La marche verte sur les écrans :
«Le cinéma de propagande considère toujours son spectateur comme un attardé à qui il convient de faire la leçon, deux fois plutôt qu’une»
Jean-Louis Comolli
La sortie du nouveau film de Youssef Britel, «La marche verte», ramène sur la scène publique le débat, souvent de nature polémique, sur le rapport du cinéma marocain et la question nationale, en l’occurrence la récupération des provinces du sud et d’une manière plus globale, le rapport de ce cinéma avec les grands sujets de «notre histoire».
Sauf que ce débat, qui n’en est pas un cache mal de mauvaises intentions, est un procès que l’on tente d’imposer à un cinéma qui souvent dérange une frange de l’opinion publique voire une partie des décideurs politiques. Connaissant mal ce cinéma, ce courant, majoritairement conservateur, tente de le doubler sur son flanc «nationaliste», en l’interrogeant sur son «devoir patriotique» à l’égard de grandes causes nationales. L’actuel responsable du département en charge du cinéma est allé même jusqu’à avancer lors d’une allocution à Tanger (février 2016) que grâce à des initiatives de son ministère, notamment le fonds de subvention du documentaire hassani, il a réussi à réconcilier (sic) le cinéma marocain avec «sa cause nationale» (resic) !
L’occasion se présente donc pour apporter des précisions et contribuer au débat que pose cette problématique générale.
D’abord, pour dire que c’est injuste à l’égard de ce cinéma d’avancer qu’il a omis d’aborder la question du sahara dans son scénario global. Et de montrer ensuite que les films ayant bénéficié de grands moyens pour aborder le sujet ont été des échecs artistiques, ce qui a réduit à néant toute velléité de leur efficacité politique.
Il me semble que le sujet est trop sérieux pour en faire un enjeu conjoncturel ou le livrer à de la surenchère démagogique. Il invite aussi à plus de pertinence dans les propos. D’abord, il n’est pas juste de dire que le sujet est complètement occulté par le cinéma marocain. Aussi bien pour le court métrage comme pour le long, pour le documentaire comme pour la fiction, la question nationale a été l’objet, implicitement ou explicitement, de traitement cinématographique diversifié. Faut-il rappeler dans ce sens les documentaires réalisés dans la ferveur patriotique qui a accompagné la marche verte. Je cite à ce propos le long métrage de feu Mohamed Lotfi, «La marche verte» (1975) et le court métrage portant le même titre de Souheil Benbarka.
Pour la fiction, il y a lieu de citer le très beau court métrage de Hassan Legzouli, «Quand le soleil fait tomber les moineaux», « l3adrej » (1999), entièrement tourné dans un village de Moyen Atlas, avec les habitants jouant leurs propres rôles. Beaucoup de jeunes de ce village sont des militaires mobilisés dans la guerre imposée au pays. L’un des moments forts du film est la scène de l’arrivée de deux représentants des autorités chargés d’informer une famille de la mort de ses deux enfants dans la guerre. Le tout filmé avec justesse et distance qui n’exclut pas l’émotion.
Et d’une manière inédite, voire pour la première fois dans les annales du festival national, en 2014, un film parlant hassani a non seulement été inscrit au programme mais s’est vu octroyer une des consécrations prestigieuses du palmarès, à savoir Le prix du jury. Il s’agit du film «Aria delma» (mauvaise idée en hassani) du jeune cinéaste Ahmed Baidou. L’originalité du film n’est pas seulement sa dimension linguistique mais également tout son mode de production. Le tournage, la production, le casting ont été entièrement réalisés dans nos provinces du sud, la région de Laâyoune notamment. Le film aborde la thématique de l’émigration clandestine avec en toile de fond, des relations amoureuses et humaines qui vont pâtir de certains choix. Mais le film parle plutôt par les images de l’espace qu’il revisite, par le jeu des comédiens très spécifique et très ancré dans son environnement socio-culturel.
Lors de la même édition, un autre film, au niveau du court métrage cette fois, ayant pour thématique la question de nos provinces du sud s’est vu décerner le grand prix du court métrage. Il s’agit de «Réglage» de Hicham Regragui et de Driss Gaidi. Si «Aria delma» s’est démarqué par sa langue et par ses espaces hassanis, «Réglage» peut être inscrit dans la jeune histoire de notre cinéma comme la première fiction mettant en scène des personnages renvoyant à des éléments du groupuscule séparatiste. On les voit en effet torturer d’une manière atroce un détenu marocain qui avait tenté une évasion. La force du film, au-delà de cette dimension humaine souvent occultée dans les médias, est dans son traitement qui fait honneur au jeune cinéma marocain. La qualité de l’image, les trucages et autres effets spéciaux, le montage, la bande son…des réussites basées sur des travaux réalisés par de jeunes lauréats des écoles de cinéma et qui sont la première force du film.
Signalons, dans cette perspective, que des jeunes cinéastes, Yasmine Alkhayat, Rabii Aljaouhari…ont réalisé des reportages et des documentaires consacrés notamment au sort des séquestrés marocains des camps de Tindouf.
Pour sa part, et face à la multiplication des provocations menées par des cinéastes espagnols dont notamment le comédien international Javier Bardem, devenu pratiquement agent de communication des séparatiste, la cinéaste marocaine Farida Benlyazid a pris l’initiative d’une riposte «cinématographique» avec le docu-fiction «Frontieras». Le projet a bénéficié au départ d’une avance sur recettes et a bénéficié en cours de route d’énormes moyens en termes de logistique, pour un résultat décevant. «Frontieras» est passé presque inaperçu au festival national en 2013 et il a eu une sortie commerciale qui n’a pas laissé d’échos. Et jusqu’à présent, il n’a pas été exploité, à notre connaissance, dans une campagne de diplomatie parallèle.
Est-ce que le film de Youssef Britel apporte une réponse originale à ce propos ? Si son premier mérite est d’avoir tenté l’expérience, force cependant est de reconnaître que le résultat n’est pas à la hauteur des intentions. Il y’a quelques moments forts comme les images des camions sur la voie du sud ; les mouvements de caméra dans le camp des marcheurs à Tarfaya… Pour le reste, le film n’a pas su rentabiliser le capital symbolique que constitue le sujet qu’il aborde ni les moyens consistants mis à sa disposition. En fait, dès le scénario, le film n’a pas su/pu répondre à l’équation fondatrice, celle à laquelle est confronté tout film historique, celle de l’écart à construire entre le geste cinématographique et ce qui en est le point de départ ; le référent et le point d’appui.
Mohammed Bakrim