Carthage, flashback…

Hors champ

Bakrim 1Une édition historique ; c’est le commentaire unanime des festivaliers au lendemain de la clôture des 26e journées cinématographiques de Carthage. «Je suis fier d’y avoir participé !», nous dit Mohamed Mouftakir, l’heureux lauréat du Tanit d’or, une fois retrouvé à Casablanca. Le jeune cinéaste issu de Hay Mohammedi a en effet de quoi afficher sa fierté : L’orchestre des aveugles a triomphé dans une compétition de haut niveau et reconnu par un jury aussi prestigieux que compétent.

L’une des premières caractéristiques de cette édition est en effet la qualité de la programmation et notamment de la sélection officielle. Mouftakir était en concurrence avec des films de haute facture cinématographique. Je pense en particulier à deux films qui m’ont fortement impressionné : The endless river du sud-africain Hermanus et letter to the king du kurde Hicham Zamane.

Outre les différentes sections de la sélection officielle, les cinéphiles tunisiens ont eu l’occasion durant cette riche semaine (en fortes émotions) de faire le plein d’images, plus de 300 films leur ont été préposés avec plus d’un tiers de films tunisiens (trois en compétition officielle cette année) et plus de 1000 projections ont été organisées à travers l’ensemble de la république. Et il faut dire que le public a été à la hauteur de cette offre, de cette générosité, de ce programme alléchant. Plus de 150 000 spectateurs, rien que dans la capitale sont venus acquérir leur billet faisant honneur au cinéma dans sa grande diversité. J’aimerais citer dans ce sens une expérience que j’ai vécue à travers trois films différents dans leur forme, leur propos et leur origine. Dès l’ouverture des JCC, je suis allé à la salle Ibn Rachik pour le film Le fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes. Un film qui revisite un thème non seulement chargé de valeurs historiques mais également illustrant l’une des tragédies les plus terribles du XXe siècle, celle de l’Holocauste. Un thème à forte charge polémique aussi : les révisionnistes vont même jusqu’à nier les faits…Mais un film particulier dans sa forme aussi puisqu’il s’inscrit dans une démarche originale dans sa volonté de filmer l’infilmable : caméra à l’épaule, omniprésence du point de vue subjectif ; dominance du hors champ ; forte bande son…Et bien, la salle était archicomble, animée par un public à majorité cinéphile mais également avec de nombreux curieux venus enrichir leur connaissance. L’accueil fut correct avec une attention durant toute la séance.

Autre salle, autre film et même engouement : le documentaire «La route du pain» du marocain Hicham Elladaqui. Le film a été reçu avec respect pour son auteur malgré certaines réactions négatives d’une partie du public qui ont relevé un manque d’équilibre dans le traitement du sujet opéré par le jeune cinéaste.

Ultime exemple de cette ouverture d’esprit du public, l’accueil réservé aux courts métrages. Programmés à la salle officielle à midi, le public a tenu à venir voir et discuter avec les jeunes courtmétragistes.

C’est ce public qui fait l’âme des JCC et qui leur donne leur force et leur assure une légitimité au-delà des choix dictés par les contingences. Si l’affiche officielle a mis en avant deux figures tutélaires des JCC, Tahar Chariaâ et Sembene Ousmane, c’est le signe émis par l’actuelle direction de renouer avec l’esprit d’origine, de maintenir cette continuité historique dans laquelle se reconnaît le public à l’heure où les rencontres s’acheminent à fêter l’année prochaine leur cinquantenaire. J’aimerais rappeler à ce propos que des tentatives ont failli remettre en question cette caractéristique identitaire fondatrice, celle de la cinéphile arabo-africaine, quand sous l’effet du succès des premières éditions du festival de Marrakech, les organisateurs de Carthage ont commencé à chercher à imiter le festival de la ville ocre, en invitant des stars internationales (l’arrivée de Johnny Halliday avait irrité les historiques des JCC). La raison semble l’emporter et le public a plébiscité le maintien de cette dimension cinéphile.

Cependant, la décision de rendre les JCC une manifestation annuelle, alors qu’à l’origine elle était organisée tous les deux ans en alternance avec le Fespaco, n’a pas fait l’unanimité. Dans ce retour sur Carthage, nous donnons la parole, pour élargir l’éclairage, à deux éminents critiques de cinéma, le tunisien Nasser Sardi et le français Olivier Barlet, tous deux fins connaisseurs du cinéma africain et ayant suivi les JCC depuis plusieurs éditions. A la veille de l’ouverture du festival de Marrakech, le débat nous semble opportun.

Par Mohammed Bakrim

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