Taux directeur de BAM
Par : Zakaria Belabbes (MAP)
Alors que Bank Al-Maghrib (BAM) se prépare à dévoiler son taux directeur mardi prochain, les analystes financiers guettent la nouvelle direction que prendra la Banque Centrale : prolongera-t-elle la « pause » avec un taux directeur qui reste à 3% ou opérera-t-elle à son ajustement ?
Ce taux, ayant suivi une trajectoire prudente depuis la crise financière de 2008, s’est maintenu sous le seuil critique de 3,5%, connaissant une diminution jusqu’à 1,5% en juin 2022 avant de remonter à 3% l’année suivante, une série de manœuvres reflétant la réactivité de la BAM face aux fluctuations économiques.
En effet, toutes les banques centrales du monde, y compris Bank Al-Maghrib, se rappellent de la crise asiatique de 1997, où des politiques monétaires inattendues ont engendré des ondes de choc économiques dans les pays voisins, un événement historique qui incite à une prudence accrue dans la gestion actuelle des taux d’intérêt pour éviter de répéter des erreurs passées et assurer la stabilité financière globale.
Dans le contexte actuel où l’inflation, ayant étiré son ombre menaçante sur l’Europe et les États-Unis, commence à s’estomper, les « banques des banques » que sont la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve Fédérale américaine (FED) persistent dans leur décision de maintenir les taux directeurs actuels, une posture de prudence qui, bien que louable dans son essence, soulève des inquiétudes quant à son impact sur les finances publiques et les économies nationales, se prêtant ainsi à un jeu d’équilibre délicat entre la maîtrise de l’inflation et la relance de l’économie.
Cette même posture des grandes banques semble être la direction prochaine dans la politique monétaire de BAM, d’après les récentes analyses de Attijari Global Research (AGR), qui a mis en évidence un consensus « quasi-unanime » des investisseurs financiers pour une stabilité du taux directeur.
Ainsi, l’enquête menée auprès de 35 investisseurs, considérés parmi les plus influents du marché financier marocain, révèle que 96% d’entre eux prévoient un maintien du taux directeur de BAM, tandis que seulement 3% envisagent une diminution de 25 points de base, soulignant ainsi une tendance dominante vers la stabilité dans les anticipations des acteurs du marché.
D’un avis similaire, l’économiste et spécialiste des politiques publiques, Abdelghani Youmni, a souligné que les prévisions les plus plausibles pour le taux directeur est son maintien à 3% car autant il faut soutenir la croissance économique avec des taux relativement accommodant, autant il faut cibler le taux de change et éviter la dépréciation du dirham tout en choisissant un taux directeur qui prend en compte la valeur de l’inflation pour éviter son envolée.
Il ne faut pas se tromper de diagnostic, précise l’économiste, ce n’est pas la baisse du « taux directeur à 2,5% qui va conduire à une relance de la consommation et de l’investissement’, notant qu’au contraire, elle conduira à une baisse du dirham face au dollar et à l’euro, aggravant le déficit de notre balance commerciale, de notre dette extérieure et de la facture énergétique.
Et d’ajouter que face à une dégradation du pouvoir d’achat, de l’augmentation de 11% des prix des produits alimentaires des biens durables et du chômage à 13,5%, la réponse n’est pas la politique monétaire.
Le taux directeur n’a jamais affecté l’inflation quand elle est d’origine importée ou budgétaire, la poursuite de la hausse des prix et des coûts de production n’est pas monétaire mais budgétaire, a-t-il souligné, expliquant que « nous avons besoin d’un effet cliquet sur la taxation des carburants pour inverser la courbe de l’envolée des prix et retrouver la résilience de notre économie et protéger le dirham ».
S’alignant sur les pensées du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes, qui disait que « l’intérêt est la récompense pour la renonciation à la liquidité », M. Youmni a souligné que le taux d’intérêt réel affecte toujours directement la croissance économique directement ou indirectement.
Au Maroc, le taux directeur n’affecte pas positivement l’activité économique mais s’il augmente de manière démesuré, il conduit à des défaillances en cascade de l’ensemble des agrégats et de la santé financière des entreprises, la dégradation de leur compétitivité et de leur capacité d’emprunt et d’investissement, a averti cet expert.
Pour ce qui est de l’inflation, l’effet est inverse, ce sont les spirales inflationnistes qui poussent les banques centrales à réguler avec le taux d’intérêt soit par la création ou la destruction de la monnaie afin de juguler l’inflation, selon les explications théoriques de M. Youmni. « Cependant, nous sommes bien loin des hyperinflations de la Turquie ou de l’Argentine voire même de l’Egypte », a-t-il affirmé d’un air confiant.
Interrogé sur l’impact du taux directeur actuel sur la consommation des ménages marocains, l’économiste a clarifié sa vision en profondeur: « Nous serions injuste, si on passe sous silence la consommation, elle est au cœur de l’activité économique, elle dépend à la fois d’une variable qualitative, le revenu disponible ou pouvoir d’achat en dégradation au Maroc à cause d’une série de facteurs et de la confiance affectée par l’actualité géopolitique, l’éventualité d’une sécheresse et d’un besoin de relais pour lutter contre la cherté de vie et retrouver la nature résiliente de notre société ».
Cette posture de prudence prévue par ces experts pour BAM rappelle ainsi l’époque de Paul Volcker à la tête de la FED, vers la fin des années 1970, où, confronté à une inflation galopante, il a opté pour des hausses du taux directeur, une stratégie qui, bien qu’efficace pour dompter l’inflation, a aussi eu pour conséquence un ralentissement économique et la montée du chômage, démontrant ainsi les défis que rencontrent les banques centrales dans leur quête d’équilibre économique.