«L’art c’est le reflet que renvoie l’âme humaine éblouie de la splendeur du beau». Cette citation de Victor Hugo figure dans l’un des tableaux du peintre et homme de théâtre Hafid Badri. Elle résume à elle seule cette interaction consubstantielle entre un homme et son œuvre. Hafid Badri est lauréat de l’ISADAC dont le parcours en tant que comédien et metteur en scène ne fut pas très long malgré le succès de ses premières créations. Il va vite délaisser la pratique théâtrale pour se consacrer à la peinture.
La technique du collage n’est pas une nouveauté, bien entendu. Depuis Juan Gris, Braque, Picasso et bien d’autres jusqu’à Romanelli en passant par le Pop Art, le collage a acquis ses lettres de noblesse et se présente désormais comme un art à part entière. Pratiqué un peu partout dans le monde, il n’a pas manqué d’intéresser nombre de nos plasticiens qui le pratiquent soit comme méthode mixte soit de manière exclusive dans leurs travaux. A l’instar de Mahi Binebine, de Myriam El Alj ou de Laïla Iraki. Hafid Badri en fait désormais partie. Il n’est pas le seul lauréat de l’ISADAC à le pratiquer. Abdelmajid El Haouasse l’a pratiqué avant lui. Il a débuté sa carrière de scénographe et puis, de metteur en scène par la poésie et la peinture. Hafid Badri procède en sens inverse. Après le jeu et la mise en scène au théâtre, le voilà qui se lance dans une carrière de plasticien.
En fait, Hafid Badri fait de la peinture comme il monte ses spectacles de théâtre. Paul Delvaux n’avait-il pas dit à juste titre qu’un tableau est une mise en scène? Et, à l’inverse, la mise en scène ne consiste-t-elle pas à construire les uns après les autres une série de tableaux dont l’ensemble, une fois en mouvement serait justement du théâtre, comme le soutient justement Erving Goffmann dans Frame Analysis? Cette interaction entre la peinture et le théâtre, Hafid Badri l’avait d’abord expérimentée sur la scène avec des spectacles colorés comme Taïtocha ou Qalil mina Al Holm où le travail scénographique est parfois de pures installations.
Entre théâtre et peinture, la relation est consubstantielle. Ça, tout le monde le sait. On peint avec des mots. On peint avec des corps dans l’espace. On peint un décor et des accessoires. Mais considérer le collage comme une mise en scène théâtrale est une gageure que Hafid Badri ose tenter et le réussit très bien. L’artiste évolue dans le même univers quand il fait du collage avec l’agencement des couleurs et des formes. On l’a vu procéder de la sorte dans ses mises en scène au théâtre et voilà qu’il reprend le même processus dans ses expériences picturales. Avec une différence que là les couleurs étaient nettes, criardes et pleines de lumière et ici, le gris et le vert bleu dominent comme si quelque chose s’est émoussé en lui, que ce «délavement» esthétique renfermait quelque chose d’existentiel…
Le travail solitaire lui sied-il plus que la composition collective qu’exige le théâtre? Qu’est-ce qui a fait qu’il a abandonné la mise en scène et le jeu pour une autre expression? On est tout près de le croire puisque ce qu’il présente le plus souvent sur la toile bleue sont ses collages.
La technique du jeune plasticien est l’abstraction. Mais une abstraction qui tente de clarifier le propos et de le rendre intelligible et signifiant. Quoique sans titres, ses tableaux s’identifient eux-mêmes par les propos qu’ils véhiculent. Les motifs se répètent mais leur re-duplication est une recherche de la perfection et de l’aboutissement. L’artiste se cherche et sa recherche relève de l’introspection dans un monde où le paraître est plus prégnant que l’être. Le monde de Hafid Badri est un monde cassé. Souvent binaire. Entre terre et mer. Entre l’eau miroitante des horizons incertains et la fermeté, la matérialité de la terre. Tel un papillon à peine sorti de sa chrysalide, l’artiste part à la recherche d’un univers où se poser.
Parfois il caracole d’une fleur à une autre y puisant le pollen dont il se nourrit et des fois il n’a pas fini de terminer son premier envol qu’il finit épinglé sur une toile de salon vite oublié. L’artiste est à la recherche d’un espace où se poser. Un objet (les allumettes suspendues) se démultiplie. Il est plusieurs. Mais très vite, on se rend compte que l’une d’elles tente de se détacher du groupe, de se libérer, de s’autonomiser, de s’émanciper et d’occuper un espace à part. En vain! Dans la plupart des tableaux, les objets sont collés sur du sparadrap. Est-ce pour les cautériser? S’agit-il de recoller les morceaux d’une vie brisée ? Le monde de Hafid Badri est déroutant. Le collage chez lui est une théâtralisation des objets et par conséquent, celle d’une vie qui cherche à s’enrichir et à s’émanciper dans la solitude.
Hafid Badri a déjà une carrière internationale puisqu’il a exposé un peu partout dans le monde : à Tuyama au Japon où il reçut un prix, à Abou Dhabi, à Chicoutimi au Canada, à Rome en Italie et bientôt en, Hongrie, au Gabon et à Tunis. Manquent encore les cimaises des galeries marocaines pour faire connaître cette œuvre originale qui fait son chemin dans l’art contemporain marocain.
Ahmed Massaia