une durée inférieure à six mois sur douze à la CNSS. Pour bénéficier de leur droit à une pension de retraite, les travailleurs de ce secteur doivent donc travailler deux fois plus de temps qu’un salarié régulier.
Les femmes en pâtissent le plus.
Elles représentent actuellement 16% de l’effectif des retraités et leur pension moyenne de retraite ne dépasse pas 1.865 dirhams contre 1.935 pour les hommes. En gros, 3% seulement des pensionnés du secteur privé perçoivent la pension maximale servie par la CNSS, soit 4200 dirhams. La pension moyenne de retraite servie par cette caisse est de 1.924 dirhams contre 4861 dirhams par le RCAR et de 6875 dirhams par la CMR.
Le Conseil pointe ainsi la complexité et l’absence de convergence des textes régissant les régimes de retraites. L’absence de passerelles entre les régimes existants entrave la mobilité des travailleurs entre le secteur privé et le secteur public et réduit la fluidité du marché de l’emploi. Des critiques déjà formulées par la Cour des comptes dans un rapport publiées en 2013 et dont les recommandations sont restées lettre morte.
Accidents du travail : Lourds risques
L’assurance du travail fait toujours défaut. Le Conseil révèle que la quasi-totalité des actifs (hormis une minorité de salariés du secteur privé formel) ne bénéficie pas d’une assurance sociale spécifique contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il faut dire que les accidents du travail et les maladies professionnelles ne sont toujours pas reconnus comme des risques relevant de la sécurité sociale. D’autant plus que leur couverture, régie par des règles de droit civil, reste limitée et contrainte par des procédures complexes, comme le rappelle le Conseil. Or, la situation est plus alarmante qu’on ne l’imaginait.
Le nombre de travailleurs décédant en raison d’un accident du travail est estimé à 3000 par an et la moyenne annuelle des accidents du travail déclarés est de 41.304 cas en 2016 et de 42.416 en 2017. Ces chiffres issus d’estimations du ministère de l’Emploi et de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) sont vraisemblablement inférieurs à la sinistralité réelle du travail. Or, ce type d’accidents est beaucoup plus répandu qu’on ne l’imaginait. En effet, le nombre de travailleurs décédant en raison d’un accident du travail est estimé à 3000 par an et la moyenne annuelle des accidents du travail déclarés est de 41.304 cas en 2016 et de 42.416 en 2017. Cela pourrait être pire.
Le Conseil indique que » ces chiffres issus d’estimations du ministère de l’Emploi et de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale sont vraisemblablement inférieurs à la sinistralité réelle du travail ». Dans ces conditions, les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles sont exposées quasi-systématiquement à des procédures administratives et contentieuses longues, coûteuses et complexes qui les contraignent à accepter des indemnités peu proportionnées aux dommages qu’elles ont subis, déplore-t-on. Les assureurs, quant à eux, continuent à s’engraisser. Les profits dégagés ont été multipliés par 15 depuis 2012, passant de 36 millions de DH à 550 millions en 2016.
Encore un lot de recommandations
Pour le CESE, le diagnostic alarmant de la protection sociale au Maroc est l’expression conjuguée de plusieurs contraintes dont l’absence d’une vision politique partagée, d’une stratégie formalisée, d’une comptabilité intégrée, et d’une reddition unifiée de l’information et des comptes sur les performances de la couverture sociale. La pluralité des tutelles techniques et des organismes de contrôle et le faible degré de coordination entre eux ne font que renforcer ce gap de la protection social, de l’avis du Conseil. Au-delà des critiques, le Conseil a établi une série de recommandations, dont certaines ont déjà été formulées par la Cour des comptes.
En tête, la nécessité de concevoir un système national complet de sécurité sociale. Le montage de ce système devrait se faire dans le cadre du dialogue social, insiste le Conseil. L’objectif étant notamment d’étendre la couverture sociale à l’ensemble des salariés du secteur privé. Car actuellement, 800.000 salariés du secteur privé ne sont pas déclarés à la CNSS.
La mise en place d’un dispositif de rétention dans le régime de sécurité sociale des assurés en cessation de déclaration grâce à un mécanisme de capitalisation des droits en points mobilisables durant les périodes d’inactivité est également suggéré. Cela permettra de protéger les personnes exerçant des activités marquées par la saisonnalité tel que le secteur agricole. Le Conseil appelle également au renforcement contre le refus de cotiser à la sécurité sociale et au relèvement à court terme, du plafond des cotisations à la CNSS à 6.500 dirhams, en plus d’instaurer son indexation sur la moyenne des salaires déclarés au régime.
Hajar Benezha