Un livre lu pour vous

« Le capital algorithmique : Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle », coécrit par  Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau

 L’AI occupe aujourd’hui une place centrale dans plusieurs secteur, à commencer par l’éducation, la santé en passant par le monde des finances ou encore la culture, sans omettre aussi le champ politique….

Dans cette série d’articles, nous allons présenter à nos lecteurs,  chaque jour et ce durant tout le mois de ramadan, un livre écrit par l’un des grands chercheurs en matière de l’intelligence artificielle.    

 Aujourd’hui, nous abordons le livre coécrit par Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, intitulé « Le capital algorithmique : Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle ».

Le capitalisme algorithmique une nouvelle forme de domination

Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau introduisent le concept de « capital algorithmique » comme une nouvelle phase du capitalisme qui repose sur l’exploitation massive des données et l’utilisation des algorithmes pour organiser la production, la consommation et la gouvernance. Ils défendent l’idée que cette évolution n’est pas qu’une simple extension du capitalisme traditionnel, mais une transformation profonde des rapports de pouvoir et des modes d’accumulation.

Les auteurs insistent sur le fait que l’intelligence artificielle et les algorithmes ne peuvent être compris en dehors du cadre capitaliste. « Le capital algorithmique est un phénomène multidimensionnel : il s’agit à la fois d’une dynamique d’accumulation, d’un rapport social et d’une forme de pouvoir basée sur les algorithmes » (p. 43).

Ce capitalisme algorithmique ne se limite pas à un simple outil de maximisation des profits ; il impose une logique systémique qui façonne l’ensemble des interactions sociales et économiques. « L’IA n’est pas simplement un outil du capitalisme, elle en est devenue un moteur essentiel, un élément structurant des nouvelles formes de domination » (p. 46).

Capitalisme de surveillance

Les auteurs démontrent que le capital algorithmique repose sur une accumulation continue des données et sur leur valorisation par des entreprises qui en extraient une rente informationnelle. Ce phénomène s’apparente à une extension du capitalisme de surveillance décrit par Shoshana Zuboff, mais en va bien au-delà : il façonne les comportements en temps réel et structure les inégalités économiques et sociales.

Le capital algorithmique ne se contente pas de capturer du temps et de l’attention, il vise à extraire des comportements humains une valeur marchande. « Les algorithmes sont une machine à prédire, ils transforment chaque interaction en donnée exploitable, chaque choix en opportunité de profit » (p. 79).

Ce processus d’extraction ne se limite pas à une collecte passive des données. Les plateformes numériques opèrent une modification active des comportements, une « ingénierie sociale algorithmique » qui oriente les décisions des utilisateurs à des fins commerciales et politiques. « Nous sommes face à un modèle où les comportements ne sont pas seulement observés, mais influencés et modifiés en temps réel par des systèmes algorithmiques autonomes » (p. 84).

L’exemple des médias sociaux est particulièrement frappant : la personnalisation des flux d’actualité et des recommandations de contenu ne sert pas uniquement à améliorer l’expérience utilisateur, mais à maximiser l’engagement en favorisant des contenus émotionnellement chargés. Cette logique alimente des phénomènes comme la polarisation politique et la propagation de fausses informations.

Le livre explore en profondeur les enjeux géopolitiques liés au développement des algorithmes. « Les tensions entre les États-Unis et la Chine autour des infrastructures numériques montrent que la guerre économique de demain sera avant tout une guerre des données » (p. 245).

L’IA, une source stratégique

La rivalité technologique entre ces deux puissances illustre comment l’IA est devenue une ressource stratégique aussi essentielle que le pétrole au XXe siècle. L’exploitation des données, la maîtrise des semi-conducteurs et la domination des infrastructures numériques déterminent aujourd’hui les équilibres de pouvoir au niveau mondial. « Le capital algorithmique est inséparable des logiques impérialistes, où la souveraineté numérique devient un enjeu central » (p. 258).

Les auteurs soulignent également le rôle des grandes entreprises technologiques qui, bien qu’officiellement privées, collaborent étroitement avec les gouvernements pour imposer leurs normes et protéger leurs intérêts. Cette symbiose entre le secteur privé et les États engendre une nouvelle forme de pouvoir transnational, où les GAFAM et leurs équivalents chinois comme Tencent ou Alibaba exercent une influence comparable à celle des grandes puissances étatiques.

Nouvelle forme de gouvernementalité

Le pouvoir exercé par les algorithmes ne se limite pas au monde de l’économie, il restructure également les formes de gouvernementalité. « Nous assistons à l’émergence d’un nouveau type de pouvoir, où les décisions politiques sont de plus en plus influencées, voire déléguées, à des systèmes algorithmiques » (p. 199).

Cette nouvelle forme de gouvernementalité repose sur la quantification et l’automatisation des processus de prise de décision. Les auteurs montrent comment les algorithmes sont intégrés à l’administration publique, à la police et aux systèmes de justice. Par exemple, les logiciels prédictifs utilisés par certaines polices aux États-Unis génèrent des « cartes de criminalité » qui renforcent les biais raciaux et les inégalités systémiques. « La logique algorithmique tend à institutionnaliser les discriminations sous couvert de neutralité technologique » (p. 211).

En mettant en place des systèmes automatisés d’évaluation et de surveillance, le capital algorithmique contribue à une rationalisation du pouvoir qui masque ses implications politiques. Cette « gouvernementalité algorithmique » produit un monde où les décisions sont de plus en plus prises sur la base de modèles prédictifs opaques, réduisant la place du débat démocratique et des contestations populaires.

Durand Folco et Martineau livrent une analyse détaillée et engagée du capitalisme algorithmique, en montrant qu’il ne s’agit pas d’une simple évolution technologique, mais d’une transformation structurelle du pouvoir. Leur livre met en lumière les implications sociales, politiques et écologiques de cette mutation et invite à une réflexion critique sur l’avenir du numérique.

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