Souvenirs

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et une envie vorace de gober le temps

Je suis un déserteur

J’ai abandonné mon cœur dans une armoire

Entre un dictionnaire Français-Arabe

Et un vieux livre d’Histoire

J’ai égaré mes repères

Dans le labyrinthe de la mémoire

Je suis une valise

Oubliée sur le quai d’une gare

Je suis une bouteille à la mer

Je suis une citadelle en ruines

Je suis une terre stérile

Je suis une nation en panne

Je suis un peuple en exil

Mon vieux chat ne ronronne plus

A mes côtés depuis longtemps

Et j’aime mes illusions

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et quelques soucis de santé

De temps en temps

Des allergies, des insomnies

Des vertiges, des nausées

Des migraines, des phobies

Je suis un nomade

J’ai oublié mon cœur dans une armoire

Entre un dictionnaire Français-Arabe

Et un vieux livre d’Histoire

Mon vieux chien n’aboie plus

A la lune depuis longtemps

Et j’aime mes illusions

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et j’étais amoureux d’une gitane

Qui m’a ravi le cœur

Et l’a enfermé dans une armoire

Entre un dictionnaire Français-Arabe

Et un vieux livre d’Histoire

Je suis un orphelin

Mon hirondelle ne vient plus

M’apporter le printemps

Chez moi

C’est l’automne depuis longtemps

Et j’aime mes illusions

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et un ange sans ailes m’a blessé

Le sang a giclé

Mon cœur a saigné

Il s’est réfugié dans une armoire

Entre un dictionnaire Français-Arabe

Et un vieux livre d’Histoire

Je suis un pèlerin

J’ai fait appel à mes démons

J’ai rédigé mon testament

J’ai mis ma vie dans une valise

J’ai pris le train pour le firmament

Mon train ne vole plus depuis longtemps

Et j’aime mes illusions

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et j’ai oublié mon adresse

Et ma date de naissance

J’ai perdu mes folies et ma sagesse

Mon Histoire et ma géographie

Mes trésors et mes envies

Ma femme et mes enfants

Mes souvenirs d’antan

Mon cœur est cloîtré dans une armoire

Entre un dictionnaire Français-Arabe

Et un vieux livre d’Histoire

Je n’aime plus depuis longtemps

Et j’aime mes illusions

J’avais cent ans dans deux mille ans

Et je jouais à la marelle

Avec une petite fille rebelle

Qui allumait le soleil

Pour réchauffer la terre

Qui éteignait la lune

Pour dormir un peu

Elle m’a ouvert la poitrine

A remis mon cœur à sa place

Et m’a murmuré en riant:

Tu es mort depuis longtemps

Dans deux mille ans

Et je n’aime plus mes illusions

Mostafa Houmir

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