Ismaïl Menkari, directeur du Bureau marocain du droit d’auteur (BMDA)
Réalisé par Nait Youssef
Ismaïl Menkari, directeur du BMDA, met la lumière sur la question des droits d’auteur au Maroc, la copie privée, la relation du bureau avec la SACEM et le dernier rapport publié la CISAC. Avec moins de 8% qui paient les droits d’auteur au Maroc, le bureau est déterminé à améliorer ces données. Pour ce faire, le BMDA installera très prochainement une plateforme digitale qui garantira le calcul des passages et de la répartition des droits d’auteur selon des critères (mondiaux). Entretien.
Al Bayane : Selon le rapport publié dernièrement par la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), le Maroc est classé 3e en Afrique et 49e à l’échelle mondiale en matière de collectes des droits d’auteur. Qu’en est-il de ce grand chantier des droits d’auteur sur le plan législatif, au Maroc?
Ismaïl Menkari : Il s’agit de la collecte de 2017, en particulier celle du 2e semestre. D’ailleurs, c’est celle-là qui nous a permis de devenir 3 e en Afrique. Nous avons fait de grands efforts, mais nous ne savions pas que nous sommes allés jusqu’à pouvoir être 3e en Afrique, sachant que nous étions les derniers un an auparavant, en 2016. Lorsque je suis arrivé dans ce bureau, j’ai appris que nous étions (26e) en ex-æquo avec le Rwanda, un pays sorti de la guerre civile il y a juste quelque temps. Je me demandais comment un pays aussi ancien et très culturel comme le Maroc pourrait être concurrencé par un pays qui sortait de la guerre. Je n’ai pas toléré cet état de fait.
Pour s’en sortir, nous avions une stratégie à ce moment-là. A partir de juin 2016, un mois après ma nomination, nous avons commencé à travailler d’arrache pied. Nous avons procédé à des structurations au niveau du personnel et du bureau. Tout de suite, notre stratégie a commencé à donner ses fruits.
Nous avons commencé à faire rentrer de l’argent au bureau. Ainsi, au 2e semestre 2017, nous avons pu le déclarer, puisque nous savions que nous n’étions plus dans une situation délicate vu les sommes collectées et le statut de notre département de la perception en général. Il faut rappeler que nous étions en réunion dans un congrès à Dakar lorsque le communiqué de presse de la CISAC, annonçant que le Maroc était 3e, a été publié.
Que pensez-vous justement de ce classement?
Il faut dire que nous avons dépassé les pays traditionnellement mieux placés que nous pendant des années comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana. Le Maroc occupe quand même une place très responsable qui répond bien sûr à certaines exigences de la culture marocaine diversifiée. Nous sommes un pays très évolutif. Nous avons de la responsabilité vis-à-vis de notre culture, face aux droits d’auteur et l’Afrique. Le Bureau marocain du droit d’auteur (BMDA) vient de naître parce qu’avant, il n’existait pas étant donné qu’il n’est pas d’identité juridique. Il était sous le contrôle de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Quand nous avons commencé à travailler dans la foulée de la stratégie 2016/2017 que nous avons élaborée, nous avons constaté que nous n’avions pas d’auteurs et d’œuvres. Nous n’avions rien et tout appartenait à la SACEM.
Justement, qu’en est il de cette relation avec la SACEM ? Est-elle «suspendue»?
Elle n’est pas suspendue, elle est résiliée. C’est la première chose que j’ai faite parce que ce dossier épineux avec la SACEM était quelque chose qui empêchait le développement du droit d’auteur au Maroc et plus particulièrement, l’existence du bureau.
Que voulez-vous dire?
Le Bureau marocain n’avait ni identité juridique, ni identité morale. C’est la SACEM qui détenait tout cela. En plus, il y avait un différend financier entre la SACEM et le bureau. Ce différend financier était sur le point en quelque sorte d’être légalisé, si le bureau marocain des droits d’auteur venait à payer cette soi-disant dette envers la SACEM. En tant que directeur général du BMDA, j’avais cette responsabilité de débourser, juridiquement, cet argent. Mais, en contrepartie, je ne pouvais pas le faire étant donné que je n’avais pas un fondement juridique et un fondement documentaire de cette dette.
Ce différend commence à prendre des allures un peu inquiétantes parce que c’est maintenant un problème auquel on a mêlé les affaires étrangères marocaines, dont l’ambassade du Maroc à Paris. Pour moi, cet argent n’est pas légal et cette dette n’existe pas. Elle n’existe pas même d’un point de vue pragmatique, c’est-à-dire que nous n’avons pas d’auteurs. Ces auteurs sont français, ils appartiennent à la société française, les œuvres sont de la société française. C’était mon point de vue, et j’ai convaincu la tutelle…et l’affaire est maintenant sur le point de faire l’objet d’une médiation de la part des organismes internationaux, en l’occurrence l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle OMPI ou d’un arbitrage.
Revenons à cette hausse au niveau des collectes des droits d’auteur, est-elle liée principalement à la copie privée?
Non, la copie privée est sortie un an après ma nomination. Mais le travail qui a été accompli pendant cette première année était quand même colossal. Nous avons doublé nos perceptions ; nous avons dépassé par la suite le double de la perception. La copie privée est arrivée pour boucler un peu cette situation qui était désastreuse au BMDA, mais un an auparavant, nous avons fait des collectes très respectables, c’est-à-dire que nous avons eu de l’argent et la preuve en est que cette année, nous n’avons pas demandé à l’Etat de nous assister.
