Soukaina Joual : «A L’intérieur se cache l’indicible»

Soukaina Joual est née en 1990, vit et travaille à Fès. Elle est diplômée de l’Institut National des Beaux-Arts en 2011 à Tétouan, au Maroc.Son travail a été présenté dans plusieurs expositions, dont la Foire d’art contemporain de l’Afrique et de la Méditerranée à Casablanca en 2011; à BLAST au GVCC à Casablanca en 2012,  « Diary of aThief – westealbecausewe love » au Sunday IssueGallery à Tokyo en 2013 et à « A Matter of Sensuality », au JIKKA à Tokyo  en 2015. Elle compte à son actif plusieurs résidences d’artistes, La cité des arts de Paris, l’Institut français du Maroc site de Fès et La friche Bel de Mai à Marseille.

Une toile imposante nous interpelle. On n’est pas habitué de prendre en plein la figure une image de deux têtes de bœuf écorchées…. «NakedHeads» est le texte majeur qu’a choisi cette jeune artiste, Soukaina Joual. Il faudrait dire que la tendance des titres chez cette jeune génération est anglo-saxonne. A côté du gigantesque, une petite toile titrée «Entrails», et ce sont les entrailles de la bête qui sont prises à la lettre, une reproduction de photos pour donner lieu à un travail titanesque.Produire à la lettre ce que la caméra a pris au millimètre près. Deux mois de travail acharné pour réaliser une peinture à l’huile sur toile de 195×130 cm de têtes de bœuf. Aucune prétention de choquer, ni d’attirer le regard vers l’étrange.

Ce que l’art retient dans son espace symbolique perd la notion du banal. Il a fallu déplacer l’objet de son contexte pour qu’il devienne matière à réflexion. Mais ce que nous oublions, c’est que Soukaina Joual, dans son labeur quotidien et au cœur de la fatigue de la reproduction, s’attarde sur les détails de ce monde sur lequel nous portons un regard évasif. Côtoyer de plus près la chaire animale, n’est pas une tâche facile. Il y a une fascination quelque part. L’artiste explique sa démarche comme une quête sur ce qui se cache sous l’épiderme. « Je suis inspiré, disait Soukaina Joual,  par l’imagerie de boucherie, la beauté de la viande, les superbes couleurs et la texture de la chair, les os et les organes. Mais cette beauté est également une réminiscence de l’horreur et de la violence de la vie. Pour moi, la viande a une dualité : elle est à la fois morbide, mais aussi sensuelle et politique.».

Après une rencontre exceptionnelle où la jeune artiste va prendre pour la première entre ses mains le cœur d’un mouton, des perspectives s’ouvrent pour questionner « La viande ». Avec tout l’héritage culturel dont disposent la mémoire et la sensibilité propre à l’artiste, ce cœur estropié, plein de sang, inerte est devenu un objet artistique haut en couleur. Une parabole donne lieu à une démarche philosophique menant une guerre intérieure avec les stéréotypes et les images qui collent à la peau du cœur et de l’artiste. Elle fait allusion à des   concepts philosophiques et moraux : l’amour, le plaisir, la violence, la religion, naissance et de décès.

L’aventure artistique ne fait que commencer puisque « La viande fait partie de ma vie, précise Soukaina Joual, sous de nombreuses formes différentes et pour moi nous sommes entourés de chair et de sang et nous avons tous vu des choses autour de nous et dans le monde entier. Des choses violentes, brutes et tristes. Et nous essayons d’oublier ces moments désagréables et inquiétants dans nos vies, mais j’essaie de les embrasser et de les utiliser comme source d’inspiration dans mon travail. « 

Dans sa performance-vidéo, qui s’intitule «  I’m not so innocent anymore, 2015 », video 5’25, notre artiste s’engage de plus en plus dans une confrontation avec les images de la violence et de l’horreur qui deviennent notre quotidien en terme de consommation d’images. Une performance représentant la viande crue comme un symbole de la mort, le transporter, le couper et broyer par une chaire humaine vivante (par l’artiste lui-même), un clin d’œil à la guerre qui est à la fois plein d’esthétismemais troublant.

Soukaina Joual, est une artiste authentique avec des idées qui font froid dans le dos. Elle ne ménage rien, elle va jusqu’au bout de la réflexion en choisissant une matière bouleversante qui fait partie de notre corps. Elle nous questionne jusqu’au fin fond de notre corps. Rien n’est fragile quand on cherche sous la peau un monde intérieur qui cache la façade de l’être humain.

Brahim Zarkani

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