Une immersion dans la vie ordinaire des marginaux

Un jour, un livre…

«L’Œuf du coq» de Mohamed Zafzaf 

Mohamed Nait Youssef

Grande signature de la littérature marocaine d’expression arabe. Mohamed Zafzaf (1943-2001), écrivain des marginaux, des paumés, des petites gens, des laissés-pour-compte et des  marges a signé l’une des œuvres littéraires marquantes, «L’Œuf du coq» (Baidat dik). Paru pour la première fois en arabe en 1984, cette œuvre romanesque courte (111 pages), traduit en langue française par Saïd Afoulous (1996, Le Fennec), a reçu le Prix Grand Atlas, en  1998. En effet, dans ce roman choral ou plutôt noir, le romancier et nouvelliste inclassable dépeint la réalité et le vécu difficiles de ses personnages et leurs destinées. Fidèle à sa démarche et à son style d’écriture, l’auteur nous amène dans ses territoires préférés en révélant les bas fonds de la ville dite blanche, et en plongeant dans les détails des personnages et leurs profondeurs ontologiques existentielles. Que se cache-t-il alors dans «L’Œuf du coq» ?  Le roman, en suivant les pas des personnages  Rahal, Lhajja, Ghanou (Jiji) ou encore Omar, nous révèle une autre facette de Casablanca, une ville peuplée de pauvres, de paumés, de prostituées, de voyous. Alcool, débouche et trahison. Il s’agit bel et bien d’un univers marqué par la pauvreté, la débouche, la corruption, la souffrance, la cruauté décrit par le truchement d’un style romanesque fluide, minutieux, détaillé et créatif. « Difficile de trouver un trou pour s’introduire dans cette société de Casablanca. La vie à Marrakech se déroule sur un rythme lent et en bavardages. Mais ici tout est différent. Au début, j’ai été choqué, mais je me suis habitué. On arrive à s’habituer à tout et sur le coup. Même quand il s’agit de la relation entre une vieille femme âgée ou d’âge mur, et un jeune homme. Les gens médisent et critiquent, tout en commettant eux-mêmes des crimes qui feraient frémir Satan en personne. Ah! Satan! Qu’il soit maudit, présent ou absent. Mais y a-t-il plus grand Satan qu’une femme? », écrivait-il.

Portrait poignant de la société marocaine

C’est ainsi le romancier a dessiné le grand portrait de la société marocaine en  dépeignant la vie ordinaire des laissés-pour-compte. Il faut l’avouer, Mohamed Zefzaf avait cette sensibilité, voire tendresse pour les marginaux et les bas-fonds constituant la toile de fonds de ses textes  et créations littéraires. Il avait surtout le talent d’observer, de décrire, par le bisais de son écriture acérée, pointue et puissante, les univers difficiles des délinquants et des personnes vivant dans les ombres, les marges et l’indifférence totale et absolue. Or, Mohamed Zefzaf y trouve une espèce de douceur, mais aussi une source d’inspiration inépuisable. Dans «L’Œuf du coq» (Baidat dik), les personnages malgré la misère, la poisse et les tracas de la vie quotidienne gardent l’espoir d’un éventuel changement, d’un demain meilleur et porteur de bonheur. En vain. Comme si c’était leur destin : vivre dans un ici-bas où la misère sociale et psychologique sont les maîtres mots. ET C’est ainsi va la vie…

«Cet écrivain marocain à l’imaginaire riche aime les situations scabreuses, les petits détails de la vie quotidienne, avec ses mesquineries, ses contraintes et ses arrangements… Son roman est une chronique sociale qui dessine avec justesse l’état des lieux d’un Maroc où la pauvreté pousse des hommes et des femmes à la violence, à la corruption et à des comportements dont la morale n’a que faire…», écrivait Tahar Ben Jelloun dans une chronique publiée dans le journal le Monde.

Les mots sur les maux…

Face à la solitude, le malaise de l’être et la vulnérabilité,  les personnages de Zefzaf sont la recherche d’une lueur de lumière au bout du tunnel. Les mots sur les maux. L’écrivain fécond et prolifique a incarné les plaies d’une société et la désespérance d’une couche sociale oubliée, marginalisée et délaissée à son sort.  Mohamed Zefzaf, « chroniqueur des bas-fonds marocains »,  livre un roman puissant, écrit avec beaucoup de talent et de justesse. Une œuvre romanesque toujours d’actualité.

Plume des marges, le keffieh palestinien toujours au cou et sur les épaules, Zafzaf, connu par sa barbe dostoïevskienne, a légué une œuvre majeure ayant dépassé les frontières locales pour embrasser de nouveaux horizons littéraires universels plus vastes. Son écriture réaliste et son style frontal doit beaucoup à son vécu, à son parcours exceptionnel que singulier.

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