Violence djihadiste: L’expression d’une tragédie globale

«On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré»

Einstein

L’éditorialiste du grand quotidien belge, Le soir, est sceptique tout en faisant preuve d’une grande lucidité : «après l’émotion, écrit-il, après la peur… il y a forcément le temps des questions». Et ce ne sont pas celles-ci qui manquent; elles devraient nous interpeller nous aussi. Oui, pourquoi pas, pour expliquer, comprendre. Spinoza : «Ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre».

D’autant plus, comme le note notre confrère belge, la journée du mardi 22 mars vécue par Bruxelles – à l’instar, ajouterions-nous, de Paris, Madrid, Istanbul, et tant d’autres contrées moins médiatisées –  n’est pas la fin de quelque chose mais le début : «le début d’une vie différente, d’une société plus lourde, plus fermée, plus dure et peut-être –c’est une grosse crainte – plus haineuse».

Cette haine qui commence avec la stigmatisation de l’autre dans sa différence supposée ou réelle. Cet autre que l’on découvre à l’occasion d’un tragique événement ouvrant la voie, devant l’ampleur de la découverte, à un défilé de clichés et de présupposés soi-disant culturalistes. Les médias dominants sont dans ce sens révélateurs de cette apathie intellectuelle qui a longtemps refusé de voir et de comprendre très tôt. Il est quasiment ridicule de voir comment les journalistes comme des prédateurs affamés se sont acharnés sur le quartier bruxellois de Molenbeek, à la quête d’un exotisme de pacotille pour enfoncer le clou de la stigmatisation. Alors que des signaux étaient déjà là pour indiquer qu’un certain modèle aussi bien communautariste, en vigueur en Belgique et en Angleterre, enfermant l’autre dans sa «spécificité culturelle» pour avoir un semblant de paix sociale, qu’intégrationniste tenté en France, (ce modèle) a abouti à un échec tragique.

On cherche alors à botter la balle de l’incompétence vers le champ, tout prêt pour accueillir des explications hâtives du prêt à penser, de l’islamisme radical. On déclare alors la guerre à un spectre créé  de toutes pièces par les calculs de la géopolitique portés par les courbes de Wall Street. NON…quelle que soit l’émotion et la compassion,  nous nous refusons de suivre les arguments des Islamophobes, de ceux qui accablent les réfugiés, les immigrés et les exilés ; comme nous  récusons la thèse de la guerre des civilisations. La violence djihadiste est d’abord l’expression d’un malaise social, de l’échec d’une vision politicienne.

Des voix lucides émanant de l’Europe elle-même invitent à réhabiliter la pensée et la réflexion pour contrecarrer les discours de la haine produits par les uns et les autres.

C’est ainsi que des travaux sérieux démontrent que la thèse qui tend à ramener le djihadisme à sa seule dimension religieuse ne tient pas la route. La plupart des auteurs des attentats étaient des individus fichés au départ plutôt comme délinquants, soudainement radicalisés, sans adhésion ni pratiques religieuses clairement affichées ; prônant un islam élémentaire; «déculturalisé» dirait le politologue Olivier Roy. «Le ralliement de ces jeunes à Daech est opportuniste» écrit-il.   Ils ont rejoint la seule offre «révolutionnaire et violente» disponible aujourd’hui sur le marché de la contestation et de l’engagement romantique et nihiliste. Une violence qui dit davantage une rupture générationnelle et culturelle. Des jeunes rentrés dans la dissidence quoi qu’il arrive au Moyen orient. Olivier Roy précise encore davantage sa perception : «ce n’est pas la révolte de l’islam ou celle des musulmans, mais un problème précis concernant deux catégories de jeunes, originaires de l’immigration en majorité, mais aussi Français de souche. Il ne s’agit pas de radicalisation de l’islam mais de l’islamisation de la radicalité».

Le terrorisme à couverture djihadiste est certes un phénomène complexe, un problème crucial de notre temps. Il invite cependant à davantage de sang-froid et de discernement, surtout quand on est supposé dicter des politiques publiques qui engagent le devenir d’une nation.  Ce drame terroriste n’est que la partie émergée de ce que l’anthropologue Emmanuel Todd appelle « une tragédie globale ».

Ces jeunes dont les photos meublent aujourd’hui les conducteurs de J.T en panne de sensationnels sont le fruit d’une réalité bien historique : la colonisation, l’échange inégal au sein des sociétés du capitalisme globalisé. La frange djihadiste de cette jeunesse est le prolongement de l’expression de l’exacerbation des rancœurs dont l’explosion violente scande le calendrier des révoltes urbaines. Des jeunes qui pâtissent de « l’apartheid territorial, social, ethnique » comme l’a si bien dit Manuel Valls quand il lui arrive de se souvenir de son référentiel de gauche.

Mohammed Bakrim

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