Fin 2016, nous avons procédé à la marocanisation du service des départements du BMDA et puis, nous avons fait la première répartition nationale sans la SACEM. Nous l’avons fait avec toutes les lacunes possibles, mais elle est marocaine. Et s’il y a des déséquilibres de répartitions…tout est allé aux auteurs, avec les erreurs possibles, mais c’est quelque chose qui nous a donné du courage pour aller de l’avant et parler entre auteurs marocains et bureau de droit d’auteur. La SACEM est morte pour nous ce jour-là.
Beaucoup de professionnels de la filière musicale et artistique pointent du doigt le fait que les festivals du Ministère de la Culture et bien d’autres festivals ne paient pas les droits d’auteurs. Qu’en pensez-vous?
La collecte existe dans la loi marocaine. Le législateur a doté le BMDA des prérogatives lui permettant de collecter l’argent des auteurs, de le répartir et de faire la protection et l’autorisation de l’exploitation des œuvres. C’est un peu le travail du BMDA. C’est vrai que nous sommes face à quelque chose d’énorme et colossal pour nous : la collecte de tous les établissements exploitant les œuvres protégées.
Effectivement, les festivals doivent payer les droits d’auteur, mais ils ne l’ont jamais fait. Aucun festival ne paie. Mawazine l’a fait une seule fois, les télévisions paient, mais elles paient avec des forfaits. Elles ne paient pas les sommes qu’elles doivent payer. Pour les radios privées, c’est la moitié qui paie. Les théâtres ne paient pas. Rares sont les cinémas qui paient, puis les cafés, les restaurants, les night clubs, les cabarets…Je dirais moins de 8% paient les droits d’auteur, selon notre estimation électronique.
Parmi les opérateurs télécom, un seul paie, parce que c’est un opérateur étranger. Quant aux nôtres, ils ne règlent pas les droits d’auteur. Nous n’arrivons pas à trouver des solutions avec ces personnes et ces sociétés qui ne paient pas les droits d’auteur. Ceux qui paient sont vraiment convaincus que la question de droit d’auteur au Maroc est liée essentiellement aux droits de l’Homme, selon la Déclaration universelle des droits de l’Homme dont l’article 27 stipule qu’on a droit à sa propriété intellectuelle et donc à ses œuvres.
Je ne suis pas ici pour trainer le monde devant la justice. Mais si je dois vraiment faire respecter cette loi, je dois faire un grand travail de sensibilisation à l’adresse de la justice, des exploitants des œuvres protégées comme les cafés, les restaurants. Rappelons que notre justice n’est pas très avisée sur la question des droits d’auteur. Le Maroc adhère à toutes les conventions, mais il n’arrive pas à faire face à ses engagements internationaux. Effectivement, cela impacte le pays et sa notoriété, notamment en matière de droits de l’Homme.
Je tiens à souligner que ceux qui paient les droits d’auteur sont moins de 8%, et ils vont finir par ne plus le faire puisqu’ils sont les seuls à payer sur le marché. Pis encore, ils ne voient plus de raison de le faire parce qu’ils paient et les autres, non.
Qu’en est-il du travail de sensibilisation aux droits d’auteurs ? Peut-on dire que beaucoup ignorent leurs droits?
Les auteurs connaissent très bien la question des droits d’auteur. Une œuvre est une création. Elle nécessite une protection et son exploitation requiert aussi une autorisation. Il n’ ya pas d’auteur qui méconnait ses droits.
Comment faites-vous pour répartir l’argent collecté? Sur quels critères?
Nous avons commencé par une première répartition nationale dans le cadre de la marocanité des départements des droits d’auteur au Maroc. Cette répartition a été beaucoup plus intéressante que celle que faisait la SACEM. Nos auteurs étaient ravis de voir le travail que fait un bureau qui n’est pas encore né.
Le bureau essaie de travailler avec les moyens qu’il a. Nous avons demandé à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) de nous assister. Elle a répondu tout de suite et d’une manière très urgente. Elle est venue et a installé un logiciel de répartition chez nous. Ce logiciel a fait ce travail. Il gère même les perceptions. Ces techniciens pris en charge par l’OMPI viennent nous aider dans la manière de répartir l’argent.
Avez-vous des bilans sur cet argent réparti?
Notre argent est déclaré chaque année. Tout le monde sait combien nous avons collecté. La tutelle est informée régulièrement de nos recettes et de nos répartitions. Ces auteurs doivent s’inscrire et exister pour pouvoir profiter de leurs droits. C’est pour la première fois que je le dise. Les droits de ces derniers n’ont jamais été répartis, ils sont dans des comptes bancaires et le seront une fois que nous avons l’enregistrement de ces personnes sur une plateforme.
Nous pouvons maintenant nous permettre de très bien travailler, étant donné que nous avons maintenant, comme la plupart des pays qui se respectent, une plateforme digitale dans laquelle tout le monde peut apparaître.
Cette plateforme calcule les passages selon la rémunération reçue des plateformes radiophoniques et télévisuelles que le bureau reverse, selon des critères (mondiaux) qu’on a installés sur la plateforme. C’est un travail colossal. Car ce que les gens font en 20 ans, nous l’avons fait en deux ans.